Description de la Chine (La Haye)/Observations géographiques sur la Tartarie
L’empire de la Chine, outre les quinze provinces qui le composent, et dont nous avons parlé dans la première partie de cet ouvrage, renferme encore tous les pays qui sont au-delà de la grande muraille, et qui dépendent maintenant du gouvernement des Tartares Mantcheoux, dont l’ancien pays est proprement la Tartarie orientale. C’est là, où quelques-uns de nos écrivains ont placé les royaumes de Niu ché et de Niu lan, noms inconnus aux Tartares, qui en ont été les habitants, et qui ne sont en usage que chez quelques géographes chinois, qui n’en ont pu écrire que sur le rapport des gens du Leao tong ou Quan tong, peu disposés à donner des noms honorables à des voisins si fâcheux, et à louer un pays qu’ils ne pouvaient aimer. Ces géographes mêmes n’en ont donné aucun détail, de sorte que des terres si vastes, et habitées par une nation, qui a même dominé à la Chine vers le treizième siècle, sous le nom de Kin tchao, ont été presque inconnues, même à Peking par les plus grands et les plus habiles des Chinois. Tel est ou leur mépris pour les étrangers, ou l’amour du repos domestique.
Aussi on peut dire avec vérité que la carte qu’on donne de la Tartarie, même la plus voisine de la Chine, non seulement est nouvelle, mais encore la première qui ait paru, soit à la Chine, soit en Europe, où elle doit être encore mieux reçue par les géographes, qui n’ont pu jusques à présent peindre la plus grande partie de l’Asie, que sur des bruits incertains, et sur des mémoires tout à fait indignes de l’attention du public.
Mais pour ne pas donner dans l’inconvénient que nous venons de remarquer sur les noms, nous avons cru devoir mettre sur notre carte, ceux dont on se sert dans le pays. Ainsi les terres des Mantcheoux ont les noms Mantcheoux ; celles des Mongous, les noms Mongous. De quelle utilité serait-il à un voyageur, qui parcourrait la Tartarie, de savoir, par exemple, que le fleuve Saghalien est appelé par les Chinois Hé long kiang, puisque ce n’est pas avec eux qu’il a à traiter, et que les Tartares dont il a besoin, n’ont peut-être jamais entendu ce nom chinois ?
Aussi l’empereur ordonna-t-il, dès qu’on commença à travailler à la carte, qu’on écrivît en tartare les noms tartares, et en chinois les noms chinois : parce qu’en effet on ne saurait écrire en chinois les noms tartares, non plus que les européens, sans les défigurer, jusqu’à les rendre souvent méconnaissables : les Chinois avec tant de caractères, ne peuvent exprimer tous les sons que les lettres tartares et européennes expriment sans peine : au lieu qu’en prenant les noms ainsi qu’ils sont prononcés par les nations différentes, on peut les écrire avec nos seules lettres, de telle sorte qu’ils seront entendus par quelque Chinois et quelque Tartare que ce soit.
Mais comme il y a parmi les Tartares deux langues comme générales, celle des Mantcheoux, et celle des Mongols ou Mongous ; de là vient qu’on ne trouvera écrits en caractères européens, que trois sortes de noms dans notre carte de Tartarie. Les noms chinois dans les villes, qu’ils ont possédées autrefois hors de la grande muraille, dans la province de Leao tong ou Quan tong, et qui la plupart n’ont pas été changés. Les noms mantcheoux pour tous les lieux de l’ancien pays de cette nation, et de quelques autres voisines peu considérables. Enfin les noms mongous, pour marquer les districts des princes mongous, qui obéissent a l’empereur, de qui ils reçoivent l’investiture, et certains avantages attachés au titre dont il les honore.
On voit par ce que nous venons de dire, qu’une partie de la Tartarie est gouvernée par ses princes, qui sont les maîtres de cette nation, et de leurs terres, quoiqu’ils relèvent de l’empereur : et que l’autre est immédiatement soumise à Sa Majesté, qui envoie des gouverneurs et des officiers, comme dans les autres provinces de l’empire.
Cette première partie comprend toutes les terres, ou, comme ont parlé quelques-uns de nos écrivains, les royaumes des Tartares Mongous : quoique ces pays, tout vastes qu’ils sont, soient sans villes, sans forteresses, sans ponts, et même sans presqu’aucune commodité pour la vie civile.