Traduction par Anonyme.
chez les veuves sulamites, aux petits appartements de Salomon (A. Boutentativos). (p. 10-16).
CHAPITRE II
De la situation du Merryland

Le Merryland, ou Terre de joie, est la portion d’un vaste continent, borné dans sa partie haute, autrement dit au nord, par une petite montagne appellée M.n.s.v.n.r.s.[1] ; à l’est et l’ouest, par le C.x.s.n. et le C.c.d.x.t. et au midi, ou dans la partie basse, il est ouvert à la terre-ferme.

Il est à remarquer que la longitude et la latitude de ce pays n’ont encore pu être fixées à un dégré certain, et tous les observateurs, même foiblement attentifs, ont reconnu, quoique cela paroisse d’abord étrange, qu’il y a une aussi fréquente variation dans la longitude et la latitude du Merryland, que dans la longueur et grosseur du Compas-marin dans les autres parties du monde. Je pense bien que le lecteur qui sera tout-à-fait étranger dans cette province, remplie de phénoménes, aura quelque peine à croire celui-ci ; mais ceux qui connoissent passablement cette contrée, sont si éloignés de démentir ce que je rapporte, que j’oserois parier qu’ils le constateroient par leurs propres expériences, s’il étoit nécessaire. Mais en attendant les leurs, citons ici les miennes.

J’avertirai donc ici le lecteur civil et honnête, que, dès ma première entrée dans ce délicieux séjour, je fis tout ce qui dépendoit de moi (non moins curieux en cela que bien d’autres) pour acquérir une connoissance parfaite de la position du Merryland. Je le considérai sous tous ces différens points de vue, et j’examinai avec la plus scrupuleuse attention tout ce que l’art et la nature purent m’y offrir de remarquable. Ce sont ces soigneuses observations que je vais communiquer au public.

Entre beaucoup de choses, je m’appliquai à connaître la longitude et la latitude du pays, et je puis dire que mes remarques ne furent pas chargées d’une multitude d’erreurs, d’abord parce que je joignis souvent la pratique à la théorie, ensuite, parce que j’opérois alors avec le meilleur instrument possible ; c’étoit une longue fleche en fort bon état. Il est démontré qu’à mon entrée au Merryland, mon instrument n’étoit inférieur à aucun. Mais quelques années après, m’étant encore rencontré directement dans le même endroit, et répétant mes expériences, je trouvai que la longitude et la latitude avaient augmenté de plusieurs dégrés, quoique je fusse au même point d’observation, et que je me servisse du même instrument que la première fois. Peut-être on soupçonnera que ma fleche, avoit dégénéré, ces sortes d’instrumens étant assez sujets à s’endommager par le temps et le fréquent usage ; mais le mien s’étoit admirablement bien conservé, quoiqu’il m’eût très-souvent servi ; le soin que je me suis toujours piqué d’en avoir, l’avoit maintenu dans son état de perfection autant que jamais, et même aujourd’hui j’oserois le présenter comme très-passable, quoiqu’il ait quelques années de plus, et que pendant tout ce temps il n’ait pas resté dans son étui, mais que je l’en aie tiré bien des fois à ma grande satisfaction, et à celle de plusieurs autres.

Que la longitude et la latitude de cette terre augmentent considérablement avec le temps, c’est donc un fait qu’on peut contester. Laissons à d’autres à dire comment s’opère ce phénomène ; cela mériteroit bien une attention toute particulière de la société royale de Londres. Nous nous contenterons de dire avec Virgile.

Felix qui potuit rerum cognoscere causas.
Heureux qui des effets peut connaître les causes.

J’ajouterai cependant pour l’instruction de ceux, qui ne voudront rien ignorer à ce sujet, que selon moi, et toujours d’après l’expérience, cette augmentation surprenante ne manque jamais d’arriver, lorsque la terre a porté des fruits, et telle est la suite inévitable de deux ou trois récoltes, que vous auriez alors beaucoup de peine à reconnoître le même endroit que vous cultiviez auparavant ; le plus triste, c’est que la fécondité d’un terrein n’est pas la seule cause de cette variation dans son étendue ; le seul labour, fréquemment répété, quoique le sol ingrat ne rende rien, ou que vous ne veuilliez pas lui confier de semence, produit à-peu-près le même effet. Ce changement n’est pas absolument agréable, et plus les dégrés de longitude et latitude augmentent, moins les habitans de ce lieu peuvent s’y procurer de satisfaction. Quelques gens d’un talent précieux, et sur-tout bien estimable, ayant réfléchi sur cet inconvénient, avaient trouvé plusieurs méthodes pour diminuer les dégrés de latitude, quand ils sont trop nombreux, et rétablir par ce moyen le Merryland dans son premier état. D’abord plusieurs personnes se sont laissées duper par leurs pratiques, mais leur crédulité ayant donné matière à beaucoup de plaisanteries, il n’y a plus que quelques seigneurs allemands qui soient aussi facilement trompés.

Je n’ai pas besoin de m’étendre davantage pour faire toucher au doigt et à l’œil la situation de cet endroit ; j’observerai seulement qu’on peut suivre la méthode du fameux M. Patrix Gordon, qui, dans sa grammaire géographique, nous indique la connoissance de son antipode, comme le plus sûr moyen de savoir la vraie position d’un pays, et je vais finir ce chapitre, en instruisant mon lecteur curieux, que les avis sont partagés sur l’endroit où il faut le prendre. Les uns prétendent que l’antipode du Merryland est la partie saillante du continent, appellée P. D. X., connue en haut allemand sous le nom de Deraslosch. D’autres disent que c’est le point le plus reculé du promontoire C. P. T. Mais comme mon intention n’est pas de m’engager ici dans aucune dispute, mais plutôt de me resserrer dans ce que mon sujet exigera de moi, je laisse cette question des antipodes à ceux qui ont du goût pour ce chemin détourné ; je dirai néanmoins qu’il y a des gens qui donnent la préférence (certainement à tort selon moi) au P. D. X. Les géographes italiens aiment sur-tout cette route ; quelques hollandais la pratiquent à leur exemple, depuis quelque temps, et plusieurs anglais passent volontiers par-là.


  1. Mons Veneris.