Description de l’Égypte (2nde édition)/Tome 1/Chapitre I/Paragraphe 6

§. VI. Du temple de l’ouest.

Lorsqu’un nouveau voyage en Grèce ou dans l’Italie vient à nous faire connaître un monument antique jusqu’alors demeuré dans l’oubli, nos artistes en assignent presque au premier coup d’œil toutes les ressemblances, toutes les différences avec les monumens connus, et lui marquent son rang parmi eux.

Il s’en faut de beaucoup que l’architecture des Égyptiens soit tellement connue parmi nous, que l’on puisse faire de pareils rapprochemens entre leurs divers édifices. Les monumens de cette nation publiés jusqu’à présent, ayant dans leur ensemble beaucoup d’uniformité, on serait porté à croire que l’architecture égyptienne est également uniforme, qu’elle n’a qu’un seul mode, et qu’elle est essentiellement monotone. Mais il faut faire ici une distinction importante entre les édifices et l’architecture en elle-même. Les édifices peuvent être construits sur de tels plans, qu’ils aient beaucoup de ressemblance générale, et leur architecture peut offrir en même temps de nombreuses variétés dans ses parties. Chez tous les peuples, les édifices destinés à un même culte ont toujours eu de grandes analogies entre eux ; et, sous ce rapport, les temples d’Égypte n’ont rien de particulier ; peut-être même offrent-ils plus de véritables différences que n’en offrent les temples grecs. Mais que l’on isole certaines parties de l’architecture égyptienne, les cofonnes, par exemple, on sera surpris de la variété de leurs proportions et de leurs ornemens. Il y a certainement moins de ressemblance entre la plus élégante et la plus simple des colonnes égyptiennes, qu’il n’y en a entre la colonne corinthienne et celle de l’ordre dorique grec. Et quant à la diversité de forme des temples égyptiens, celui dont nous allons parler semble, pour ainsi dire, être placé tout exprès dans le voisinage du grand temple pour la rendre plus sensible. Nous ne nous attacherons pas à comparer ces deux édifices pour en faire apprécier les différences, que l’on saisira sur les gravures au premier coup d’oeil, et nous allons examiner le temple de l’ouest indépendamment de l’autre.

Si l’on a sous les yeux la planche 20, et que l’on y considère les élévations des quatre façades, ce qui frappe d’abord, et avant qu’on ait pu apercevoir aucun détail, c’est l’inclinaison des murs qui donne à chaque face la forme d’un trapèze. Cette figure, que présentent tous les édifices égyptiens, paraît d’abord étrange, et surprend au premier aspect tous les voyageurs européens ; mais, soit que cette forme plaise parce qu’elle indique la solidité, soit illusion produite par un spectacle nouveau, l’œil finit bientôt par s’y habituer, et la désire en quelque sorte. On aime à la retrouver dans les détails ; par exemple, dans la décoration des dés qui surmontent ici les colonnes. Tous les autres ornemens sont aussi coordonnés d’après la forme générale ; partout règne l’harmonie la plus parfaite entre le tout et ses parties.

Après cet aperçu extérieur, ce qui occupe entièrement l’esprit quand on approche de l’édifice, c’est la multitude des sculptures dont il est couvert. La sculpture décore non-seulement toutes les parties indiquées dans les dessins, mais encore le mur du fond de la galerie et les colonnes dans toute leur hauteur. Nous sommes déjà revenus plusieurs fois sur cette profusion d’ornemens, et nous sommes toujours ramenés à en parler, parce qu’elle est peut-être un des caractères les plus remarquables des monumens égyptiens, et aussi parce que les dessins ne peuvent représenter qu’imparfaitement cette richesse de sculpture, et surtout l’effet qu’elle produit.

Mais, afin d’en parler ici pour la dernière fois, nous donnerons en peu de mots cette règle générale, que, dans tous les édifices égyptiens qui ont été entièrement achevés, on ne voit aucune partie qui ne soit couverte de sculptures, à l’exception des listels de corniche, qui sont essentiellement lisses. Le listel d’une corniche est cette bande plate qui en forme la moulure supérieure, et qui, dans les grands édifices, a quelquefois jusqu’à sept décimètres de hauteur[1] ; mais, malgré l’étendue de surface qu’elle présente, quelle que soit sa situation intérieure ou extérieure, dans un temple, dans un palais, ou dans un tombeau, elle ne porte jamais aucun hiéroglyphe, aucun emblème, et elle se voit partout sans aucune décoration[2].

Il est’difficile de trouver d’autres motifs à cette règle si généralement observée, que des raisons de convenance et de goût. Ce qui est certain, c’est qu’elle satisfait parfaitement à l’une et à l’autre, et que nous-mêmes, dans notre architecture, nous l’observons dans toutes les circonstances analogues.

Nous avons déjà fait remarquer, dans le paragraphe précèdent, que, chez les Égyptiens, le temple proprement dit est toujours bien distinct de ses accessoires. Précédé par un portique, et entouré, sur les trois autres côtés, par une galerie formée de colonnes, il se distingue toujours, et dès le premier coup d’œil, de quelque côté que l’on regarde l’édifice. Cette séparation est surtout très-apparente dans l’édifice dont nous nous occupons. Que l’on jette les yeux, par exemple, sur l’élévation du portique (pl. 20, fig. 2), on apercevra au fond un grand avant-corps en talus, surmonté d’une corniche, et dont les angles sont garnis de rouleaux : c’est la façade du temple proprement dit.

Cette distinction me semble remonter à l’origine de l’art, et indiquer ses progrès. Les temples n’étaient d’abord que des bàtimens rectangulaires, formés de quatre murs soutenant une terrasse. Le besoin d’ombre, dans un climat ardent, a fait ajouter des portiques, des’ galeries aux édifices déjà construits ; et depuis, les Égyptiens, si respectueux pour les usages, pour les formes consacrées, ont continué de maintenir la distinction entre le temple et ses dépendances, bien qu’ils en construisissent alors toutes les parties à-la-fois.

Le temple de l’ouest est un petit édifice, sa longueur totale n’étant que de vingt-cinq mètres environ[3], et les colonnes n’ayant que 5m. 6[4] de hauteur, jusque sous l’architrave. Les chapiteaux sont de formes et de décorations très-variées, et distribués avec si peu de symétrie, que l’on serait tenté de croire que l’architecte n’a pas été libre de faire différemment, et que la décoration de chacun d’eux était nécessairement déterminée par sa position. Presque tous ne diffèrent que par de très-légers détails, de ceux sur lesquels nous avons déjà arrêté l’attention ; mais les chapiteaux fig. 2 et 8, pl. 21, ne ressemblent à aucun de ceux-là, soit pour la forme, soit pour les ornemens. Ceux-ci pourraient représenter des faisceaux de joncs ou de lotus ployés ; mais quant à la forme, il est difficile d’en trouver l’origine, et plus difficile encore de ne pas la trouver bizarre et trop différente de celle de tous les autres chapiteaux.

Sur chaque face du dé qui surmonte ces chapiteaux, est sculptée, en relief fort saillant, une tête d’Isis, et au-dessus de cette tête l’image de la façade d’un petit temple égyptien. Dans une petite niche carrée, qui représente la porte du temple, on voit le serpent ubœus portant un disque sur sa tête.

Il y a sous le portique, et de chaque côté de l’avant-corps, une porte qui donne sous la galerie. Il est très-probable, d’après toutes les analogies, que cette galerie était fermée par des murs d’entre-colonnement, tels que ceux qui sont encore entiers entre les colonnes du portique. On a même trouvé quelques indices de l’existence de ces murs, mais seulement du côté de l’ouest ; cependant, le temple ayant deux portes latérales, ouvertes sous la galerie de l’est, il devient très-vraisemblable que celle-ci était également fermée par des murs d’entre-colonnement.

On ne manquera pas sans doute de s’arrêter sur le dessin de la façade postérieure du temple, en voyant que les colonnes y sont en nombre impair, et qu’il y en a conséquemment une au milieu de la façade. Cette disposition semble manquer à toutes les règles ; mais, si l’on réfléchit qu’il n’y a point d’entrée sur cette face, alors l’inconvenance disparaît ; et comme il résulte de ce nombre impair de colonnes, des proportions agréables dans leur espacement, il ne reste plus aucun côté pour attaquer cette disposition.

Cette même galerie va nous fournir encore l’objet d’une autre réflexion. On pourra remarquer, dans la suite de cet ouvrage, que les Égyptiens employaient rarement des colonnes pour supporter les angles des entablemens. Depuis long-temps on a reconnu le mauvais effet qu’elles produisent dans ces angles, et combien il serait plus convenable qu’ils fussent soutenus par des piliers carrés. On a essayé, mais avec peu de succès, d’y employer les pilastres. Les architectes trouveront peut-être dans le mode égyptien, et particulièrement dans l’agencement de cette petite galerie, le moyen de résoudre la difficulté.

Cet édifice a été exécuté avec beaucoup de soin. Les joints des pierres en sont parfaitement faits, et ce n’est qu’en s’approchant qu’on peut les apercevoir : ils sont remplis d’un ciment rougeâtre, très-fin, mais peu dur. Le grès dont le temple est bâti, est d’un grain fort égal et d’une teinte un peu jaune ; mais à la lumière du soleil, et vu d’un peu loin, il paraît blanc, et le monument semble être tout neuf. Il l’est en effet, quel que soit son âge, puisqu’à l’exception d’une cassure assez grande dans le plafond du portique, on ne voit partout ailleurs aucune pierre dérangée, aucun angle écorné, aucune sculpture fruste ou endommagée.

Quant à l’exécution de la sculpture, elle est d’une grande pureté, et finie avec délicatesse. Les bas-reliefs n’ont guère que trois centimètres de saillie[5] dans les parties qui en ont le plus ; mais, comme les figures n’ont pas même un mètre de proportion, cette saillie est plus que suffisante pour que le sculpteur ait pu exprimer les différens mouvemens du corps. Nous n’avons aperçu nulle part à l’extérieur que les sculptures eussent été peintes ; peut-être l’ont-elles été dans l’intérieur du temple ; mais cet intérieur est si enfumé et si noirci, qu’on n’y a remarqué aucune couleur. Les Barâbras paraissent y avoir habité pendant long-temps.

Le temple de l’ouest est celui des édifices de l’île de Philæ où l’on a recueilli la plus grande quantité de bas-reliefs ; sous la galerie seule, on a copié dix scènes complètes. La parfaite conservation de ces bas-reliefs, leurs petites dimensions, leur peu d’élévation au-dessus du sol, et, plus que tout cela peut-être, leur position sous la galerie, qui nous mettait à l’abri des ardeurs du soleil, sans nous priver de sa lumière, toutes ces circonstances nous invitaient à demeurer près de ce temple, surtout pendant le milieu du jour.

Pour procéder avec quelque ordre dans les observations que vont nous fournir ces bas-reliefs, examinons d’abord la position des figures sur le temple et relativement au temple. Voici ce que l’on remarque les divinités sont constamment placées de telle manière, que, si on les supposait s’avançant horizontalement sur la surface du mur, elles arriveraient à la porte d’entrée principale du temple.

Dans les planches 22 et 25, les prêtres sont debout ; les divinités sont assises, mais elles sont élevées sur des socles d’une hauteur telle, que toutes les têtes se trouvent au même niveau. Lorsque l’on voit plusieurs divinités figurer dans une même scène, comme, par exemple, dans la planche 22, figure 2, on peut supposer ou que l’artiste a voulu les représenter placées les unes derrière les autres, ou bien que ces figures, qu’il faut concevoir rangées de front, n’ont été représentées comme on le voit ici, que parce que les Égyptiens n’employaient point de perspective dans leurs sculptures. Ce qui confirme cette seconde supposition, c’est, d’abord, qu’elle est plus naturelle que la première ; car on ne se représente pas une assemblée de personnages assis sur une seule file, comme dans une procession : c’est, ensuite, que si l’on eût placé les divinités les unes derrière les autres, c’eût été leur assigner un rang qu’elles ne paraissent point avoir effectivement, puisque celles qui se trouvent les premières dans un tableau, occupent une autre place dans le tableau voisin. Mais ce qui favorise surtout cette idée, ce sont les représentations des scènes familières trouvées dans les grottes, et où il est manifeste qu’on a voulu peindre deux personnages assis côte à côte sur un même siège, quoiqu’ils soient cependant figurés l’un derrière l’autre.

Passons maintenant à la disposition des hiéroglyphes : ils sont rangés presque tous dans des colonnes verticales, quelques-uns dans des bandes horizontales. Toujours les hiéroglyphes renfermés dans une même colonne ou une même bande, sont tournés dans un même sens, que l’on a bientôt reconnu en examinant d’abord celui des figures d’hommes ou d’animaux.

Les hiéroglyphes qui sont dans le voisinage d’une des figures d’un tableau, sont toujours dirigés dans le même sens qu’elle d’où il est permis de conclure que ces hiéroglyphes appartiennent à cette figure plus particulièrement qu’aux autres, et qu’ils expriment, peut-être, soit des paroles prononcées par ce personnage, soit des circonstances relatives à l’action dans laquelle il est représenté. Par-là on peut distinguer sur-le-champ à qui se rapportent les diverses colonnes hiéroglyphiques qui sont dans un tableau. En général, toutes les colonnes qui sont au-dessus des divinités dépendent de ces divinités ; celles qui sont près de la tête du prêtre dépendent également de celui-ci, ainsi que celles qui sont entre lui et les divinités, et la petite colonne placée derrière lui. Quant aux deux grandes colonnes qui bordent latéralement le tableau, les figures en sont constamment dirigées vers l’intérieur ; leur position indique quelque chose de général, et il est probable qu’elles se rapportent à toute la scène.

Au-devant de la tête du prêtre, on voit, dans presque tous les tableaux, deux phrases hiéroglyphiques enveloppées dans une sorte de cadre, et qui, d’après notre remarque sur le sens des signes, dépendent sans doute de cette figure. Ces espèces de médaillons, ces légendes encadrées, occupent encore d’autres places que celle-ci ; car il n’y a guère de phrases hiéroglyphiques un peu étendues qui n’en renferment quelques-unes ; mais, dans les bas-reliefs dont il est ici question, on les voit toujours deux à deux, et surmontées chacune d’un vase fort aplati, portant un disque avec des serpens. On a remarqué qu’en général les deux légendes étaient presque toutes les mêmes dans tous les tableaux d’un même temple, et qu’il y en avait ainsi un petit nombre qui se trouvaient répétées dans un temple plus fréquemment que dans aucun autre.

Ces légendes encadrées portent parmi les antiquaires le nom de scarabées. Ici, je suis obligé de faire une petite digression, que j’abrégerai autant qu’il me sera possible.

On voit dans tous les cabinets d’antiquités, et l’on trouve encore en Égypte, un grand nombre de scarabées sculptés en diverses matières et de diverses grandeurs. La partie supérieure représente l’insecte ; et la partie inférieure, qui est plane et de forme à peu près ovale, porte le plus souvent des caractères hiéroglyphiques, qui sont sculptés en creux. La plupart de ces scarabées sont percés longitudinalement d’un trou par lequel il paraît que l’on passait un fil pour pouvoir les suspendre ; tout annonce que c’étaient des amulettes religieux[6]. On a cru trouver quelque analogie entre la surface inférieure de ces amulettes et les légendes encadrées et l’on a donné à celles-ci le nom de scarabées. Mais, en considérant la chose avec un peu plus de soin, on voit bientôt que l’analogie n’existe effectivement pas, et que le nom qu’on en a déduit n’est propre qu’à jeter dans l’erreur. En effet, si l’on examine d’abord le cadre, on y reconnaît une branche flexible (comme serait un rameau, ou mieux encore une tige de métal), que l’on aurait courbée jusqu’à en croiser les deux bouts, et attachée ensuite avec un lien.

De l’examen du cadre si l’on passe à celui des signes, et qu’on les compare à ceux qui sont gravés sous les scarabées-amulettes, on ne trouvera aucune ressemblance générale dans leur distribution. Parmi ces cadres, on en voit quelquefois de doubles, c’est à-dire formés de deux branches appliquées l’une sur l’autre. À la manière dont les deux extrémités sont arrangées et forment une espèce de base, on juge que la position la plus ordinaire de ces cadres est la verticale. Cependant, lorsqu’il s’en rencontre dans des bandes horizontales d’hiéroglyphes, ils sont alors couchés, le haut étant dirigé dans le sens où marchent les autres signes.

Il est curieux d’observer comment, dans une légende placée debout et dans une légende renversée, et qui toutes deux renferment les mêmes signes, ces signes sont groupés dans l’une et dans l’autre ; mais cet examen trouvera sa place ailleurs, et je reviens au petit temple de l’ouest et aux remarques auxquelles ses sculptures ont donné lieu.

Lorsque je m’occupais à copier sous la galerie de l’ouest le bas-relief, pl. 22, fig. 2 je m’aperçus que la petite phrase qui est sculptée derrière le prêtre était absolument la même que celle qui occupait une pareille position dans le bas-relief, fig. 6, que je venais de dessiner sous la même galerie. Je visitai aussitôt un troisième, puis un quatrième bas-relief, pour savoir si j’y trouverais une phrase semblable ; et l’ayant en effet aperçue dans tous ceux qui sont sur la même face du temple, je fis part de cette remarque à ceux qui étaient autour de moi : dix personnes la vérifièrent en même temps sur le temple de l’ouest. On courut bientôt dans le grand temple et dans les autres édifices de l’île où la remarque fut également vérifiée on reconnut seulement quelques variantes dans la forme des signes, et principalement dans celle de cette espèce de nœud qui est placée au-dessus de l’épaule du prêtre. Ces différentes modifications furent constatées ; et l’on en voit les dessins sur les planches 12, 16, 22, 25 et 27. Depuis, nous avons confirmé dans tous les autres monumens de l’Égypte les remarques que nous avions faites dans l’île de Philæ ; au sujet de cette phrase, toujours placée derrière le prêtre, et qui, lui servant en quelque sorte d’attribut, peut très-bien s’appeler phrase ou légende sacerdotale[7] Ces diverses remarques viennent à l’appui de celle que nous avons faite plus haut sur la dépendance qui existe entre les traits hiéroglyphiques et les personnages dans le sens desquels ils sont tournés ; car ceux de ces traits que nous avons vus être à-la-fois attributs d’un personnage et hiéroglyphes, sont, en général, placés dans une colonne d’écriture tournée dans le même sens que ce personnage.

De pareils rapprochemens, bien qu’ils ne donnent pas l’interprétation des caractères hiéroglyphiques, sont cependant de quelque intérêt en ce qu’ils servent à lier les hiéroglyphes aux tableaux qui les renferment ; car on ne peut mettre en doute que l’écriture d’un tableau ne soit relative à l’action que ce tableau représente, lorsque l’objet de cette action se trouve lui-même figuré dans l’écriture ; et il en résulte cette conclusion, qu’il y avait des objets qui, dans certains cas, n’étaient exprimés dans l’écriture hiéroglyphique que par leur propre image.

Le plus grand nombre des tableaux sculptés sur les murs du temple de l’ouest est relatif à Isis, et surtout à son fils Horus : c’est en quelque sorte l’éducation de ce jeune dieu qui y est représentée. Dans plusieurs tableaux, on le voit à la mamelle et sur les genoux de sa mère ; Osiris son père, ayant une tête d’épervier, est placé près d’eux. Dans l’un des tableaux, pl. 22, fig. 5, Isis et Horus sont représentés dans une sorte de sanctuaire dont un prêtre ouvre la porte, tandis qu’un autre prêtre présente l’image d’Horus à trois personnages qui se prosternent en se frappant la poitrine. Près de chacun de ces personnages, on retrouve ce même animal imaginaire, cette espèce de griffon dont nous avons parlé précédemment à l’occasion de la pl. 16. Horus se fait remarquer le plus souvent par la position d’une de ses mains dont l’index s’avance vers la bouche, et par une boucle de cheveux qui, comme une espèce de corne, lui enveloppe l’oreille.

Dans le tableau pl. 22, fig. 2, Horus, plus grand, est encore à la mamelle : il tient d’une main un instrument ayant la forme d’un siphon, et qui se voit très-fréquemment parmi les signes hiéroglyphiques. Le prêtre offre aux divinités des guirlandes de fleurs de lotus : l’une de ces divinités tient d’une main une tige crénelée, sur laquelle elle semble faire des marques avec un style qu’elle tient de l’autre main.

Une semblable tige se voit dans le tableau pl. 25, fig. i : elle est entre les mains de Thot, lequel est suivi d’un prêtre portant un volumen. Devant eux sont Horus et Isis. On voit encore la même tige dans la pl. 12, fig. 4 ; pl. 45 , fig. 5 ; pl. 57, fig. i.

Les scènes fig. 2 et 3, pl. 23, offrent une femme coiffée de lotus, qui joue de la harpe devant Isis et Horus. Dans l’une des scènes, Horus, encore jeune, est debout près de sa mère ; dans l’autre, il est au même rang qu’elle. Les harpes, quoique déjà très-remarquables par leurs formes et le nombre de leurs cordes, ne peuvent donner qu’une faible idée de la beauté de celles qui ont été trouvées à Thèbes.

Enfin, deux des bas-reliefs copiés sous la galerie du temple de l’ouest ont pour objet des sacrifices humains, et l’on peut leur appliquer ce que nous avons dit précédemment à l’égard de semblables représentations.

Outre les dix bas-reliefs copiés sous la galerie, il a été encore recueilli plusieurs autres sculptures sur les murs du temple. Une seule, pl. 12, fig. 2 a été copiée dans l’intérieur, où elle fait partie du soubassement. On y voit deux femmes agenouillées, coiffées de lotus, et présentant sur des plateaux, des vases, des fleurs de lotus et des fruits. Ces femmes, par le volume de leur ventre et leurs seins pendans, paraissent appartenir à une classe ou peut-être à une nation particulière. Juvénal cite les femmes de Méroé pour la longueur de leurs seins. Quoi qu’il en soit, les figures de femmes semblables à celles-ci ont presque toujours la même attitude, et sont accompagnées des mêmes attributs. On voit cependant de ces figures debout ; mais elles sont toujours coiffées de lotus, et occupées, soit à en offrir les fleurs, soit à en nouer les tiges.

La sculpture figurée dans la pl. 23, fig. 4, est sur quelques-unes des colonnes, où elle forme un anneau qui n’occupe pas la huitième partie de la hauteur du fût. On peut examiner ici avec quelle adresse les artistes égyptiens savaient disposer les emblèmes religieux, et les employer à l’ornement des temples. Le scarabée qui fait ici partie de ces emblèmes, est l’insecte le plus souvent figuré dans les sculptures égyptiennes.

Les colonnes sont sculptées en relief dans le creux, ainsi qu’on peut en juger d’après ce fragment. Cette espèce de sculpture est surtout bien convenable pour des colonnes, attendu qu’elle leur conserve toute la pureté de leur forme ; ce qui n’arriverait pas, si la sculpture était en bas-relief ordinaire, et surtout si le relief était saillant ; car, dans ce cas, la rondeur du fût serait altérée, et la colonne semblerait sinueuse et de forme très-irrégulière, suivant les différens côtés où elle serait aperçue.

Dans la même planche, fig. 5, est une longue frise composée de caractères hiéroglyphiques. On y remarque ces deux mêmes légendes encadrées qui se voient deux à deux dans presque toutes les scènes. Ces mêmes légendes composent à elles seules la décoration de la corniche dont cette frise est couronnée : elles sont disposées alternativement, séparées les unes des autres par trois cannelures remplies, et portées chacune sur un pied en forme de vase. Ces deux légendes, répétées un si grand nombre de fois dans les tableaux, dans les hiéroglyphes et dans les ornemens, étaient, en quelque sorte, la devise du temple ; et il est probable qu’elles contenaient en substance l’objet de sa construction et le nom du dieu qui y était adoré. Nous ajouterons, pour l’exactitude de notre exposition, qu’elles ne se répètent pas constamment et sans aucun changement, et qu’il y en a quelques-unes dans lesquelles un ou deux signes sont changés. On trouve ces variantes dans les planches 20, 23, etc.

La corniche dont nous parlons est celle du temple proprement dit, c’est-à-dire qu’elle règne sous la galerie. Parmi toutes les corniches égyptiennes, elle est certainement une des plus simples ; mais elle montre, en général, suivant quel système elles sont toutes décorées. Cette décoration est composée d’emblèmes répétés, qui reviennent d’intervalles en intervalles égaux ; et, s’il arrive qu’il y ait quelques différences d’un emblème à un autre, elles ne sont jamais que dans les traits hiéroglyphiques ; ce qui ne peut être aperçu au premier coup d’œil, et ne nuit en aucune manière à la régularité de la décoration.

Mais cette corniche offre ceci de remarquable, que sa décoration n’est plus sur la façade postérieure du temple ce qu’elle est sur les trois autres côtés. Au milieu de la corniche de cette façade est une tête de lion avec toute la partie antérieure du corps posée à la manière des sphinx[8] : les deux pattes de devant comprennent entre elles une rigole qui se trouve à la hauteur de la terrasse du temple ; elle était destinée à vider les eaux qui pouvaient être versées sur cette terrasse. De chaque côté de ce lion sont trois tableaux semblables, séparés les uns des autres par trois cannelures remplies. Cette corniche est la seule que nous ayons vue décorée

d’une manière semblable.

On voit, pl. 20, fig. 8, un des tableaux qui décorent la corniche ; c’est encore Horus qui en est le sujet principal : l’une des deux légendes encadrées qu’elle renferme est répétée fréquemment dans le temple. Près de chacune des deuxfigures de femme est une petite phrase composée de huit hiéroglyphes. Cette même phrase, nous l’avons retrouvée toute semblable sur une des colonnes du grand temple d’Edfoû (voyez pl. 57, fig. 1), où l’on aura soin de la faire remarquer, parce qu’il peut devenir utile de multiplier sur cette matière les remarques et les rapprochemens.

  1. Envir. deux pieds deux pouces.
  2. Cette remarque est importante pour la question de l’ancienneté des monumens (voyez le Mém. sur les inscriptions).
  3. Treize toises.
  4. Dix-sept pieds.
  5. Environ un pouce.
  6. On trouvera plusieurs de ces scarabées-amulettes gravés dans l’ouvrage, A., vol. v.
  7. Dans le même temps, M : Jomard, qui dessinait le bas-relief, pl. 22, fig. i, lequel représente Horus porté sur un lion, et un prêtre qui lui offre les deux parties d’une coiffure sacrée, remarqua que ces deux parties se trouvaient au commencement de la phrase placée au-devant du prêtre, et qu’à la fin de cette même phrase elles se trouvaient encore, mais réunies. Cette observation, dont chacun fut bientôt instruit, donna lieu de faire plusieurs observations analogues : en voici quelques-unes.

    Pl. 22, fig. 2, l’espèce de fleur portée sur une tige et placée sur la tête d’Isis se voit dans les hiéroglyphes de la phrase verticale voisine.

    Même planche, fig. 4, le prêtre tient dans ses mains deux têtes d’Isis : l’une est surmontée d’un petit temple, l’autre d’un instrument semblable aux sistres des anciens. Ces deux même têtes avec leurs attributs sont au commencement de la phrase qui précède le prêtre, et l’on y voit même deux fois celle des têtes qui porte un petit temple. On retrouvera aussi cette d’Isis, mais dégagée de ses attributs, dans la colonne qui borde le tableau à gauche.

    Pl. 27, fig. 1, dans la phrase qui est au-dessus de l’autel, on trouve le vase que le prêtre tient dans sa main, et d’où découle de l’eau.

    Enfin, nous avons déjà fait des rapprochemens du même genre à l’occasion du tableau pl. 10, fig. 2.

  8. Cette figure de lion a été omise dans la gravure.