Description de la Chine (La Haye)/De la Province de Kiang si
TROISIÈME PROVINCE
DE L'EMPIRE DE LA CHINE
Cette province est bornée au nord par la province de Kiang nan, au couchant par celle de Hou quang, au midi par celle de Quang tong ; et elle a au levant celles de Fo kien et de Tche kiang. Les montagnes qu’elle a au midi et qui se réunissent à celles des provinces de Quang tong et de Fo kien, sont presque inaccessibles, mais l’on découvre ensuite de fort belles vallées, et les campagnes y sont très bien cultivées.
Cependant elle se trouve si peuplée, que toute fertile qu’elle est, elle ne donne pas beaucoup plus de riz qu’il en faut pour nourrir ses habitants ; aussi passent-ils pour être très économes, et leur épargne sordide leur attire la raillerie des Chinois des autres provinces. Du reste ils ont l’esprit excellent, et cette province fournit un grand nombre de gens habiles, qui parviennent aux degrés, et s’avancent dans les magistratures.
Le Kiang si est arrosé de ruisseaux, de lacs, et de rivières qui sont remplies de toutes sortes de poissons, surtout de saumons, de truites, et d’esturgeons. Les montagnes dont la province est environnée, sont toutes couvertes de bois, ou célèbres par leurs minéraux, leurs simples, et leurs herbes médicinales.
Outre que le terroir y produit abondamment tout ce qui est nécessaire à la vie, elle est très riche en mines d’or, d’argent, de plomb, de fer, et d’étain : on y fabrique de très belles étoffes, et le vin de riz qu’on y fait, passe pour délicieux au goût des Chinois. Elle est surtout recommandable par cette belle porcelaine qui se fait à King te tching, et par le riz qu’elle produit, qui est estimé dans l’empire. Aussi est-ce dans le Kiang si, qu’on en charge beaucoup de barques impériales.
La fleur de lien hoa, qui est fort estimée à la Chine, se trouve presque partout : elle croît principalement dans les lacs, de même que le nénuphar en Europe vient dans des eaux dormantes. Mais elle est bien différente du nénuphar, par sa racine, par sa fleur, et par son fruit.
Rien de plus agréable que de voir des lacs entiers tout fleuris qu’on cultive, et qu’on renouvelle chaque année par la graine qu’on y sème. Les grands seigneurs en conservent dans de petits étangs : ils en mettent quelquefois dans de grands vases, où il y a du limon et de l’eau, qui servent à parer leurs jardins ou leurs cours.
Cette fleur qui s’élève au-dessus de l’eau de deux ou trois coudées, ressemble assez à nos tulipes : elle a une petite boule soutenue par un petit filet, assez semblable au filet qui se trouve dans le lys, sa couleur est ou violette, ou blanche, ou partie rouge et partie blanche. L’odeur en est très agréable : son fruit est gros comme une noisette, l’amande qu’il renferme est blanche et de bon goût ; les médecins en font cas, et jugent qu’elle nourrit et fortifie : c’est pourquoi ils en ordonnent à ceux qui sont faibles, ou qui après une grande maladie, ont de la peine à reprendre leurs forces. Ses feuilles sont longues et nagent sur l’eau : elles tiennent à la racine par de longues queues. Les jardiniers s’en servent pour envelopper les marchandises qu’ils vendent. Sa racine est noueuse comme celle des roseaux ; sa moelle et sa chair est très blanche. On en fait état et l’on s’en sert beaucoup, surtout en été, parce qu’elle est fort rafraîchissante. Il n’y a rien, comme on voit, dans cette plante qui ne soit utile, car on en fait même de la farine, qui s’emploie à différents usages.La rivière de Kan kiang divise toute la province en deux parties, qui contiennent treize villes du premier ordre, et soixante et dix-huit villes, tant du second, que du troisième ordre.
NAN TCHANG FOU
C’est une des meilleures villes, qui soient situées au bord des belles rivières. Elle fut autrefois ruinée par les Tartares, dont elle refusa de subir le joug : ils y mirent le feu, et il n’en restait que les murailles. Mais on l’a rebâtie depuis.
L’enceinte de ses murs est moins grande, et le long du port, la rivière est assez profonde ; ce qui la rend très marchande, ce sont les canaux, les rivières, d’où on peut aborder de tous côtés. Elle n’est pas éloignée du grand lac Po yang. C’est au bout de ce lac que passe la rivière, qui vient de l’extrémité méridionale de la province, après en avoir ramassé presque toutes les eaux.
La porcelaine qui se fait dans le ressort de Iao tcheou fou, bâti sur le bord oriental du même lac, est la marchandise sur laquelle roule tout son commerce, et qui y attire un grand nombre de marchands de toutes les provinces ; car l’espèce de porcelaine qui se fait à Canton dans la province de Fo kien et en quelques autres endroits, n’est pas même tant estimée à la Chine, que la faïence l’est en Europe : les étrangers ne peuvent s’y méprendre, car elle est d’un blanc de neige qui n’a nul éclat, et n’est point mélangée de couleurs.
Il paraît que l’eau du lieu où l’on travaille la porcelaine, contribue à sa beauté et à sa bonté. On n’y réussit pas de même ailleurs, quoiqu’on y emploie de semblables matériaux. Ces matériaux ne se trouvent pas seulement sur les confins de cette province ; mais ils se trouvent encore dans un même endroit, sur les confins de la province de Kiang nan. Mais quelle est cette terre, et comment faut-il la travailler ? c’est ce qu’on trouvera dans la suite de cet ouvrage ; et comme une simple description ne suffit pas, pour distinguer exactement quelle est la nature des pierres et des terres qui se mettent en œuvre, il m’est venu de la Chine des montres, ou si l’on veut des échantillons de ces différents matériaux, qu’on a remis au savant M. De Réaumur l’un des illustres membres de l’académie des sciences, qui est bien capable d’en trouver de semblables, s’il y en a effectivement dans quelque province de France.
Huit villes relèvent de Nan tchang, dont sept sont du troisième ordre et une seule du second. Ses campagnes sont si bien cultivées, qu’à peine trouve-t-on des endroits, où les bestiaux puissent paître. Elle a toujours fourni un grand nombre de gens de lettres, et elle est remplie de personnes de distinction.
Le viceroi y tient sa cour, et il y a des officiers et des magistrats considérables. Sous la dynastie précédente on y voyait plusieurs familles de princes de la maison impériale, dont la fortune avait quelque chose de bizarre, mais qui n’était pas sans éclat. Maintenant tous les princes sont à la cour, et il ne leur est pas permis de s’en écarter.
Cette ville qui a dans son ressort sept autres villes du troisième ordre, est très belle et très agréable par sa situation : elle est placée sur le bord septentrional du lac Po yang, et environnée de rivières qui se jettent dans ce lac.
Tout le pays est plat : les rivières qui l’arrosent, le rendent extraordinairement fertile, mais elle est surtout célèbre par la belle porcelaine qui se fait dans une bourgade de son district, nommé King te tching.
Ce bourg, où sont les vrais ouvriers de la porcelaine, est aussi peuplé que les plus grandes villes de la Chine : il ne lui manque qu’une enceinte de murailles, pour avoir le nom de ville. Ces endroits, nommés tching, qui sont d’un grand abord et d’un grand commerce, n’ont pas d’enceinte. On compte dans ce bourg plus d’un million d’âmes : il s’y consomme chaque jour plus de dix mille charges de riz, et plus de mille cochons, sans parler des autres animaux dont ils se nourrissent. Les logements des gros marchands occupent un vaste espace, et contiennent une multitude prodigieuse d’ouvriers.
Au reste King te tching a une lieue et demie de longueur sur une belle rivière : ce n’est point un tas de maisons, comme on pourrait se l’imaginer : les rues sont fort longues, elles se coupent et se croisent à certaine distance ; tout le terrain y est occupé, les maisons mêmes ne sont que trop serrées, et les rues trop étroites ; en les traversant on croit être au milieu d’une foire, et on entend de tous côtés les cris des portefaix, qui se font faire passage,
La dépense y est bien plus considérable qu’à Iao tcheou, parce qu’il faut faire venir d’ailleurs tout ce qui s’y consomme, et même jusqu’au bois nécessaire pour entretenir le feu des fourneaux, qu’on fait venir à présent de près de cent lieues. Cependant nonobstant la cherté des vivres c’est l’asile d’une infinité de pauvres familles, qui n’ont point de quoi subsister dans les villes des environs. On y trouve à employer les jeunes gens, et les personnes les moins robustes. Il n’y a pas même jusqu’aux aveugles et aux estropiés, qui y gagnent leur vie à broyer les couleurs. Anciennement on n’y comptait que trois cents fourneaux à porcelaine, maintenant ils se montent jusqu’à environ cinq cents.
King te tching est placé dans une plaine environnée de hautes montagnes ; celle qui est à l’orient, et contre laquelle il est adossé, forme en dehors une espèce de demi cercle ; les montagnes qui sont à côté, donnent issue à deux rivières qui se réunissent : l’une est assez petite, et l’autre est fort grande, et forme un beau port de près d’une lieue dans un vaste bassin, où elle perd beaucoup de sa rapidité. On voit quelquefois dans ce vaste espace jusqu’à deux ou trois rangs de barques, à la queue les unes des autres.
Tel est le spectacle qui se présente à la vue, lorsqu’on entre par une des gorges dans le port. Des tourbillons de flammes et de fumée qui s’élèvent en différents endroits, font d’abord remarquer l’étendue, la profondeur, et les contours de King te tching. A l’entrée de la nuit on croit voir une vaste ville toute en feu, ou bien une grande fournaise qui a plusieurs soupiraux.
Il n’est point permis aux étrangers de coucher à King te tching : il faut, ou qu’ils passent la nuit dans leurs barques, ou qu’ils logent chez des gens de leur connaissance, qui répondent de leur conduite. Cette police, joint à celle qui s’observe jour et nuit dans le bourg même, comme dans les villes ordinaires, maintient tout dans l’ordre, et établit une sûreté entière dans un lieu, dont les richesses réveilleraient la cupidité d’une infinité de voleurs.
Quoique cette ville soit située au milieu des montagnes, qui sont la plupart fort élevées, et d’une grande étendue, il ne faut pas croire que le pays en soit plus désert et moins habité : grand nombre de ces montagnes sont partagées en terres labourées, qui ne cèdent en rien aux plaines les plus fertiles, et l’on y trouve quantité de bourgs et de villages. Il y a des montagnes qui forment de grandes forêts, et d’autres qui produisent un beau cristal : on y fait de fort bon papier, et les meilleures chandelles qui se trouvent dans l’empire.
Tout ce pays confine avec les provinces de Fo kien, et de Tche kiang : la facilité de se réfugier dans les montagnes, donnait autrefois lieu aux voleurs de faire impunément de mauvais coups, et l’empereur tenait dans la ville une assez forte garnison pour leur donner la chasse. Comme l’entrée dans la province par ce côté-là rend les chemins étroits, et semblables à des défilés, que les montagnes resserrent de part et d’autre, il est très aisé de défendre ces passages, et en cas de soulèvement d’une province voisine, de se garantir de toute invasion. La juridiction de Koang sing fou s’étend à sept villes du troisième ordre.
Cette ville, qui n’a dans son ressort que quatre villes du troisième ordre, est située sur les bords du célèbre lac Po yang. Ce lac a trente lieues de longueur, et est large d’environ quarante. Il fournit toutes sortes de poissons excellents, et partage en deux parties cet endroit de la province. Les campagnes produisent abondamment du riz, du froment, des fruits, et des légumes. Les montagnes sont en partie cultivées, et en partie couvertes de bois épais : il y en a qui ont cinq lieues de longueur. Une espèce de chanvre croît aux environs de la ville, dont on fait des habits très commodes pour l’été.
C’est une grande ville très marchande : elle est située sur le bord méridional du fleuve Yang tse kiang et assez proche de l’endroit, où le grand lac Po yang se joint à ce fleuve. Ainsi elle est environnée d’eau au nord et au levant. Elle est comme le rendez-vous de toutes les barques qui vont et viennent des autres villes de cette province, et des provinces de Kiang nan et de Hou quang. Quoiqu’elle soit à près de cent lieues de la mer, on y pêche dans la rivière, qui baigne ses murs, des saumons, des dauphins, et des esturgeons. Il y a flux et reflux à la nouvelle et à la pleine lune. Ses eaux coulent si lentement depuis cette ville jusqu’à la mer, que son cours est presque imperceptible.
C’est sur la frontière de la province de Fo kien que cette ville est située dans un pays agréable et fertile. Cinq villes du troisième ordre, relèvent de sa juridiction : elle est célèbre, mais elle l’était bien davantage autrefois. Le vin de riz qu’on y fait, est assez bon, mais le riz ordinaire qu’on y recueille, ne l’est guère ; les gens de considération en font venir pour leur usage d’une ville voisine. Il y a cependant une sorte de riz rouge qui a bon goût, et qui est très sain. On y fabrique une espèce de toile de chanvre, qui est en réputation, et dont on se sert pendant les chaleurs de l’été.
Cette ville est située sur le bord d’une rivière, dans une grande plaine assez fertile : l’enceinte de ses murailles est plus grande qu’aucune ville qu’on voit en France, excepté Paris. Son gouvernement peut avoir vingt à vingt cinq lieues d’étendue : six villes du troisième ordre en relèvent.
A en juger par ce qui reste encore de son ancienne beauté, c’était avant les dernières guerres une des plus florissantes villes de l’empire ; mais depuis que les Tartares l’ont saccagée, ce n’est presque plus qu’un amas de ruines et de masures, au milieu desquelles on voit d’espace en espace quelques maisons qu’on tâche de relever, et qui forment des espèces de hameaux, de villages, et de bourgs dans l’enceinte de la ville même, si l’on excepte le côté de l’orient qui est bien bâti, et où sont presque tous les tribunaux des mandarins.
On compte quarante à cinquante mille âmes tant dans la ville que dans les faubourgs. La campagne en récompense est fort peuplée, et fort bien cultivée. On y fait en plusieurs endroits double récolte de riz tous les ans, et c’est du district de cette ville, qu’on tire ordinairement la plus grande partie du riz, que la province est obligée de fournir chaque année à l’empereur : le riz y est très bon, et d’une blancheur qui éblouit.
L’air y est pur et très sain. Rien de plus agréable que ses montagnes, d’où il sort des ruisseaux et des rivières, qui arrosent tout le pays, et le fertilisent. Aussi y trouve-t-on les vivres en abondance. Les figues y viennent fort bien ; un missionnaire y avait planté dans son jardin des treilles, qui produisaient de fort bon raisin noir, et dont il faisait du vin mais pour ce qui est des autres fruits, ils y mûrissent difficilement, apparemment parce que le terroir est trop humide.
C’est dans le district de cette ville, et à trois lieues de distance sur le bord de la grande rivière, qui venant du midi, traverse toute la province, que se trouve un tching ou bourgade, dans laquelle il se fait un très grand commerce de drogues et de simples, parce que c’est un port célèbre, où se rendent exprès de toutes les parties méridionales, les barques chargées d’herbes médicinales, dont se composent les remèdes, et où l’on vient les chercher des autres provinces. Pour ce qui est de l’enceinte de la ville, elle n’est guère peuplée ; il y a peu de commerce ; on n’y fait pas grande dépense, et l’on dit en riant qu’un cochon suffit à toute la ville pour deux jours. Elle n’a dans son ressort que quatre villes du troisième ordre.
Elle est située à deux lieues et demie du fleuve, et sur les bords de la rivière Yu ho. Son terroir est bon, et le climat est sain : on y cueille d’excellentes oranges qu’on transporte dans les provinces voisines, et c’est là presque tout son commerce. Les montagnes qui l’environnent, sont couvertes de grands arbres, ou de terres qu’on cultive par étages.
Neuf villes du troisième ordre ressortissent à cette ville, qui est située sur les bords de la rivière Kan kiang. C’est là qu’on commence à s’apercevoir du danger qu’il y a à descendre cette rivière. L’eau y coule avec une extrême impétuosité au travers de plusieurs rochers semés à fleur d’eau, et l’on court risque d’y périr, si l’on n’a pas de bons pilotes qui vous conduisent. Aussi toutes les barques qui en manquent, ont-elles accoutumé de s’en pourvoir dans cette ville, afin de se faire guider au-delà de ces endroits dangereux ; du moins on y loue des hommes pour aider à gouverner la barque. Car il y a dix-huit courants qui demandent beaucoup de force et d’adresse, ou pour les monter ou pour les descendre. C’est ce qu’on appelle Che pa tan. Quoique le pays soit inégal, les vallées et les campagnes n’en sont pas moins agréables, ni moins fertiles. On prétend que dans les montagnes il se trouve des mines d’or et d’argent.
Cette ville est située sur les bords d’un bras du Kan kiang. Deux enceintes de murailles en font comme deux villes, qui sont séparées par une rivière, laquelle porte en tout temps de grands bateaux, surtout depuis le mois de février jusqu’au mois d’août, que les pluies l’enflent et la grossissent.
Ces deux enceintes se communiquent l’une à l’autre par le moyen de deux ponts, l’un de pierre qui a plus de dix arcades bien bâties, et l’autre appuyé sur des bateaux, qui s’élève ou s’abaisse, à mesure que l’eau croît ou diminue.
Dans une de ces enceintes, qu’on appelle ville du nord, sont logés tous les mandarins, grands et petits, mandarins du peuple, mandarins d’armes, et mandarins des lettrés, aussi la nomme-t-on la ville mandarine. L’autre enceinte, qui s’appelle ville du midi, renferme presque toutes les familles considérables, les bourgeois, et le peuple ; il n’y a pas un seul mandarin. Comme les portes de ces deux villes se ferment pendant la nuit, s’il arrivait quelque désordre dans celle-ci, le mandarin aurait peine à remédier aussi promptement qu’il serait quelquefois nécessaire.
L’air y est doux, et si sain, qu’on lui a donné le nom de fortunée. Le pays est arrosé de ruisseaux où l’on trouve des paillettes d’or et d’argent. Ses campagnes sont très fertiles, et lui suffisent pour donner sa part du riz qui s’envoie à la cour. Les montagnes et les forêts dont elles sont environnées, forment, une vue très agréable. On tire de la pierre d’azur de ces montagnes.
Cette ville ne le cède point aux autres par la fertilité de son terroir, et par l’abondance de tout ce qu’on peut souhaiter. Elle est située sur les bords d’une rivière nommée Yu ho. On voit dans ses environs un petit lac bordé de maisons de plaisir, où ses habitants vont souvent se régaler. Elle fournit au reste de l’empire beaucoup de vitriol et d’alun. Du reste son district est peu considérable, car il ne contient que quatre villes du troisième ordre.
C’est une ville d’un grand abord, qui peut être comparée à Rouen par sa grandeur : elle est située sur la même rivière qui lui donne son nom, quoiqu’elle en reçoive une autre dans cet endroit, et qu’on l’appelle Tchang ho. Elle n’est guère moins marchande que la capitale.
On prétend qu’il y a une abondance extraordinaire d’herbes médicinales dans ses montagnes, aussi bien que dans celles de Quang sin fou, aux pieds desquelles le chef des bonzes tao ssëe, connu sous le magnifique nom de Tien se, c’est-à-dire maître céleste, fait sa résidence.
Entre Kan tcheou et Nan ngan, dont je parlerai bientôt, ce ne sont presque que des déserts : mais de Kan tcheou à Nan tchang c’est-à-dire, pendant plus de soixante lieues par la rivière, le pays est charmant, très peuplé, et très fertile.
A une journée de Kan tcheou est ce courant très rapide, qui a près de vingt lieues de longueur, dont je viens de parler, en faisant la description de la ville de Ki ngan fou. Quand on l’a une fois passé, on se trouve dans une belle rivière, six fois plus large que n’est la Seine vis-à vis de Rouen, et si couverte de barques, qu’à quelque heure du jour qu’on jette les yeux aux environs, on compte plus de cinquante bâtiments de charge à la voile.
Comme ce pays confine avec les provinces de Hou quang, de Fo kien et de Quang tong, et qu’autrefois il était infesté de voleurs, par la facilité qu’ils avaient de fuir d’une province à l’autre, on y a établi un tao ye, qui est gouverneur de deux villes du premier ordre. On y a aussi placé une douane, pour percevoir le droit qu’on exige des marchandises, qui se transportent sur les deux rivières.
Proche des murailles de Kan tcheou, et au lieu de la jonction de ces deux rivières, est un pont de bateaux. Ces bateaux sont liés et attachés les uns aux autres avec des chaînes de fer. C’est près de ce pont qu’est le bureau, où se trouve tous les jours le receveur de la douane, pour faire visiter les barques en sa présence, et examiner si l’on a payé le droit, dont je viens de parler. Un de ces bateaux est tellement disposé, qu’on le peut ouvrir et fermer quand les barques passent : il ne s’ouvre que lorsque chaque barque a été examinée. Le ressort de cette ville est fort étendu, car il contient douze villes du troisième ordre. Ce qu’il y a de plus particulier, c’est que son terroir porte une grande quantité de ces arbres, d’où coule le vernis, et ce vernis est un des plus estimés que fournisse la Chine.
C’est la ville la plus méridionale de la province : elle est grande comme Orléans, fort belle, fort peuplée, très marchande, et d’un très grand abord. C’est là que doivent aborder toutes les marchandises qu’on transporte de la province de Quang tong ou qui en viennent. Ses faubourgs sont plus grands que la ville. Elle n’a dans sa dépendance que quatre villes du troisième ordre.
Pour aller de Nan ngan à Nan hiong qui est la première ville de la province de Quang tong qu’on trouve en y entrant, il faut faire environ dix lieues par terre. Au bout de deux lieues, est une montagne fort escarpée, et si raide, qu’en quelques endroits on l’a taillée en forme d’escalier. Le sommet de la montagne est de roc de la profondeur d’environ quarante pieds : il a fallu la couper pour y ouvrir un passage. Quoique ces montagnes soient incultes, les intervalles, qui se trouvent entre deux, sont cultivés, et aussi couverts de riz que les vallons les plus fertiles.