Description de l’Égypte (2nde édition)/Tome 1/Chapitre I/Paragraphe 5

§. V. Du grand temple.

Un temple égyptien est, en général, composé de deux parties principales : le temple proprement dit, qui est plus long que large, et distribué intérieurement en plusieurs salles ; le portique, plus élevé, plus large que le temple, soutenu par des colonnes, et fermé là- téralement par des murs. Ces deux parties sont si distinctes, que l’on pourrait abattre la seconde sans que la première en fût endommagée, celle-ci ayant sa façade complète, qui forme un avant-corps sur le mur même du fond du portique.

Mais, à l’exception de cette ressemblance générale, tous les temples de l’Égypte diffèrent les uns des autres, non-seulement par leur grandeur, mais encore par leur distribution intérieure, par la disposition des portiques, les proportions, le nombre des colonnes, les ornemens, etc. ; quelquefois aussi, comme nous en verrons un exemple dans l’île de Philæ, les petits temples sont entourés d’une galerie, et leur aspect extérieur est alors très-différent de celui des autres.

Le grand temple de Philæ, celui qui fait le sujet de ce paragraphe, présente, dans la disposition de son portique, une particularité très-remarquable, et qu’on ne retrouve plus qu’une seule fois à Thèbes. Ce portique, qui, comme tous les autres, est fermé latéralement, l’est encore antérieurement par un pylône ; en sorte que la façade du temple n’est autre que celle de ce même pylône. Comme, par cette disposition, le portique se trouverait privé de lumière, on a laissé une grande ouverture dans le plafond, de manière que ce portique forme une espèce de cour environnée de colonnes de trois côtés : l’on peut dire aussi que c’est un portique avec des ailes qui viennent de chaque côté s’appuyer contre le massif de la porte.

Ce pylône, qui sert de façade au portique du temple, est moins grand que le premier, et n’est pas aussi bien conservé. La partie gauche, notamment toute la corniche, et même le rang de pierres qui est au-dessous, sont détruits. Les sculptures de la face antérieure ont une distribution et offrent des scènes à peu près semblables à celles de la face analogue du premier pylône. Une partie de ces sculptures est cachée dans la partie droite inférieure par un bloc de granit rouge qui a environ cinq mètres en tout sens. Ce bloc est creusé intérieurement : quelques personnes qui y sont entrées, ont remarqué des sculptures dans l’intérieur, et le regardent comme une espèce de chapelle monolithe. Ce qui est certain, c’est qu’il n’a point fait originairement partie de la construction du pylône, et qu’il y a été appliqué dans un temps postérieur.

Ce second pylône renferme aussi, comme le premier, des escaliers qui conduisent jusque sur les terrasses ; les dessins font connaître quelle en est la distribution. On n’a point vu de chambres dans l’intérieur ; son peu d’épaisseur permet de croire qu’il n’en renferme effectivement aucune.

On remarque sous le portique, contre le pylône et contre les murs latéraux, des pieds-droits destinés à recevoir les architraves, et qui, par conséquent, remplissent les fonctions des pilastres que nous employons en pareil cas dans notre architecture : ceux qui sont aux extrémités du second rang de colonnes parallèles à la façade du temple, tiennent lieu des deux antes que l’on remarque au portique du temple de l’ouest et des autres temples ; en sorte que ces deux rangées de colonnes composent un portique de forme ordinaire. Mais les pieds-droits élevés contre le pylône avaient pour objet d’empêcher que l’architrave ne formât avec celui-ci, dont l’inclinaison est assez forte un angle trop aigu ; ce qui est toujours d’un effet désagréable.

Les murs des temples ont à l’extérieur un talus très-sensible, ainsi que nous l’avons dit ; mais, dans l’intérieur, toutes les faces des murailles sont parfaitement verticales. Cependant, sous ce portique, la face formée par le pylône est inclinée ; et, de plus, le grand avant-corps qui est au fond du portique l’est également : mais il ne faut pas perdre de vue que cet avant-corps sert de mur extérieur au temple proprement dit.

Les colonnes du portique ont des proportions beaucoup plus considérables que toutes les colonnes dont nous avons parlé jusqu’à présent : leur circonférence est de quatre mètres deux décimètres[1], et leur hauteur d’environ sept mètres et demi[2]. Les chapiteaux en sont très-beaux, parfaitement sculptés, et presque tous différens les uns des autres ; mais, par une sorte de contradiction, bien digne d’être remarquée, les bases[3] se ressemblent toutes. On peut voir dans les divers dessins de colonnes[4], où l’on a représenté une partie de cette base développée, que l’ornement en est principalement composé de chevrons brisés, entre lesquels se trouvent placés des lotus et d’autres symboles. Cet ornement est commun à toutes les colonnes de l’Égypte, les autres décorations qui se joignent aux chevrons brisés étant d’ailleurs variées de cent manières différentes. Il serait curieux de trouver le motif qui l’a fait si généralement adopter.

Plusieurs bas-reliefs ont été copiés sous le portique, et deux avec les couleurs dont ils sont peints. L’un surtout (pl. 16, fig. 1) mérite d’être examiné, parce qu’il est complet et qu’il peut donner une idée juste de ce singulier système de sculpture et de peinture : ce bas-relief est, dans le dessin, réduit au douzième de sa grandeur véritable, qui est de deux mètres[5] sur deux mètres trois quarts[6]. Or, tous les murs, toutes les colonnes, toutes les architraves, enfin les plafonds et jusqu’aux plus petits enfoncemens ou saillies de l’architecture, sont sculptés et peints de la même manière.

Il serait superflu d’entreprendre de justifier ou de blâmer cet usage de colorier ainsi la sculpture d’un édifice, usage qui paraîtra sans doute très-extraordinaire ; mais tous ceux qui ont vu les monumens égyptiens peuvent attester que lorsqu’ils ont aperçu ces peintures, même pour la première fois, ils n’en ont pas été frappés désagréablement. On peut se rappeler ce que nous avons dit, dans le §. ii, du bel effet de ce portique ; et la planche dans laquelle on a supposé cet édifice tout neuf, avec les peintures dans tout leur éclat, en donne une image très-complète[7]. Aujourd’hui, il n’y a guère de dégradations notables que dans une seule colonne ; et, pour voir ce portique presque aussi brillant que la gravure le représente, il serait suffisant d’en chasser la poussière et de le déblayer des terres et des décombres qui ont été amoncelés, surtout dans la partie droite en entrant, où le sol est élevé de plus d’un mètre au-dessus du sol véritable.

Les couleurs, comme on peut le remarquer, sont au nombre de quatre, le jaune, le vert, le bleu, et le rouge plus ou moins foncé : à quoi l’on peut ajouter le blanc ; car le blanc n’est pas celui de la pierre, et on l’a mis au pinceau.

Il se présentait une remarque à faire : c’était de savoir si les mêmes objets, les mêmes signes hiéroglyphiques, étaient toujours peints des mêmes couleurs ; ce qui aurait pu aider, dans certains cas, à mieux déterminer la nature de ces objets et de ces signes. On a deux preuves du contraire : les croix à anse que les divinités tiennent à la main, sont toutes vertes dans le portique du grand temple, et, dans une autre partie du même temple, elles sont toutes bleues. La même remarque a été faite sur cette espèce de feuille qui est sur la tête d’Isis, et que l’on trouve répétée un si grand nombre de fois dans les hiéroglyphes de tous les temples. Mais il ne faudrait pas conclure de là qu’il n’y avait aucun ordre dans la distribution des peintures : le génie des Égyptiens n’avait, comme on le sait, rien de capricieux ; il tendait à réduire tout en règle, et à consacrer des usages ; et l’étude que nous avons faite de toutes les autres parties des arts de ce peuple, où cet esprit de règle et de formule est si manifeste, ne permet pas de penser que les peintures sacrées aient été seules livrées à l’arbitraire : il faut, d’ailleurs, remarquer que, dans les peintures qui représentent des scènes familières et les usages de la vie civile, les couleurs sont toujours parfaitement appropriées aux objets. Enfin, nos deux bas-reliefs coloriés présentent déjà quelques faits qui sont propres à faire croire que les couleurs y ont été placées suivant de certaines lois. Parmi les figures principales, il n’y a que celles à tête d’animal qui soient bleues ; toutes les autres sont rouges ; et cette dernière couleur, sans être celle des Égyptiens, était cependant, de toutes les couleurs qu’ils employaient, celle qui en approchait le plus. De même dans les hiéroglyphes, à l’exception d’une petite figure d’homme à tête d’épervier qui est bleue, toutes les autres figures humaines, et toutes les parties détachées, comme les têtes et les bras, sont constamment rouges. Les bœufs sont aussi tous de cette couleur ; tous les oiseaux sont bleus ; tous les vases sont verts, ainsi que toutes les portions de cercle, qui paraissent être elles-mêmes des vases en forme de coupe : à quoi nous ajouterons que dans tous les temples, dans toutes les peintures, la ligne brisée en zigzag, qui, comme nous le verrons plus tard, est la représentation de l’eau, n’a jamais été vue que bleue ou verte. De toutes ces diverses remarques il résulte, à notre sens, que si les couleurs paraissent d’abord distribuées arbitrairement, c’est qu’on n’a point encore, réuni un assez grand nombre d’observations sur cette matière, et qu’un jour on trouvera que cette partie des arts égyptiens était, comme tout le reste, soumise à des règles invariables.

J’ajouterai encore quelques mots au sujet de ces deux bas-reliefs. On voit dans l’un Osiris à tête de bélier, accompagné d’Isis ; dans l’autre, deux figures d’Isis, dont l’une a une tête de lionne. Les prêtres présentent à ces divinités un vase d’où sort une flamme rouge ; et l’on voit sur le bord du vase deux grains de l’encens que l’on y brûle. On doit remarquer les plumes composant un habillement dont Isis est souvent vêtue ; on doit remarquer encore la richesse des sièges, le socle sur lequel ils sont élevés, où l’on voit un animal chimérique, espèce de griffon dont la forme était consacrée, et que l’on retrouve en plusieurs endroits[8].

Quant à la bande étoilée qui borde la partie supérieure de chaque scène, je crois qu’on a voulu représenter par-là, soit la voûte du ciel, soit seulement le plafond du temple où la cérémonie qui fait le sujet du tableau est supposée avoir eu lieu. Et en effet, les plafonds des temples sont très-souvent décorés d’étoiles blanches, dont le milieu est rouge, et qui sont semées sur un plafond bleu[9]. Ces étoiles quelquefois couvrent tout le plafond, et en forment alors l’unique décoration ; d’autres fois ; comme on le voit dans le bas-relief (fig. 1, pl. 10), elles sont jointes à d’autres figures, et font partie de l’emblème. Ce bas-relief, qui a été copié parmi ceux qui ornent le plafond du portique, est d’une grande singularité par l’enroulement, on peut dire monstrueux, des trois figures qui le composent. On a quelques raisons de croire qu’il a rapport à l’astronomie : d’abord, parce que les sculptures astronomiques sent toujours environnées de semblables figures ; ensuite, parce qu’il renferme un grand nombre d’étoiles ; enfin, parce qu’il est sculpté sous un plafond, emplacement qui paraît avoir été consacré plus particulièrement aux sculptures relatives à l’astronomie. Nous nous arrêterons au petit tableau (fig. 4, pl. 10), parce qu’il peut donner lieu à un rapprochement analogue à celui que nous avons fait dans le paragraphe précèdent. La table que l’on voit ici portée par des prêtres à longues robes, a beaucoup de rapport avec celle que l’Éternel commanda à Moïse de faire, immédiatement après l’arche. Cette table, qui avait pour principal objet de recevoir des bassins, des plats, des coupes et des tasses pour les libations, ainsi que les pains consacrés, devait avoir un rebord près duquel seraient les anneaux où passeraient les barres propres à la porter. Ces particularités se rencontrent ici, aux anneaux près ; mais ce qu’il y a de plus curieux et de plus piquant dans cette comparaison entre les deux tables, c’est que les proportions de l’une, données dans l’Exode, correspondent à celles de l’autre, c’est-à-dire à celles de la gravure que nous avons sous les yeux.

Nous ne quitterons pas le portique sans parler d’un autre bas-relief qui a été copié avec tous les hiéroglyphes qui en font partie : c’est la représentation d’une espèce d’apothéose. Un jeune homme, Horus peut-être, est placé entre deux personnages ; l’un à tête d’épervier, c’est Osiris ; l’autre à tête d’ibis, c’est Thoth, le dieu des sciences : tous deux versent sur sa tête des croix à anse et des bâtons auguraux, qui sont, comme nous l’avons déjà fait remarquer, les principaux attributs de la divinité. Il existe la plus grande similitude entre les deux phrases hiéroglyphiques qui séparent les trois personnages ; les remarques auxquelles ces phrases donnent lieu trouveront place ailleurs[10].

Nous allons passer maintenant du portique dans le temple proprement dit. Si l’on veut avoir sur-le-champ une idée nette de sa distribution, il suffira de jeter les yeux sur le plan. Nous nous bornerons à faire ici quelques remarques sur cette distribution : elle diffère de celle des autres grands temples, principalement par les trois salles, de grandeur presque égale, qui occupent tout le fond de celui-ci, et semblent trois sanctuaires. Cependant celle du milieu doit, par cette position même, être regardée comme le sanctuaire proprement dit. L’élévation de son plafond, la grandeur et la décoration de la porte d’entrée, achèvent de la distinguer des deux autres salles, qui sont fort basses, et dont les portes sont petites et sans corniches. Dans le sanctuaire proprement dit, il y a deux de ces niches monolithes, espèces de tabernacles dont nous avons parlé dans le paragraphe précédent : l’un est debout et placé dans l’angle à droite ; le second, qui probablement occupait l’autre angle, est renversé au milieu du sanctuaire[11]. On trouve aussi une niche, mais plus petite, dans la salle latérale de droite.

L’une de ces niches est représentée en grand dans la planche 10 ; elle est de granit rouge ; sa hauteur est de deux mètres un quart[12] ; elle est enfumée, comme toute la salle où elle se trouve : le sol a été fouillé, et il est jonché de débris. L’obscurité est complète dans cette salle, dont la chaleur est étouffante et l’odeur infecte[13].

Il était naturel de présumer que ces niches étaient destinées à renfermer des objets précieux du culte, et que très-probablement elles avaient servi de cage à l’oiseau sacré : cette conjecture est presque changée en certitude par le dessin d’une pareille cage occupée par un épervier, que nous avons vu sur des bandelettes de momies[14]. Les monolithes servaient donc à renfermer l’oiseau honoré dans le temple : ce qui est conforme au récit de Strabon, qui rapporte qu’une espèce d’épervier qu’il appelle épervier d’Éthiopie, était particulièrement révéré dans l’île de Philæ.

Ces niches monolithes que l’on a trouvées en divers lieux, devant faire le sujet de recherches particulières, nous nous bornerons à faire observer que la décoration de celle-ci est dans le même système que toutes les autres parties du temple : on y retrouve les mêmes moulures ; les talus y sont indiqués ; enfin, l’architecture de ce petit édifice, d’une seule pierre, est dans une harmonie parfaite avec celle du temple. Sur le soubassement, deux figures sont représentées dans l’action d’enlacer et de nouer des tiges de lotus, emblème fréquent sur les soubassemens, sur les sièges des statues, et en d’autres lieux semblables.

Presque toutes les salles de l’intérieur du temple ont encore toute la hauteur qu’elles devaient avoir, c’est-à-dire six mètres[15] : le sol n’en a point été exhaussé ; mais on voit qu’il a été fouillé, tant il est rempli d’inégalités.

On n’a recueilli qu’un petit nombre de bas-reliefs dans l’intérieur du temple, par l’obligation où l’on était, pour pouvoir les dessiner, de tenir un flambeau d’une main et le crayon de l’autre. Le plus remarquable a beaucoup d’analogie avec le dernier que nous avons décrit dans le portique : c’est encore un jeune homme entre deux personnages qui lui posent sur la tête une mitre sacrée, celle que l’on voit souvent sur la tête des sacrificateurs. En examinant ces divers tableaux, ces têtes d’animaux portées sur des corps d’hommes, ces coiffures énormes et bizarres, on serait d’abord porté à n’y voir qu’une sorte de mascarade de prêtres qui prenaient divers déguisemens suivant les différens personnages qu’ils avaient à représenter ; mais il est bien plus raisonnable de les regarder comme de purs emblèmes. Ces bonnets d’une forme et d’une grandeur prodigieuses, portés presque tous sur un petit pivot, ne permettent pas de supposer qu’ils aient pu être maintenus sur la tête ; et cet argument nous paraît si fort, que nous n’hésitons pas à regarder ces prétendues coiffures comme n’étant que des attributs.

Enfin, parmi les bas-reliefs qui ont attiré notre attention, mais qui n’ont pas été copiés je citerai principalement celui qui se voit dans une des deux petites chambres qui sont à la droite de la première salle en entrant dans le temple. Le mur qui séparait ces chambres est écroulé, et il a entraîné la chute des plafonds ; le grand jour qui pénètre par ces brèches permet de considérer, sur un côté de la muraille, une très-riche offrande qui en occupe presque toute la surface : ce sont des quadrupèdes, des oiseaux de plusieurs espèces, des vases de toutes les formes, des pains, des fruits et des fleurs. On a dessiné quelques-uns des vases, et ils sont réunis à d’autres également copiés à Philæ. La forme belle et simple de ces vases, dont le galbe est ordinairement très-pur, est digne de fixer l’attention.

C’est dans ce même lieu, sur la face du mur qui ferme le temple à l’orient, que l’on a gravé la longitude et la latitude de l’île de Philæ, déterminées par l’un de nos collègues. On a choisi, pour placer cette inscription, l’espace nu et sans sculpture qui est entre le dessous du plafond de la salle et le haut du mur, espace qui, avant la chute du plafond, était, en grande partie, caché par l’épaisseur même des pierres qui le composaient[16].

L’escalier qui conduit sur la terrasse est situé à l’opposé de ces deux petites chambres. Cette terrasse n’est autre chose que le dessus des pierres qui forment les plafonds des diverses salles, et elle est entourée d’une espèce de parapet formé par la corniche, qui s’élève un peu plus que le dessus de la terrasse. Quelquefois, le plafond dans certaines salles n’étant pas aussi élevé que dans d’autres, la terrasse se trouve abaissée dans les endroits correspondans ; mais le plus souvent alors il y a deux étages de chambres l’un au-dessus de l’autre, et le temple conserve son même niveau. C’est ce qui arrive ici : les deux salles qui accompagnent le sanctuaire étant beaucoup moins élevées que lui, on a pratiqué au-dessus d’elles de petites chambres qui sont ornées de sculptures comme tout le reste du temple ; mais ces sculptures sont actuellement couvertes de boue et de mortier, et n’ont point été dessinées.

Comme les Égyptiens ne faisaient point usage de voûtes, il était surtout nécessaire qu’ils se servissent de très-grandes pierres pour former les plafonds ; et quoique le grand temple de Philæ ne soit pas un de leurs plus vastes monumens, les pierres qui servent de plafond au sanctuaire ont cependant cinq à six mètres de long[17], environ un mètre et demi de large, et un mètre d’épaisseur ; car il fallait que ces pierres fussent aussi très-épaisses, pour pouvoir soutenir une semblable portée sans se rompre ; ce qui est cependant arrivé assez fréquemment. Une seule de ces pierres pèse à peu près trente-quatre milliers, et six ou sept pierres semblables sont nécessaires pour former le plafond du sanctuaire seulement. On peut juger par-là du nombre de celles qui couvrent le temple, et de l’immensité de pareils travaux. Mais s’il est extraordinaire de voir de semblables masses et en si grand nombre, il ne l’est pas moins de trouver dans d’autres parties du même temple de très-petites pierres, plus petites même que celles que nous oserions employer dans des cas analogues. Ainsi, la colonne du portique, qui est dégradée, et dont on peut connaître la construction intérieure, n’est pas composée de tambours formant une assise d’un ou de deux morceaux, comme nous le pratiquons, et comme les Égyptiens eux-mêmes l’ont pratiqué dans la plupart de leurs édifices ; les assises sont formées de plusieurs pierres, dont quelques-unes sont fort petites, et entre lesquelles il y a de très-grands vides remplis de mortier. Au reste, quoique ce ne soit pas le seul endroit où cette construction vicieuse ait été observée, elle peut s’expliquer ici par la nature même des matériaux, qui, ayant déjà été employés dans d’autres édifices, n’étaient plus que des débris dont il fallait cependant faire usage.

Parmi les sculptures que l’on a recueillies sur les faces extérieures du grand temple, trois représentent des scènes que l’on regarde comme des sacrifices humains. Dans la plus remarquable des trois est un prêtre qui, d’une même pique, a percé quatre hommes, dont les bras et les jambes sont noués sur le dos : dans cet état, il les offre à une divinité assise.

C’est surtout ici qu’il est permis de dire que de pareilles scènes ne représentent pas un véritable sacrifice, et qu’elles ne doivent être regardées que comme un symbole, soit pour rappeler d’anciens sacrifices humains qui s’étaient pratiqués autrefois, soit pour indiquer la vengeance des lois et le châtiment des coupables. Quoique notre intention ne soit pas de prouver par-là qu’il n’y a jamais eu en Égypte de sacrifices humains, nous croyons qu’on ne peut rien tirer en faveur de cette opinion, des sculptures que nous venons de citer.

Dans le dernier des quatre bas-reliefs copiés à l’extérieur du temple[18], on voit Harpocrate, divinité qui est ici reconnaissable par le crochet et le fléau qu’elle tient entre ses mains, et par son attitude qui ne laisse jamais voir qu’une seule jambe. Devant cette divinité, sur un autel, sont des fleurs de lotus ; un prêtre tient un vase et verse de l’eau sur ces fleurs. Le socle sur lequel le dieu est élevé, porte une inscription qui a été gravée à la main, et dont les caractères sont ceux de l’inscription intermédiaire de la pierre trouvée à Rosette.

Nous avons attendu que nous fussions arrivés à la description de ce bas-relief, pour donner de nouvelles raisons de croire que la ligne brisée en zigzag est l’hiéroglyphe de l’eau, ainsi qu’un grand nombre de personnes le supposent. Déjà nous aurions pu faire remarquer dans la planche 14, qu’il sort du goulot d’un vase et du bec de l’autre de semblables lignes en zigzag, qui ne sauraient représenter autre chose que la liqueur contenue dans ces vases. Mais ici la chose est plus manifeste : le prêtre penche le vase, et il en découle trois lignes brisées ; comme elles tombent sur des fleurs de lotus, fleurs qui ne croissent qu’au milieu des eaux du Nil, on ne peut guère mettre en doute que ces lignes ne figurent l’eau, soit l’eau en général, soit seulement celle du Nil au temps de son accroissement et lorsque les lotus s’y développent. Je ne sache pas que l’on ait donné jusqu’ici une preuve aussi claire du sens de cet hiéroglyphe.

  1. Douze à treize pieds.
  2. Vingt-deux à vingt-trois pieds.
  3. J’entends ici par base, le pied de la colonne, et non le support sur lequel elle repose.
  4. Voyez princip. la pl. 11, fig. 1.
  5. Six pieds deux pouces.
  6. Huit pieds six pouces.
  7. Voyez la pl. 18.
  8. Voyez la descr. d’Edfou, §. vi.
  9. Comme, le plus souvent, cette bande ornée d’étoiles a la forme qu’on lui voit ici, nous avons pensé que peut-être, lorsqu’on rencontre cette forme dans les hiéroglyphes, elle y exprime le ciel ou quelque chose qui y est relatif.
  10. Voyez l’explication de la pl. 10 dans les index joints à l’atlas.
  11. On n’est pas certain si le monolithe renversé est dans le sanctuaire ou dans la salle qui le précède. Dans ce dernier cas, il serait possible qu’il eût été tiré de la salle latérale de gauche, et il y aurait eu alors un monolithe dans chacune des trois salles du fond du temple ; ce qui n’est pas dénué de vraisemblance.
  12. Sept pieds.
  13. Celui de nous qui a mesuré et dessiné ce monolithe, en a trouvé la cage occupée par une troupe de chauve-souris.
  14. Ces bandelettes sont gravées dans le Voyage de M. Denon, pl. 125.
  15. Dix-huit pieds et demi.
  16. Voyez la note 1, page 18.
  17. Quinze à dix-huit pieds.
  18. Voyez planche 15, figure 15.