Description de l’Égypte (2nde édition)/Tome 1/Chapitre VIII/Paragraphe 3

§. iii. Des sculptures du temple.


Le système d’ornement du temple d’Hermonthis est fort simple. Pour le temple proprement dit, il est absolument conforme au typhonium d’Edfoû. Ce qu’il y a de plus remarquable dans la décoration extérieure du temple, c’est le couronnement d’ubœus qui surmonte la corniche de la porte, couronnement qui ne se voit jamais que dans les intérieurs : aujourd’hui la chute du plafond qui recouvrait le portique l’a mis entièrement à découvert.

Les grandes colonnes du devant n’ont pas été sculptées ; les chapiteaux ne sont qu’ébauchés ; et les dés, où l’on devait tailler, comme je l’ai dit, des figures de Typhon, sont au même état. Il en est de même des murs d’entre-colonnement et des portes qui s’y trouvent : ajoutons que la pierre de ces diverses constructions est moins colorée. Il n’est donc pas douteux qu’elles ne soient postérieures au temple lui-même. C’est un fait digne de remarque, qu’une construction pareille qui est à Philæ (l’édifice de l’est) soit dans le même cas, c’est-à-dire qu’elle soit demeurée imparfaite, que la sculpture y soit à l’état d’ébauche, et qu’il ne reste rien du temple lui-même, comme si ces enceintes à jour eussent toutes été bâties dans des temps postérieurs.

Les quatre colonnes de l’enceinte intermédiaire ont des chapiteaux qui diffèrent par les ornemens ; mais chacun d’eux est répété symétriquement en face. On a cru y remarquer la feuille du palmier doûm au milieu des tiges de lotus ; sur les fûts des colonnes sont des figures faisant ou recevant des offrandes, et accompagnées de bandes d’hiéroglyphes.

Si l’on entre dans le temple, on trouve une grande régularité dans la distribution des trois rangs de tableaux qui en couvrent les murailles. Moins encombrées, moins dégradées qu’ailleurs elles permettent d’étudier complétement toutes les scènes d’un temple égyptien du second ordre. Les frises sont richement sculptées ; les figures et les attributs groupés simplement, mais non sans élégance (Voyez pl. 94, fig. 8 ; 96, fig. 3 ; 97, fig. 1). L’épervier posé sur un cube, les ailes déployées au milieu d’une multitude de tiges de lotus, offre un tableau d’une heureuse composition. Mais ce qui est ajusté avec le plus de goût, ce sont des lits de repos soutenus par des pieds de lion : la tête de l’animal est à une extrémité ; les pieds de derrière et la queue, à l’autre (pl. 96, fig. 3). On attribuait aux Grecs l’invention de cette espèce de lit, dont le goût s’est introduit en Europe depuis que nos artistes ont consenti à puiser des modèles dans l’étude de l’antique ; mais les Grecs avaient été devancés par les Égyptiens. Parmi les monumens vulgairement appelés Étrusques, et qui se rapprochent à bien des égards du style égyptien, on trouve des exemples de cette forme de meubles. Dans les temps héroïques, celui qui avait tué quelque bête féroce en portait la dépouille : quand il s’asseyait, il rejetait cette dépouille sous lui, et les quatre pattes du lion venaient s’appliquer contre les pieds du siège. De là sera venue l’idée, dans des temps moins grossiers, de sculpter ces pieds eux-mêmes suivant la forme de ceux du lion ; cela me paraît sensible, à l’inspection d’une des planches de la collection de Tischbein[1]. Toutefois je pense que les Égyptiens, qui les premiers ont imaginé cette forme de lit, ne l’ont pas employée arbitrairement, et que les formes du lion sont significatives dans les tableaux d’Hermonthis ; c’est ce qui sera développé plus loin : je passe à la description des sculptures qui ornent les trois salles du temple.

Dans la première, on voit différentes scènes, telles qu’Isis allaitant son fils Harpocrate, et recevant des sistres et différentes offrandes ; Osiris à tête d’épervier, devant qui l’on remarque un boeuf couronné d’un disque ; Isis à tête de lion, et Horus ayant des cornes de belier[2].

La seconde salle, qui est la plus grande, est pleine de représentations variées. Au-dessus de la porte d’entrée, est un grand sujet, dont le centre est occupé par un épervier qui a les ailes déployées, et la tête couronnée d’une coiffure symbolique : il se dessine au milieu d’une multitude de tiges de lotus disposées comme les branches d’un éventail ; deux femmes se tiennent devant et derrière lui, les mains élevées ; ensuite deux figures typhoniennes armées de couteaux ; enfin deux figures d’Harpocrate, l’une tenant le fléau, l’autre revêtue d’un riche collier et tenant le bâton augurai uni à la croix à anse. Je renvoie au dessin pour étudier les divers attributs de cette scène (pl. 94, fig. 8).

Au-dessous est un tableau curieux : quatre femmes allaitent chacune un enfant ; l’une d’elles regarde les trois autres ; dans l’intervalle est, d’un côté, une génisse tournée dans le même sens que cette figure, ayant un enfant placé entre les cornes, et, de l’autre, Harpocrate assis sur une grande fleur de lotus, et regardant la génisse. J’ai déjà cité, sous le rapport de la composition, cette scène remarquable, qui est agréablement terminée et comme encadrée de part et d autre par deux figures de femmes portant de grandes ailes déployées.

Sur les deux côtés de la salle, on voit une grande quantité de tableaux qu’il est impossible de décrire en détail. On en a copié quatorze, parmi lesquels il y a cinq grandes scènes complètement dessinées. Je me bornerai à en indiquer quelques-uns.

Le tableau le plus répété est celui où l’on allaite Harpocrate. On le voit aussi debout sur les genoux d’Osiris, qui le tient de la main droite ; ailleurs il est embrassé par Isis, qui lui offre un faisceau de tiges dentelées en scie : un prêtre lui présente un enfant dans une espèce de corbeille. Osiris, dans ces divers tableaux, a tantôt une tête d’épervier, tantôt une tête humaine.

Harpocrate paraissant sortir d’un lotus, avec les cheveux tressés et un fléau sur l’épaule, Isis lui prêtant la main, et une autre figure de femme lui donnant l’attribut de la divinité, forment un tableau curieux, dont le sens symbolique mérite d’être étudié (Voyez pl. 95, fig. 1). Sur le côté droit de la salle, on remarque une suite de figures d’animaux posés sur des socles, tels qu’un serpent, un cynocéphale, et aussi un chat, espèce d’animal que l’on voit rarement sculpté[3] (Ibid. fig. 4 et 6). Une autre figure de chat est aussi représentée en relief sur l’image d’un petit temple, et reçoit l’offrande d’un homme à tête d’ibis, qui a un vase en main (Ibid. fig. 5). Sur des tables dressées, on remarque des offrandes variées, consistant en fruits, en liqueurs, en gâteaux ou pains de différentes formes, en oiseaux et en quadrupèdes (Ibid. fig. 6).

On trouve deux fois un lion à tête d’épervier, assis sur un autel et coiffé des attributs de la puissance : cette figure, déjà décrite à Ombos et à Edfoû, porte ici une queue de crocodile (voyez pl. 95, fig. 2 et pl. 97, fig. 1) ; et l’autel est orné d’une figure d’homme en buste ce qui ne se voit nulle part. Dans l’un de ces sujets, Typhon se tient derrière l’autel dans une attitude lascive.

Il faut remarquer un tableau où Harpocrate est porté comme en triomphe par douze personnages : l’estrade est recouverte d’une draperie richement brodée de fleurs de lotus ; on n’aperçoit des douze figures que les pieds et la tête (pl. 97, fig.  3 et 4). Dans une frise complète, on voit quatre figures qui se tiennent la main ; l’une est un homme à tête d’épervier, et les trois autres sont des femmes, dont celle du milieu a une tête de lion : toute cette scène est digne d’être examinée, soit pour l’ajustement et la composition, soit pour la nature des attributs, parmi lesquels il faut distinguer principalement un obélisque. Typhon y est dans la même action que dans le tableau décrit précédemment[4].

Avant de passer à la troisième salle ou sanctuaire, j’arrêterai le lecteur sur une figure de girafe, animal dont le seul temple d’Hermonthis, dans toute l’Égypte, nous a présenté l’image (pl. 95, fig. 7). Elle est sculptée, au dehors du temple, sur la partie postérieure ; sa grandeur est proportionnée à celle des figures humaines qui sont sur cette face. À sa taille élevée, à ses jambes antérieures si hautes, à son cou si allongé, à sa queue très-courte, enfin à ses deux petites cornes, il est impossible de méconnaître ce quadrupède gigantesque, l’un des plus extraordinaires de l’ancien continent[5]. On sait que sa hauteur, y compris la tête, atteint quelquefois jusqu’à dix-sept pieds ; et sa longueur totale, jusqu’à vingt-deux. La mosaïque de Palestrine en renferme une figure qui ressemble beaucoup à celle d’Hermonthis : celle-ci, par la forme de sa tête et la longueur de son cou, a de l’analogie avec le chameau ; mais nous ne l’avons pas vue marquée de ces taches vives qui l’ont fait nommer chez les anciens chameau-léopard.

C’est aux naturalistes à rechercher comment la girafe, aujourd’hui inconnue en Égypte, et qui paraît reléguée dans les déserts de l’Afrique méridionale, était connue des anciens Égyptiens, et comment ils l’ont figurée dans leurs sculptures, tandis que le chameau ne s’y voit nulle part. Son extrême douceur, sa taille élevée et la force de son corps les avaient-elles portés à l’apprivoiser et à en faire un animal domestique, au défaut du chameau ? Cela est douteux, d’après ce que rapportent de la nature de la girafe les anciens auteurs, tels qu’Héliodore et Strabon, et aussi la plupart des voyageurs modernes. « La disproportion énorme de ses jambes, dit Buffon, fait obstacle à l’exercice de ses forces ; son corps n’a point d’assiette, sa démarche est vacillante, ses mouvemens sont lents et contraints : elle ne peut ni fuir ses ennemis dans l’état de liberté, ni servir ses maîtres dans celui de domesticité[6]. »

Il est plus probable qu’on avait choisi la girafe comme un emblème de quelque faculté, de quelque habitude physique. Ce serait trop hasarder que de proposer à cet égard une opinion quelconque ; le silence des anciens ne permettrait pas de l’appuyer : il me suffisait d’appeler ici l’attention des savans sur un fait neuf et digne de leurs recherches.

J’ajouterai que le temple d’Hermonthis renferme une seconde image de girafe, que j’ai dessinée dans le sanctuaire (pl. 96, fig. 3). Ici elle est couchée ; mais on la reconnaît aux deux petites cornes qu’elle a sur la tête. Le tableau où elle figure, serait bien propre à fournir des lumières sur le rôle qu’elle devait jouer dans les emblèmes égyptiens. En face d’elle est un chacal debout ; au-dessous, est une figure de Typhon, qui a un lion en face de lui. Ces quatre figures enferment un autel tout environné et couronné de tiges de lotus, et où pose un épervier qui a les ailes déployées, comme dans le dessus de porte de la première salle.

Ce tableau, placé au-dessus de la porte du sanctuaire, fait partie d’une grande scène qui en occupe toute la longueur ; on y voit Isis allaitant Harpocrate, soit sous une figure humaine, soit avec la tête d’une génisse, ainsi que plusieurs figures de femmes tenant un enfant dans les bras ou prêtes à donner leurs soins à Isis. Déjà j’ai fait remarquer la forme du lit qu’on voit dans ce tableau ; sa double décoration à tête et à pieds de lion suppose un lit épais et garni de coussins. Il faut remarquer au-dessous du lit, à droite et à gauche du support du milieu, une génisse dont un jeune enfant suce les mamelles. L’attitude de ces génisses et la manière dont chacune d’elles tourne sa tête vers cette petite figure, sont pleines de naïveté.

En face de cette scène en est une autre plus simple, mais non moins intéressante : c’est Isis elle-même qui accouche d’Harpocrate, environnée de plusieurs femmes qui lui offrent leurs secours : parmi elles on distingue une nourrice. Un scarabée, les ailes déployées, avec un globe devant lui, paraît s’élever au-dessus de l’enfant. Le haut du tableau est occupé par quatorze éperviers à tête de femme, dont sept d’un côté et sept de l’autre, précédés d’un vautour qui a les pattes armées. Combien il est à regretter qu’un sujet aussi curieux, et qui n’a pas son analogue dans toutes les représentations égyptiennes dont nous ayons connaissance, n’ait pas été copié avec toutes ses inscriptions hiéroglyphiques !

Mais le tableau le plus précieux de tout le temple, est celui qui occupe le plafond du sanctuaire (pl. 96, fig. 2). À gauche, on voit une figure de taureau ; à droite, un scorpion : ces deux figures dominent sur toutes les autres. Entre elles deux et au centre du tableau, est un homme dans une barque, le visage tourné vers le taureau, ayant un bras élevé et l’autre abaissé ; devant et derrière lui sont deux beliers allant en sens inverse l’un de l’autre, un épervier à tête de belier, un double scarabée ayant des ailes d’épervier ouvertes, enfin, une petite figure assise dans une barque. Tout ce tableau est environné sur trois côtés par une figure de femme reployée sur elle-même, et les bras pendans ; son corps est une simple bande sur laquelle sont distribués des globes et des figures à genou. Je ne décrirai pas ce tableau plus en détail, parce qu’ailleurs on en trouvera une description complète.

Pour peu que l’on connaisse le zodiaque céleste, on en distingue plusieurs constellations dès le premier coup d’œil qu’on jette sur ce tableau ; on remarque ensuite que les deux placées en évidence, savoir, le taureau et le scorpion, sont précisément des constellations diamétralement opposées dans l’écliptique, c’est-à-dire que si le taureau répond à un des équinoxes, le scorpion répond nécessairement à l’autre. Ce n’est pas ici le lieu de faire voir que ce plafond est, en effet, consacré à la peinture de deux équinoxes ; M. Fourier le démontre dans son Mémoire sur les monumens astronomiques. Je m’abstiendrai aussi de faire remarquer combien toutes les circonstances de cette peinture concourent au même résultat, parce que cette recherche me conduirait trop loin[7] : je me bornerai à quelques observations sur les deux autres tableaux du sanctuaire, dont l’un représente la naissance, et l’autre l’allaitement d’Horus.

On sait qu’Isis était, chez les Égyptiens l’emblème de la terre féconde, et Horus ou Harpocrate, celui des productions terrestres, fruit de l’union d’Isis avec Osiris : il n’est donc pas douteux que l’accouchement d’Isis, figuré sur le fond du sanctuaire (pl. 96, fig. 1), ne soit le symbole de l’apparition des plantes, sortant du sein de la terre que le Nil a fertilisée, phénomène qui a lieu vers le solstice d’hiver. Le scarabée roulant sa boule, qui, comme on le sait, désigne la génération, confirme très-bien cette idée. Quant aux ailes d’épervier déployées dont cet insecte est pourvu, elles se rapportent à un autre sens dont Harpocrate était le symbole. En Égypte, à l’époque même de la germination, c’est-à-dire au solstice d’hiver, les jours sont les plus courts de l’année, et le soleil est au plus bas de sa course : les Égyptiens représentaient alors cet astre par un jeune enfant[8]. Comme, depuis cette époque, le soleil s’élève de plus en plus vers l’hémisphère supérieur, on avait pu choisir les ailes de l’épervier, emblème du soleil, pour indiquer sa marche qui commence à devenir plus rapide.

Il ne sera pas hors de propos de mettre ici sous les yeux du lecteur un passage du précieux Traité d’Isis et Osiris, qu’on peut regarder comme la traduction de cette peinture ; on ne verra pas sans intérêt l’accord qui règne entre les monumens eux-mêmes et l’auteur qui a le mieux connu la religion philosophique des Égyptiens. « On ensepvelit Osiris, quand on couvre la semence dedans la terre, et … derechef il ressuscite et retourne en vie, quand il commence à germer … C’est pour ce que l’on dit que quand Isis se sentit enceinte, elle s’attacha au col un préservatif le sixième jour du mois qu’ils appellent Phaophi, et qu’elle enfanta Harpocrates environ le solstice d’hiver, n’estant pas encore à terme, avec les premières fleurs et premiers germes[9]. » L’accouchement d’Isis est donc en effet le symbole du solstice d’hiver et de la germination des plantes.

L’allaitement d’Horus (pl. 93, fig. 5), représenté en face de l’accouchement d’Isis, est à-la-fois la peinture de l’accroissement des plantes nourries dans le sein de la terre, et de l’accroissement des jours après le solstice d’hiver. Ce tableau présente Horus d’abord extrêmement petit et allaité par des génisses, ensuite plus grand et sur les genoux d’Isis qui lui donne le sein, puis allaité par deux femmes à tête de génisse, enfin sur les genoux de quatre autres femmes, déjà plus grand, ayant le doigt sur la bouche et un collier sur la poitrine ; c’est-à-dire qu’on le voit passer par les divers degrés de l’enfance.

Les quatre femmes que je viens de citer, sont coiffées de deux attributs dont il serait intéressant de découvrir la signification ; celui de gauche ne se voit dans aucun autre tableau que celui-ci. Quant à la scène qui est au-dessus de la porte du sanctuaire, elle paraît relative au solstice d’été. L’épervier, emblème du soleil, a les ailes déployées : la coiffure qu’il porte est l’attribut ordinaire de la puissance ; c’est le signe du soleil dans toute sa force. Les rayons de lotus annoncent la crue du Nil qui s’opère au solstice d’été. Enfin le lion armé en est le signe évident[10] ; car si, à l’époque d’Hermonthis, l’équinoxe du printemps avait lieu sous le signe du taureau, et l’équinoxe d’automne sous le scorpion, il s’ensuit que le solstice d’été répondait au lion. Le couteau qui est dans ses griffes ne menace pas les lotus, comme les deux dont Typhon a les mains armées. Celui-ci a déjà une main au milieu des tiges de lotus, qu’il est dans l’action de couper ; le lion parait les défendre, et l’épervier étend sur eux ses ailes protectrices. Je ne me permettrai aucune conjecture sur la girafe et le chacal qui sont au-dessus de Typhon et du lion.

Ces deux tableaux, le dernier surtout, concourent donc avec celui du plafond pour marquer une même époque astronomique ; savoir, celle où le taureau céleste était le siège d’un équinoxe, et le lion celui du solstice d’été. Cette époque est encore confirmée par différentes images du lion qu’on a trouvées dans le temple. Je citerai, 1o. la peau de lion qui revêt les lits de repos dont j’ai parlé ; 2o. plusieurs figures de femmes à tête de lion dans divers tableaux (pl. 95 et 97, et ailleurs) ; 3o. surtout un lion à tête d’épervier avec une queue de crocodile, figure complexe répétée deux fois (ibid.) et qui exprime fort bien la présence du solstice d’été dans le lion céleste : car l’épervier était l’emblème du soleil ; et le crocodile, celui de l’inondation[11].

Deux autres tableaux peignent encore le solstice d’été : l’un est celui où l’on voit quatre personnages qui se tiennent la main, et dont l’un a une tête de lion (pl. 97, fig. 1), l’ibis derrière deux éperviers, une grande tige de lotus, la croix à anse et divers attributs significatifs, enfin l’œil d’Osiris qui plane sur la scène[12] ; l’autre, où Harpocrate est porté en triomphe (ibid. fig. 3). Le signe de la virilité, qui distingue cette figure, est l’emblème de la fécondation ; et les fleurs de lotus dont la draperie est brodée annoncent la crue du Nil.

J’ai dit que la scène de l’allaitement d’Harpocrate est un symbole du solstice d’hiver : voici une nouvelle raison de le croire. Dans le tableau du dessus de porte déjà décrit (pl. 95, fig. 8), on voit quatre figures de femmes qui présentent le sein au jeune dieu, et, au milieu du tableau, Harpocrate assis sur des fleurs de lotus, le doigt sur la bouche. Or, Plutarque dit positivement[13] qu’Harpocrate, sous la figure d’un enfant, assis sur un lotus et le doigt sur la bouche, est le soleil au solstice d’hiver, éteint et engourdi.

Le tableau qui est au-dessus du précédent est tout entier consacré au solstice d’été, comme l’annoncent l’épervier qui déploie ses ailes au milieu d’une multitude de lotus, et surtout la figure d’Harpocrate en état d’érection, symbole de la puissance génératrice que développe alors le soleil en faisant déborder le Nil.

Cet accord entre tous les tableaux du temple d’Hermonthis prouve, d’une manière sensible, qu’ils étaient destinés à peindre allégoriquement les quatre principales époques de l’année astronomique. L’étude que nous venons de faire de ce temple par les sculptures dont il est orné, en apprend bien plus sur sa destination, que les passages transmis par les auteurs au sujet de cette ancienne ville.

Voici comment s’exprime Strabon : « Après Thèbes est la ville d’Hermonthis, où l’on adore Apollon et Jupiter, et où l’on nourrit un bœuf[14]. »

Macrobe, voulant prouver que, dans le culte égyptien, la figure du taureau comme celle des autres signes du zodiaque, se rapporte au soleil, dit que, dans le magnifique temple d’Apollon à Hermonthis, on honore le taureau consacré au soleil et surnommé Pacis[15] ; et il en apporte des raisons que je passerai ici sous silence. Ce seul exemple fait voir combien les anciens ont peu connu les temples d’Égypte ; mais doit-on s’en étonner, quand on se rappelle que l’intérieur de ces temples a toujours été inaccessible aux étrangers ?

Jablonski conjecture que le nom de Pacis est corrompu, et doit se lire Pabacis, qui, selon lui, veut dire, en ancien égyptien, civicus, autrement tutélaire ; mais tout ce qu’il a écrit au sujet du taurus Hermonthites, qu’il croit le même qu’Onuphis, sans en apporter de bonnes raisons[16], est extrêmement conjectural. C’est ce qui arrivera aux savans, tant qu’ils négligeront les monumens et qu’ils s’en tiendront à commenter des passages obscurs. Strabon et Macrobe ont écrit, d’après des traditions ou des mémoires, qu’on adorait à Hermonthis Jupiter et Apollon ; c’était traduire en langage grec les noms d’Osiris et d’Horus, dont nous avons vu les images dans le temple. Tous deux ajoutent qu’on y révérait le taureau ; mais cette idée sera venue de la figure représentée sur le plafond du sanctuaire, et de celle de la génisse fréquemment répétée, comme je pense que cela est arrivé pour tous les animaux sculptés dans les temples d’Egypte. Toutefois le passage de Macrobe est très-précieux, en ce qu’il prouve que le taureau du plafond doit se rapporter au taureau céleste, et non pas à une image ordinaire de l’animal.

  1. Vol. III, pl. 30.
  2. Extrait du Journal de voyage de M. Villoteau. Pococke dit avoir vu au plafond de cette première salle cinq éperviers qui ont les ailes étendues.
  3. J’ai trouvé dans les tombeaux de Memphis une figure de chat en bronze, assez bien exécutée, on y trouve aussi cet animal embaumé.
  4. Selon Pococke, il y a au plafond de cette seconde salle sept éperviers qui ont les ailes étendues, avec deux beliers face à face ; et le reste du plafond est orné d’étoiles et de figures hiéroglyphiques.
  5. J’ai mesuré les différentes proportions de cette figure, et je les ai trouvées d’accord avec celles que citent Belon et les autres voyageurs qui ont vu la girafe en Égypte.
  6. Histoire naturelle, in-12, t. XI, p. 27 ; Paris, de l’imprimerie royale.
  7. Voyez les Observations sur le plafond astronomique de l’un des tombeaux des rois.
  8. Plut. de Iside et Osiride.
  9. Traduction d’Amyot.
  10. Voyez la Description d’Edfoû, chap. V, §. VII.
  11. Euseb. Præpar. evang. lib. III, cap. xi. Voyez la Description d’Ombos, chap. IV, §. III.
  12. Voyez la Description d’Edfoû, chap. V, §. v.
  13. Plut. de Iside et Osiride
  14. Strab. lib. XVII, pag. 816.
  15. Taurum verò ad solem referri multiplici ratione Ægyptius cultus ostendit ; vel quia apud Heliopolim taurum soli consecratum, quem Neton cognominant, maximè colunt ; vel quia bos Apis in civitate Memphi solis instar excipitur ; vel quia in oppido Hermunthi magnifico Apollinis tempto consecratum soli colunt taurum, Pacin cognominantes, insignem miraculis convenientibus naturæ solis : nam et per singulus horas mutare colores affirmatur, et hirsutus setis dicitur in adversum nascentibus, contra naturum omnium animalium, unde habetur veluti imago solis in diversam mundi partem nitentis. Macrob. Saturn. lib. I, cap. XXI, pag. 249 ; Lugd. Bat., 1597.
  16. Onuphis était aussi le nom d’une ville de la basse Égypte.