Description de la Chine (La Haye)/Extrait d’un livre contenant un recueil d’histoires

Scheuerleer (2p. 322-330).


Extrait d’un livre contenant un recueil d’histoires, qu’on a soin de lire aux enfants.


I

L’auteur commence par raconter la piété de Chun : il ne pouvait guère remonter plus haut dans l’histoire chinoise, toute ancienne quelle est. Ce Chun se rendit recommandable par sa parfaite soumission envers ses parents, dont il eut beaucoup à souffrir. L’empereur Yao fut instruit de son mérite, et de simple laboureur qu’il était, il le fit son successeur à l’empire, à l’exclusion de ses propres enfants, en qui il ne trouvait pas assez de vertu.


II

Un bon vieillard, sous la dynastie des Tcheou, avait un fils âgé de soixante et dix ans : celui-ci, pour divertir son père, et lui ôter l’idée de la décrépitude, contrefaisait devant lui le petit enfant, prenant des habits de différentes couleurs, imitant les jeux et les cris des enfants, sautant autour de lui, se laissant tomber à dessein, et se roulant à terre, content s’il pouvait par là faire rire le bon vieillard, à qui d’ailleurs il fournissait avec soin toutes les choses dont il avait besoin.


III

Sous le second règne des Han, un jeune enfant nommé Hoang hiang, ayant perdu sa mère à l’âge de neuf ans, pensa en sécher de douleur. Il redoubla d’affection pour son père. L’été il éventait longtemps le chevet, et la natte sur laquelle son père devait reposer ; et l’hiver il se couchait avant lui, pour échauffer la place, qu’il lui cédait ensuite. Le mandarin du lieu, qui apprit l’attention pleine de tendresse du jeune enfant, en fut si charmé qu’il fit ériger un monument public et durable de cette piété filiale, afin d’exciter la jeunesse à y exceller.


IV

Du temps des empereurs Tsin, un autre enfant de huit ans, appelé, Ou muen, donna une marque encore plus grande de la tendresse pour ses parents : ceux-ci étaient si pauvres, qu’ils n’avaient point de tour de lit pour se défendre en été des moucherons, qui infestent pour lors les maisons : le petit Ou muen se tenait près du lit ; et là se mettant nu jusqu’à la ceinture, il exposait sa chair délicate à la discrétion des moucherons sans les chasser : Quand ils se seront rassasiés de mon sang, disait-il, ils laisseront en repos mes parents. C’est ainsi qu’il les aimait.


V

Min sun perdit sa mère étant fort jeune. Son père se remaria ; il eut deux enfants de sa seconde femme : celle-ci maltraitait sans cesse Min sun ; il ne s’en plaignait point : un jour il tomba évanoui aux pieds de son père ; alors il en connut la cause, et voulait renvoyer la cruelle marâtre. Min sun l’en empêcha. Mon père, lui dit-il, nous sommes trois enfants dans la maison ; je suis le seul qui souffre et si vous renvoyez notre mère, nous souffrirons tous trois. Le père fut attendri de ce discours ; et la marâtre qui en eut connaissance, devint une vraie mère à l’égard de Min sun.


VI

Voici un autre trait où l’on voit, pour parler le style chinois, que la vertu force les cœurs les plus féroces à l’admirer et à l’aimer : il a quelque rapport à l’histoire de Pilade et d’Oreste.

Deux frères nommés, l’un Tchang hiao, et l’autre Tchang li, n’oubliaient rien pour fournir à l’entretien de leur mère. Le pays fut affligé d’une étrange famine, par la disette des grains. L’aîné Hiao revenant un jour de la campagne, où il avait recueilli quelques racines, tomba malheureusement entre les mains de certains brigands affamés, et si barbares, qu’ils égorgeaient, et mangeaient ceux qu’ils attrapaient. Comme ils se préparaient à donner le coup de la mort à Hiao : Messieurs, leur dit-il, en pleurant, j’ai laissé à la maison ma mère fort âgée, elle meurt de faim ; permettez-moi de lui aller porter ces racines que j’ai ramassées, et je vous jure que je reviendrai aussitôt ; alors je n’aurai point de peine à quitter la vie. Ces barbares se laissèrent toucher, et lui permirent d’aller chez lui, à la condition qu’il proposait. Hiao arrive au logis, et raconte ce qui s’était passé. Son cadet Li part aussitôt à la dérobée, et va se livrer aux voleurs. Celui-ci, dit-il, à qui vous avez permis d’aller secourir sa mère, c’est mon frère ; il me passe de beaucoup en mérite : et moi, comme vous voyez, je suis d’une autre corpulence que lui : tuez-moi à la place. L’aîné Hiao s’étant aperçu de la fuite de son frère, et se doutant de son dessein, accourut vite au rendez-vous : C’est moi, disait-il, qui ai engagé ma parole ; je viens la dégager : n’écoutez point, je vous prie, ce que dit mon frère. Ces hommes altérés de sang, frappés de cet attachement filial, et de cet amour réciproque des deux frères, les renvoyèrent sans leur faire aucun mal.


VII

La dame Ly apprit que son fils séant dans son tribunal, s’était emporté jusqu’à faire mourir sous le bâton un soldat, et que le murmure des troupes sur cette action violente croissait de moment à autre : elle sort aussitôt de son appartement intérieur, se rend au lieu de l’audience, où le jugement avait été porté et exécuté. Le mandarin s’étant aussitôt levé par respect, elle s’avance, se place dans son siège, et lui ordonne de se mettre à genoux ; et lui reprochant sa cruauté : Quoi, mon fils, lui dit-elle, l’empereur vous a-t-il confié l’autorité que vous avez, pour en abuser, comme vous venez de faire ? puis se tournant vers les exécuteurs de la justice : Qu’on dépouille mon fils, ajouta-t-elle, et qu’on le frappe sur les épaules : je suis sa mère, je lui impose ce châtiment. Les officiers subalternes se jetèrent à terre, et demandèrent grâce. C’est ainsi que l’autorité maternelle apaisa une émotion qui s’élevait, corrigea l’humeur fière et emportée de son fils, et conserva dans sa maison un emploi distingué, qu’il était sur le point de perdre.


VIII

La mère d’un nommé Ouei pe yu ne se contentait pas des menaces. Si son fils déjà âgé commettait quelque faute, elle prenait la verge et le frappait elle-même. Ce fils obéissant pliait les épaules, et souffrait humblement le châtiment, sans se plaindre. Un jour, recevant des coups, il se mit à pleurer, et à jeter un grand cri. Eh quoi, mon fils, dit la mère, vous commencez donc à vous plaindre, et à supporter impatiemment ma correction ? Non, ma mère, répondit-il ; ce n’est pas là ce qui me fait jeter ce cri ; c’est que la dernière fois que vous me fîtes une réprimande, comme je le méritais, les coups que vous me donniez me causaient de la douleur ; aujourd’hui que je n’en sens point, je m’aperçois que vos forces ont beaucoup diminué : voilà ce qui m’afflige. Cette réponse si pleine de soumission et de tendresse, étant devenue publique, fit beaucoup d’honneur à Ouei pe yu.


REMARQUE.


Au reste, ce n’est point l’espérance de recueillir un riche héritage, qui rend les Chinois si soumis à leurs parents : les mères en particulier n’ont point de testament à faire. D’ailleurs une bonne preuve que ce respect filial a dans le cœur un autre principe, c’est que cette tendresse pour un père et pour une mère, dure à la Chine après leur mort, au lieu qu’en Europe ils sont souvent bientôt oubliés.


IX

Sous le règne des Song, un nommé Keou hai kang, dont le père avait été grand mandarin, aimait dans sa jeunesse le plaisir et les divertissements : il perdait beaucoup de temps à se promener à cheval, ou à la chasse du faucon et de l’épervier. Sa mère se fâchait souvent contre lui à ce sujet. Un jour, perdant patience, elle lui jeta le premier meuble qui lui tomba sous la main : il en fut blessé au pied ; il comprit alors combien sa conduite déplaisait à sa mère. Il changea, et devint très appliqué à l’étude des livres ; ce qui l’éleva à de grandes charges. Après la mort de sa mère, il ne voyait, ni ne touchait jamais la cicatrice de sa plaie, qu’il ne fût attendri, et qu’il n’éclatât en soupirs et en sanglots, regrettant une si bonne mère, qui avait eu si fort à cœur la réforme de sa vie, et l’amendement de ses mœurs.


X

La repartie de Sie tchang, qui n’était âgé que de huit ans, fut applaudie dans une compagnie de savants. Son père le menait par la main dans les assemblées de lettrés, où il assistait. Ce jeune enfant avait un air grave, sérieux, et modeste, beaucoup au-dessus de son âge. Un jour dans un cercle de savants, où il était, on s’avisa de dire à son père : En vérité, votre fils est un autre Yen hoei. C’était un des élèves de Confucius, le plus respecté, dit-on, pour sa vertu, et digne disciple d’un tel maître. Sie tchang répliqua aussitôt : On ne voit pas de nos jours un second Confucius ; comment se trouverait-il un autre Yen hoei ?


XI

Le fameux Yang sieou est venu de la plus basse extraction ; on le voit dans une des estampes du livre en question, représenté si pauvre, que n’ayant pas de quoi aller à l’école, ni de quoi acheter des plumes et du papier, pour apprendre à écrire, sa mère avec une baguette lui formait sur le sable les caractères, et les lui faisait ensuite lire et imiter.


XII

Fan chun gin passait les nuits à étudier, et devint par son travail grand mandarin. Sa femme après sa mort, pour animer ses enfants à l’étude, leur montrait souvent le tour de lit, dont leur père s’était servi avant que d’être docteur. Remarquez, disait-elle, comment le ciel de ce lit est tout noir de la fumée de la lampe : votre père ne pouvait quitter les livres, pour prendre un peu de repos ; c’est ce qui l’a élevé jusqu’à être ministre d’État.


REMARQUE.


Il arrive souvent que les enfants ou les petits-fils de mandarins, retombent par leur indolence dans l’état de roture et de pauvreté dont leurs parents s’étaient tirés ; pendant que d’autres par une étude opiniâtre font de grandes fortunes.


XIII

Se ma yung si connu des savants, dès l’âge de sept ans, oubliait de boire et de manger, et semblait être insensible au froid et au chaud tant il était attaché à ses livres. A quinze ans il y avait peu de livres qu’il ne possédât, (c’est-à-dire, qu’il pouvait réciter plusieurs volumes.) Afin de s’empêcher de dormir, il se servait pour chevet d’un billot extrêmement rond ; lorsqu’accablé de sommeil, le livre lui tombait des mains, sa tête penchait sur le chevet : il était bientôt réveillé par le moindre mouvement qu’il donnait à ce chevet dur et glissant.


XIV

Un autre nommé Tsun king, qu’on appela le docteur à huit clos, Pi hou, parce qu’il sortait rarement, pour résister au sommeil en étudiant, avait suspendu une corde au haut du plancher, à laquelle ses cheveux étaient noués : c’était là ce qui le défendait des surprises du sommeil.

Un autre qui était très pauvre, au fort de l’hiver, lisait ses livres à la clarté de la lune. Un autre appelé Tche ing ayant fermé dans une gaze fort déliée des vers luisants, appliquant sa gaze aux lignes de son livre, étudiait une partie de la nuit.


REMARQUE.


Au reste, ce n’est point pour avoir passé un petit nombre d’années sur les livres, qu’un pauvre lettré parvient à une meilleure fortune : il lui faut une constance à toute épreuve : elle est assez bien exprimée par le trait suivant.


XV

Li pe, qui devint un des premiers docteurs de la cour sous le règne des Han, s’était adonné à l’étude dès sa plus tendre jeunesse : il revenait une année de l’examen général de toute la province ; et chagrin de n’avoir pas réussi, il désespéra d’obtenir jamais le degré de sieou tsai. Ainsi il résolut de renoncer aux lettres, et de tourner ses vues d’un autre côté. Comme il roulait cette pensée dans sa tête, il rencontra une vieille femme, qui passait et repassait sur une pierre à aiguiser un gros piston de fer : il s’arrêta un moment. Que prétendez-vous faire de ce piston, lui dit-il ? Je veux, répliqua-t-elle, à force de le frotter en tout sens, en faire une aiguille pour de la broderie. Li pe rentrant en lui-même, conçut ce mystère ; et au lieu de continuer son chemin vers sa maison, il retourna à l’ancien lieu de son étude, pour s’y appliquer avec une nouvelle ardeur, et il parvint dans la suite à de grands emplois.


REMARQUE.


L’auteur dont on tire ces exemples sur l’amour filial, et sur l’application à l’étude, finit son livre, en rapportant des traits d’histoire sur différentes vertus propres de l’honnête homme. En voici quelques-uns.


XVI

Sous le règne des Song, un philosophe nommé Fan tchung siuen disait à ses disciples : Toute ma science s’est rapportée à entendre et à mettre en pratique ces deux points : droiture, douceur ; et je vois qu’il me reste sur cela encore beaucoup à apprendre et à pratiquer. Il n’est guère de personnes, ajoutait-il, quelque grossières qu’elles soient, qui en reprenant les autres, ne marquent avoir de l’esprit. De même les plus éclairés, lorsqu’ils veulent excuser leurs fautes, font paraître leur peu de lumières. Il faudrait, pour bien faire, se reprocher ses défauts avec la même disposition de cœur, qu’on se sent en faisant une réprimande à autrui, et pardonner les manquements des autres, comme l’on se pardonne les siens propres. En tenant constamment cette conduite on arriverait à un haut degré de sagesse et de vertu.


XVII

Voici encore un sage mandarin du temps des Song nommé Fan, mais dont le surnom est Tchung yen. Il n’avait nulle attache à ses richesses ; son plaisir était d’en faire part aux pauvres, et surtout à ceux de sa parenté, qui était très nombreuse. Pour rendre cette bonne œuvre durable, il fit acheter de grandes terres, dont le revenu devait être employé à perpétuité pour la subsistance des pauvres, et surtout de ceux de la famille, qui n’avaient pas de quoi fournir aux vêtements, aux mariages, et aux obsèques. Au reste il ne voulait point que son économe examinât si ses parents étaient proches ou éloignés, Tout ce que nous sommes de Fan, disait-il, dans les provinces de Kiang nan et de Kiang si, nous sortons tous d’une même tige, et de ce premier qui s’est établi en ce pays : nous sommes tous ses fils et ses petits-fils, nous ne faisons tous qu’une même famille : depuis plus de cent ans je suis le seul de la famille qui ait fait fortune ; c’est-à-dire, que durant plus de cent ans nos pères ont amassé des vertus ; le fruit des vertus de tant de particuliers a commencé à se faire sentir en moi, et j’ai été élevé aux charges : si je prétendais seul, moi et mes enfants, jouir de mes richesses, sans en faire part indifféremment à nos pauvres parents, avec quel front après ma mort, oserais-je paraître devant nos ancêtres ? et à présent n’aurais-je pas honte d’entrer dans le tse tang de la famille, c’est-à-dire, la salle, ou le lieu qui conserve les tablettes des ancêtres ?


XVIII

Sous la dynastie des Tang qui régnaient au temps de la venue de Jésus-Christ, Kung y fut fameux par un endroit. Il vit ses descendants jusqu’à la neuvième génération, qui ne faisaient tous qu’une même famille, parfaitement unie et paisible. L’empereur Kao tsong voulut voir cette merveille. Comme il passait pour se rendre à Tai chan, il honora la maison de Kung y de sa présence : il fit venir le bon vieillard, et lui demanda par quel moyen il maintenait l’union et la paix parmi tant d’enfants et de petits-fils. Kung y se fit apporter du papier, une plume, et de l’encre et il écrivit plus de cent fois la lettre gin, qui signe patience. Ensuite il présenta son papier à l’empereur : il voulait dire par là que les divisions dans les familles viennent du chagrin qu’on a de voir les uns mieux partagés que les autres, mieux vêtus, mieux traités, plus caressés, plus ménagés, plus honorés, plus heureux. Or la patience, quand on a su l’inspirer et la ménager, prévient ces désordres, et maintient les esprits dans l’union, et dans la concorde.


XIX

On vit de même du temps des Song la famille des Li ouen tching, composée de plus de trois cents bouches, tant fils que petits-fils et arrière-petits-fils, vivant tous ensemble, mangeant en commun, sans avoir fait le partage des terres et des biens. Ceux de sa famille, qui étaient mandarins, envoyaient leur superflu pour être mis dans la masse commune, d’où l’on tirait ce qui était nécessaire pour les besoins de toute la famille.


XX

Ouang Ouen fut élevé aux premières charges dans un âge avancé ; toutes les fois qu’il touchait ses appointements, il soupirait en baissant la vue puis se tournant vers ses domestiques : Cet argent que je reçois, leur disait-il, c’est la substance et le sang du pauvre peuple ; j’ai regret de l’employer à mon entretien.


XXI

Tchang tchi pe étant devenu grand mandarin, ne changea rien, ni à la table, ni à ses habits, ni aux ameublements de son hôtel, et il tenait ses domestiques dans la plus grande modestie. Vous vous trompez, lui disaient ses amis : en évitant la dépense, vous croyez vous faire la réputation d’un magistrat intègre ; mais votre frugalité passera pour une épargne sordide. Croyez-moi, mes amis, leur répondit-il ; la fortune est changeante ; aujourd’hui je suis employé, demain mon emploi me sera enlevé ; on passe aisément de la disette à l’abondance ; mais s’est-on accoutumé au luxe et à la bonne chère ? Qu’il en coûte, s’il faut revenir à sa première médiocrité ! Notre vie n’est, pour ainsi dire, qu’un jour ; faisons en sorte qu’elle soit unie et égale.


XXII

Siu moei et Yang yu étaient unis très étroitement, avant même qu’ils fussent parvenus aux grands emplois. Siu devait à Yang le commencement de sa fortune. Yang perdit la charge ; il descendit d’un degré, et fut obligé d’aller fort loin, et dans un très méchant poste, être mandarin d’un rang inférieur. On comprit qu’il était mal en cour ; ainsi il se vit tout à coup abandonné de tous ses amis ; on craignait de paraître avoir eu quelque liaison avec lui. Siu moei lui marqua la même affection qu’auparavant. Au départ d’Yang personne ne parut pour le saluer. Siu moei l’accompagna assez loin de la ville jusqu’au premier reposoir qui était sur le chemin, à une lieue des murailles : et là, après de grandes démonstrations d’amitié, ils se séparèrent. Cet attachement fidèle et intrépide, qui devait, disait-on, le perdre, vint aux oreilles du ministre. Peu de jours après il l’avança considérablement : celui-ci ne savait quelle pouvait être la cause d’une élévation si subite. En remerciant le ministre : Seigneur, lui dit-il, je n’ai jamais eu l’honneur de paraître en votre présence, et vous me comblez de bienfaits. Le ministre répliqua ce peu de mots : Je vous ai donné de l’emploi, parce que je suis persuadé que celui qui répond si bien aux services et à l’amitié d’Yang, ne saurait manquer de répondre aux faveurs de son prince.


XXIII

Ly ouen pe était parvenu par son mérite et par la science, aux premières dignités de la cour : il y conduisit sa mère. Un jour revenant du palais à son hôtel, il entra avec ses habits de cérémonie dans l’appartement de sa mère, pour s’informer de l’état de sa santé ; et l’ayant trouvée (ainsi que la représente l’estampe du livre) assise sur un tabouret, occupée à filer : Eh quoi, Madame, lui dit-il, devenue maîtresse dans la famille d’un Grand de la cour, vous filez ? Elle jetant à ces mots un profond soupir, s’écria : Le royaume est-il donc sur son déclin ? Je vois qu’on confie le gouvernement à des mandarins qui parlent comme de jeunes gens sans expérience : ils veulent inspirer une vie molle et oisive. Restez-là un moment, et écoutez-moi : Quand le corps travaille, l’esprit est occupé et recueilli ; et l’esprit étant appliqué à son devoir, la vertu se forme dans le cœur. Mais vit-on dans l’oisiveté ? Elle conduit au libertinage ; le libertinage étouffe entièrement la vertu ; et un cœur sans vertu se livre bientôt aux plus grands désordres. Ne voyons-nous pas qu’un peuple qui habite un pays gras, n’est nullement industrieux ; au lieu que les habitants d’une terre maigre et stérile, sont actifs, adroits, laborieux ? Avez-vous oublié, en m’adressant la parole qui vous a échappé, que nos anciennes impératrices travaillaient de leurs mains pour l’usage des princes et de l’empereur, soit à des couronnes, soit à des ceintures, et que les femmes des mandarins avaient leur occupation manuelle marquée par la coutume ? Je m’attendais que vous seriez le premier à me rappeler le souvenir de ces anciens exemples et vous me dites : pourquoi travaillez-vous ? Goûtez plutôt tranquillement les plaisirs de la vie, à présent que je suis Grand à la cour. Mon fils, ce langage me fait craindre que notre famille, et le nom de votre père, ne s’éteignent avec vous : pensez y.


XXIV

On raconte, en plaisantant sur les tireurs d’horoscope, que Hong vou, chef de la précédente dynastie, qui d’une basse naissance, s’était élevé jusqu’au trône, fit chercher avec soin dans son vaste empire, s’il y avait quelqu’un qui fût né précisément au même moment, et sous le même aspect des astres que lui. Ce parfait rapport se rencontra dans un villageois : il fut conduit à la cour. L’empereur fut surpris de le voir si pauvre ; et après l’avoir bien questionné, il apprit que ce bonhomme subsistait par le moyen de quinze ruches d’abeilles, qu’il avait. Après tout, dit-il, il y a de la ressemblance entre son sort et le mien. Je suis empereur de quinze provinces, et je n’ai pas plus de rois qui relèvent de moi, que cet homme-ci en a qui dépendent de lui car chaque ruche d’abeilles a son roi, et ces quinze rois lui paient le tribut annuel dont il subsiste. La conclusion fut pourtant que les tireurs d’horoscope étaient des imposteurs.


REMARQUE.


C’est par de semblables railleries, que les lettrés modérés tournent en ridicule les fausses sectes ; le commun des lettrés se contente d’en parler avec mépris, sans leur épargner les injures. Revenons à l’auteur, dont j’ai tiré ce qui regarde la manière d’étudier.