Description du département de l’Oise/Breteuil

P. Didot l’ainé (1p. 212-223).
ARRONDISSEMENT
DE CLERMONT.




BRETEUIL.


On prend pour se rendre à Breteuil, en partant de Beauvais, la route d’Amiens ; elle court au nord nord-ouest, d’abord sur un terrain très plat ; elle suit une ligne presque droite : les bords du grand chemin sont garnis de pommiers. On passe dans le village de Tillé.

Rien de pittoresque jusqu’à Noiremont, dont la descente est assez rapide : la poste aux chevaux est établie dans ce village ; en le quittant on gravit avec peine une montagne très roide. La route de Noiremont à Breteuil est moins belle, plus mon-tueuse que celle de Beauvais à Noiremont ; mais ses aspects sont variés.

En traversant Froissy, chef-lieu du canton, nous vîmes les débris d’un incendie ; plus loin le joli village de Maisoncelle, entouré d’arbres fruitiers et dans une position charmante.

Nous arrivâmes à Breteuil, où nous eûmes une séance composée de dix-huit maires des cantons de Breteuil et de Froissy.

Breteuil est dans une position avantageuse ; l’air qu’on y respire est assez pur : ce que je pourrois dire de sa culture ressemble à ce que j’ai dit de l’agriculture des autres cantons. Je le répete, quand je supprime des détails auxquels le lecteur pourroit s’attendre, ou je n’ai rien de neuf à faire remarquer, ou ces détails se trouveront dans mes tableaux à la fin de l’ouvrage.

On fait beaucoup de plantations dans le canton de Breteuil ; les peupliers d’Italie et les peupliers blancs de Hollande s’y multiplient avec facilité, y croissent avec une rapidité étonnante.

Quelques bois taillis épars dans la campagne forment le seul chauffage des habitants.

L’Aunoy, qui prend sa source à Breteuil, est la seule riviere du canton.

Le principal commerce de cette commune est celui que font une quantité de cordonniers qui peuplent toutes les maisons ; ils sont au nombre de soixante-quinze maîtres, auxquels il faut ajouter tous les ouvriers qu’ils emploient : les souliers se vendent depuis 50 sous jusqu’à 4 liv. Le reste des habitants s’occupe d’agriculture, des voyageurs qui vont en Flandres, ou de ceux qui se rendent à Paris.

Breteuil est mal bâti en général, mal pavé ; on y remarque cependant quelques édifices assez beaux, parmi lesquels on distingue sur-tout le vaste bâtiment de l’ancienne abbaye.

Le tableau le plus triste qu’on pourroit faire en décrivant la France est celui de ce qu’on appelle les prisons de Breteuil, que par une inconcevable fatalité on n’a pu changer encore ; c’est une fosse humide à douze pieds de profondeur en terre, qui n’a pas dix pieds de longueur sur huit de large, sans fenêtres, sans autre ouverture que la porte, qu’on est contraint de tenir fermée toutes les nuits. On y dépose des malfaiteurs, des assassins, des déserteurs, de jeunes filles, des étourdis arrêtés dans une rixe légere ; pas un meuble dans cet antre exécrable et pestiféré, où l’on répand de temps en temps quelques bottes de paille, dues à la charité des habitants, sollicitées par l’activité du maire. On espere pourtant que ce désordre va cesser.

La gendarmerie de Breteuil est presque aussi mal logée que les prisonniers ; et cependant là, comme dans toutes les communes de France, en s’abstenant de vendre tel ou tel édifice, on eût pu se procurer facilement les bâtiments nécessaires aux besoins de la police et de l’administration.

Les passages de troupes fatiguent prodigieusement les habitants peu fortunés de la commune de Breteuil : elles y sont si mal logées, que les militaires disent en proverbe à celui qui se plaint d’un mauvais gîte, Tu n’as pas été à Breteuil : on dit au frere du cit. L…., en entrant au college de Navare, Satis scit qui Britolio vivere scit.

En décrivant Beauvais j’ai parlé de la ville de Bratuspance, et de l’incertitude des écrivains sur la place qu’occupoit cette cité, dont parlent les Commentaires de César. S’il étoit important d’avoir une opinion sur ce fait historique, je dirois que toutes les vraisemblances parlent en faveur des environs de Breteuil ; que si des preuves matérielles ne peuvent établir cette opinion, des analogies y font croire : j’ajouterois qu’ayant consulté dans les campagnes plusieurs vieillards âgés de quatre-vingts ans, ils m’ont dit tenir de leurs aïeux, que de tout temps l’espace pres de Vandeuil, où l’on trouve une si grande quantité de médailles et de débris de l’antiquité, porta le nom de Bratuspance ; et ces derniers vieillards étoient antérieurs à la dispute qui s’éleva entre quelques moines et quelques antiquaires sur la véritable position de cette ville[1].

La vallée de Vandeuil ou de Bratuspance forme un vaste bassin, traversé par un grand chemin allant du sud-est au nord-ouest, dont on attribue la construction à César, aux Romains, à la reine Brunehault. À l’ouest de son enceinte la vieille ville que nous nommons Bratuspance, étoit dominée par une montagne, qui porte encore le nom de Catelet ; c’étoit sans doute le château fort, la forteresse de cette cité. À l’est de cette montagne étoit, dit-on, une tour entierement détruite, mais dont on trouve encore quelques murs souterrains, près desquels on a fait des fouilles dans l’espoir d’y trouver un trésor, une statue d’or, que la tradition y suppose : les ouvriers n’y travaillerent pas long-temps ; mais l’imagination frappée créa les contes accoutumés : le dégoût et le manque d’argent n’avoient pas seuls fait cesser les travaux ; des démons protecteurs des trésors avoient chassé les travailleurs, combloient la nuit l’espace creusé pendant le jour, des voix lugubres et des feux souterrains finirent par en défendre l’approche. Ce lieu depuis a toujours conservé le nom de Fosse-Serprix ou de Fosse-aux-Esprits[2].

La ville pouvoit couvrir un espace de six cents arpents ; outre la chaussée dont nous avons parlé elle étoit coupée de cinq ou six autres chemins faits de silex. La plaine ou le vallon de Bratuspance est situé entre Vandeuil, Beauvoir et Caply. De tous temps, soit à la surface de la terre apres les pluies, soit en labourant, soit en cherchant des pierres de taille, qu’on obtenoit en démolissant de vieux murs, on a trouvé des médailles, des vases, des fragments de toutes especes d ustensiles ; et les fouilles que j’ai fait faire n’ont jamais été infructueuses, quoiqu’elles aient eu lieu au hasard sur plus de vingt points différents.

Je joindrai à ces notes le dessin et la description de ce que j’ai pu me procurer dans ces fouilles, des objets qu’on a bien voulu me céder, et de ceux que je dois à la générosité de quelques amis des arts.

Le duc de Sully avoit la plus riche collection en or, en argent des divers ornements qu’on avoit trouvés dans des recherches antérieures ; il possédoit des vases, des statuettes, une multitude d’instruments de sacrifice, en bronze. On ne sait ce que sont devenus tant de morceaux intéressants.

Au printemps, quand les terres commencent à se couvrir des premiers jets de la culture, les herbes ou les bleds qui poussent dans les terrains formés d’une terre épaisse et féconde, donnent des herbes de six à huit pouces de haut, quand celles qui naissent dans les rues ou les grands chemins commencent à peine à paroître. Les rues, les grands chemins, des amphithéâtres, des cirques, se dessinent à l’œil des curieux ; c’est une carte géographique à laquelle l’imagination ajoute quelque chose, mais dont l’homme le plus difficile à convaincre ne pourroit nier l’existence.

Je me rendis au château de Beauvoir, ainsi nommé de la vue immense dont il jouit ; il domine sur Bratuspance, Caply, Vandeuil, sur Breteuil, dont l’abbaye et ses bâtiments presque neufs offrent une masse plus imposante que le reste de la ville, sur une immensité de collines et de montagnes lointaines.

Curieux de connoître sur ce point l’extrémité du département, je me rendis par un chemin très montueux, très difficile, par un pays dépouillé d’arbres, jusqu’à la petite commune de Folleville, appartenant au département de la Somme. Le château dominateur du pays est sur le sommet d’une haute montagne ; il est entièrement abandonné ; ses tourelles élevées, qui surmontent de hautes tours, ne sont plus fréquentées que par des corbeaux et des oiseaux de proie : on y pénetre par un pont de deux arcades, sous lequel on a creusé des fossés très profonds, qui, comblés en partie, s’unissent, par des gazons chargés d’arbres fruitiers, d’arbrisseaux, et de fleurs, à des vergers délicieux. Il est peu de monuments en France qui se présentent avec plus d’élégance, de grandeur et de majesté, avec quelque chose de plus étrange ; c’est ainsi que l’imagination se peint les châteaux de la chevalerie d’après les descriptions d’Amadis, de Tristan le Léonais, de l’Arioste, et de tous nos vieux romanciers ; on croit voir les créneaux garnis de lances, de soldats, et le nain qui surveille au sommet de la tour, sonnant du cor pour avertir de tout ce qui se passe à dix lieues à la ronde.

L’église, que la religion, que l’amour de ses anciens seigneurs ont respectée, offre dans son intérieur un tombeau de marbre blanc extrêmement riche, surchargé d’ornements, de légendes et des cartouches : les armes du seigneur sont soutenues par des amours fondant en larmes, pleins d’expression dans la figure et dans l’attitude : un homme, une femme sont couchés, vêtus de longues robes ; l’homme a trois bagues, une sur l’index de la main droite, l’autre au petit doigt de la même main, la troisieme sur le milieu de l’index de la gauche ; il porte une grosse chaîne sur la poitrine ; une épée brillante, ciselée, ornée de petits portraits, descend de l’estomac jusqu’à mi-jambes ; ses habits sont enrichis d’une large broderie. Cette tombe est entourée d’un espece de cadre sur lequel sont sculptées, dans le meilleur style, une vigne et des branches de chêne ornées de glands. La grotte, assez profonde, dans laquelle est placé ce beau tombeau, est parée de pierres tellement élaborées, si délicatement évidées, qu’elles donnent l’idée de ces filigranés qui nous viennent de l’Inde et de la Chine ; tout est guirlande, pendentifs ornés de statuettes, au milieu desquels figurent dans différentes attitudes S. Jacques, S. Michel, le diable, S. Sébastien, S. Antoine, un autre saint dont j’ignore le nom ; il tient une épée de la main droite, et de l’autre un marteau posant sur une enclume ; ce saint est revêtu d’une riche cuirasse. Deux grands tableaux en reliefs sont exécutés, l’un à la tête et l’autre au pied du riche tombeau que je décris : le premier représente la Vierge et Jésus-Christ mort sur ses genoux ; dans l’autre un soldat livre à la fille d’Hérode la tête de S. Jean auquel il vient de donner la mort.

Cette tombe est celle de M. et de madame Launay ; leurs corps sont de marbre blanc et leurs figures de marbre, d’un rouge violacé. Sur le devant du tombeau on lit ces mots :

« Cy gisent nobles personnes Raoul de Launoy, chevalier, seigneur de Morvillers et de Payart, conseiller et chambellan ordinaire des rois Louis 11 et 12 et de Charles 8, bally du palais réal à Paris, et d’Amiens, capitaine de la dite ville, de cent gentils hommes de la maison et de 100 hommes d’armes des ordonnances, grand chambellan du realme de Cécile, lieutenant général de la ducé de Gesne, qui trespassa le 4e jour du mois d’avril l’an mil Ee et VIII ; et made Jehenne de Poix, dame des dits lieux de Folleville et de Gannes, laquelle deceda le jour du mois de juillet l’an mil Ee VIII. Priez dieu pour leurs âmes. »

Il est un autre tombeau de marbre dans cette église, dont les statues sont de plâtre : tous deux devroient être gravés.

L’église qui renferme ces monuments fourniroit au dessinateur de beaux détails de sculpture, et de jolis vitraux, dans lesquels on remarque surtout la passion de J. C. ; la Vierge, que sa douleur affaisse et fait tomber, est digne des meilleurs maîtres.

Dans la même journée je visitai Rouvroi-les-Merles, petit château situé dans une vallée d’un verd délicieux, et Tartigny, autre château d’assez belle apparence.

Nous vîmes à Rouvroi le mont Castillon, où l’on trouve beaucoup de médailles romaines et gauloises, des fragments de vases ouvragés, des oursins, etc.

Breteuil est à six lieues au nord de Beauvais, à sept d’Amiens. Le commerce de bled est le principal commerce de Breteuil : on y fait quelques sakatis, quelques serges, etc.

Hugues, fils de Gilduin comte de Breteuil, évêque de Langres en 1032, mourut vers l’an 1052.

Cette petite ville fut abandonnée au roi de Navarre en 1353. En 1355 les Anglais qui l’assiégeoient furent contraints de lever le siege.

Le sieur de Blanchefort étoit capitaine de Breteuil en 1433 et 1434.

Breteuil se rendit au comte d’Etampes, qui donna ordre à Saveuse de démolir la ville et la forteresse.

Lahire reprit le château la même année, et ravagea les environs d’Amiens et de Mont-Didier.

Breteuil fut démoli depuis par Lahire, suivant le traité qu’il fit avec les gens du duc de Bourgogne, dont il tira de l’argent.

Du temps de Henri IV cette seigneurie appartenoit au prince de Condé.

L’abbaye des bénédictins de Breteuil fut fondée en 1040, par le comte Gilduin. Les bénédictins de la congrégation de S.-Maur y furent introduits le 14 août 1645.

Les Montmorency ont été long-temps seigneurs de Breteuil.

Henri de Bourbon, deuxieme de ce nom, vendit Breteuil à Maximilien de Béthune, duc de Sully, grand-maître de l’artillerie, et surintendant des finances.

À une demi-lieue de Breteuil est le petit village d’Esquesnoy, qui n’offre de curieux que la maison d’un fermier ; elle fut jadis, si l’on en croit la tradition, un couvent de templiers : la porte d’entrée, composée de deux ouvertures à cintres pleins, l’une très grande, l’autre plus petite, est d’un assez bon goût ; la grange, dont les arcs et les fenêtres sont à cintres pleins, ce qui reste du bâtiment antique, donnent aussi l’idée d’un couvent fort ancien ; mais les caves sont remarquables : la voûte, qui descend à la premiere est composée de vingt cintres partiels en pierre de taille, placés de maniere qu’ils forment une saillie de cinq ou six pouces les uns sur les autres ; le ciment qui lie les pierres du cintre est de terre jaune et de chaux. On descend à cette premiere cave par vingt et une marches ; au bas de l’escalier on se trouve dans un caveau de vingt pieds carrés, au milieu duquel est un pilastre en pierre à quatre faces de deux pieds chacune ; c’est le soutien d’une voûte assez élevée.


  1. Simon tire du texte même des Commentaires un argument favorable à cet avis. Apres la réduction de Bratuspance César se rendit dans l’Amiénois ab eo loco in fines Ambianorum pervenit. Il n’y a qu’un pas de Breteuil ou de ses environs dans l’Amiénois : si Bratuspantium eût été Beauvais, César eût eu huit lieues à faire pour se rendre dans la contrée dépendante d’Amiens. Il est fait mention de Bratuspantium dans la vie de S. Guibert.
  2. L’abbé Dubos, dans ses lettres manuscrites, dit qu’on a trouvé une petite idole de Céres dans la Fosse-Serprix.