Description de Notre-Dame, cathédrale de Paris/Porte Sainte-Anne

Porte Sainte-Anne.

La troisième porte de la façade s’ouvre au pied de la tour méridionale ; elle est, comme nous l’avons dit dans les premières pages de ce livre, composée de fragments appartenant à un édifice plus ancien qu’aucune des parties visibles de la cathédrale actuelle, et probablement tirés de l’église restaurée par Étienne de Garlande. Il est difficile d’admettre, en effet, que les fragments considérables, reposés autour de la porte Sainte-Anne au commencement du XIIIe siècle, aient pu appartenir aux constructions entreprises par Maurice de Sully, de 1160 à 1196. En supposant que l’illustre prélat eût fait commencer le portail occidental en même temps que le chœur de la cathédrale, la sculpture qui eût décoré les portes d’une façade à peine sortie de terre en 1170, se fût rapprochée de celle exécutée à la même époque à Senlis, à Mantes, à Sens, et n’eût plus été empreinte d’un caractère hiératique aussi prononcé. Les nombreux et magnifiques fragments du XIIe siècle, replacés au XIIIe par l’architecte de la façade de Notre-Dame, ne peuvent être postérieurs aux sculptures du portail Royal de Chartres, des portes du nord et de la façade occidentale de l’Église abbatiale de Saint-Denis ; elles seraient plutôt leurs aînées ; car, au centre de l’Île de France, à Paris, la sculpture est en avance de quelques années sur celle des provinces voisines. Nous sommes donc obligés d’admettre que ces fragments de la porte Sainte-Anne doivent avoir été sculptés avant l’année 1240, c’est-à-dire au moment où l’archidiacre Étienne de Garlande fit exécuter des travaux importants à l’église de la Vierge, démolie plus tard pour faire place à la cathédrale actuelle. Ce qui ne saurait être mis en doute, c’est que l’architecte de la façade nouvelle replaça respectueusement un tympan, un linteau, des voussures, des statues, et des consoles de la première moitié du XIIe siècle, autour de la porte percée sous la tour du Sud, comme à Bourges vers 1225 on incrusta des fragments d’une église antérieure dans les ébrasements et au-dessus des portes nord et sud de la cathédrale. À la porte Sainte-Anne de Paris les sculptures romanes durent s’accommoder aux formes générales des deux autres portes, dont il n’était pas permis de troubler l’harmonieuse disposition. L’ogive du tympan était émoussée et comme incertaine : on y ajouta une pointe. Ce tympan manquait de hauteur : il fut agrandi d’une zone de sculptures au-dessous des deux rangées qu’il avait déjà. Les personnages de la voussure n’étaient pas en nombre suffisant pour remplir la baie ainsi modifiée : ils reçurent dans leurs rangs quelques compagnons nouveaux.

Le stylobate orné d’arcatures ogivales, avec leurs colonnettes, leurs archivoltes bordées de billettes, et leurs fonds semés de fleurs de lis en creux, qui garnit les ébrasures de la porte Sainte-Anne, a été refait depuis peu ; l’ancienne décoration avait subi de fâcheuses dégradations et appartenait au XIIIe siècle. Au-dessus de cette base, il y avait place de chaque côté pour quatre statues accompagnées de colonnettes, de splendides chapiteaux et de dais en forme de châteaux[1]. L’abbé Lebeuf, si bon juge en pareille matière, croyait que ces figures étaient antérieures à la porte où elles se trouvaient posées, et qu’elles avaient été réservées de quelque autre église. Il y reconnaissait d’abord saint Pierre et saint Paul. Deux reines placées chacune entre deux rois, lui paraissaient être la reine de Saba et Bethsabé, symboles bibliques de l’Église. Un des rois, tenant un instrument à cordes, était David ; un autre, Salomon. Le troisième et le quatrième représentaient des personnages de la généalogie royale de la Vierge. Ces effigies de rois et de reines, d’une forme longue et d’un travail minutieux, semblaient les plus anciennes de toute la basilique. Nous pensons qu’elles ressemblaient fort à celles du portail occidental de la cathédrale de Chartres. Elles sont gravées dans les Antiquités de D. Montfaucon, avec des noms mérovingiens ; le David y prend celui de Chilpéric Ier, qui se croyait, dit-on, un peu musicien ; les autres passaient, nous ne savons en vertu de quels renseignements, pour Clotaire Ier et Clotaire II, Arégonde, Gontran et Frédégonde. Nous n’avons pas besoin d’ajouter que l’opinion de l’abbé Lebeuf a seule, sur ce point, quelque valeur à nos yeux.

La figure longue et mince adossée au pilier-trumeau est celle de saint Marcel, neuvième évêque de Paris, mort le 1er novembre 436. Elle appartient au style des sculptures du XIIe siècle. Le costume du saint évêque est complet : aube, tunicelle brodée de palmettes, étole frangée, chasuble ronde relevée sur les bras, amict abaissé autour du col. La main gauche tient un long bâton de crosse, dont la volute a été cassée ; la droite fait un geste de bénédiction. Brisée pendant la révolution, cette statue a été rapiécée en 1818 ; elle manque de style. Le pied droit du saint foule la tête d’un monstre, à deux pattes armées de griffes et queue de serpent. Ce dragon est sorti du linceul qui enveloppe le corps d’une femme couchée dans son tombeau. Un arceau appuyé de deux colonnettes recouvre ce sépulcre taillé dans la pierre, et, suivant l’usage ancien, plus étroit aux pieds qu’à la tête. La Légende d’or nous dira la signification de cette sculpture. « Une femme de race noble selon le monde, mais bien méprisable à cause de ses vices, ayant rendu le dernier soupir, fut portée en grande pompe à son cercueil ; mais voici ce qui en arriva… : un horrible serpent vint dévorer son cadavre, et cette bête prit pour demeure le tombeau de la malheureuse, dont les restes lui servaient de nourriture. Les habitants de ces lieux s’enfuirent alors de leurs demeures tout épouvantés. Le bienheureux Marcel comprit que c’était lui qui devait triompher du monstre… Lorsque le serpent, sortant d’un bois, s’en revenait vers le sépulcre, Marcel se présenta devant lui en priant ; le monstre, dès ce moment, sembla demander grâce en baissant la tête et en agitant la queue ; il suivit ensuite le saint évêque pendant près de trois milles à la vue de tout le peuple… Alors saint Marcel lui parla ainsi avec autorité : « Dès ce jour, va-t’en habiter les déserts, ou replonge-toi dans la mer. » Et depuis on n’en a plus vu aucune trace.

Le trumeau est comme une haute tour carrée, couronnée de tourelles et percée de longues ouvertures, les unes cintrées, les autres ogivales, il a été en partie refait en 1818. Deux anges, en tuniques ornées de pierreries, les ailes ouvertes et les mains élevées, sont placés en consoles sous le linteau. Sur la dernière assise de chaque montant de la porte, on voit le commencement d’un rinceau qui devait appartenir à une porte du XIIe siècle. Son feuillage un peu plat, mais d’une exécution savante, encadré de perles, rappelle les rinceaux si vantés de la porte Sud de la cathédrale de Bourges.

Comme les tympans des deux autres portes, celui de la porte Sainte-Anne se partage dans sa hauteur en trois zones. Les additions faites au XIIIe siècle pour le compléter ont introduit dans les sujets une espèce de surabondance, une confusion même, qui n’existaient pas dans le principe. L’histoire de sainte Anne et celle de la Vierge s’y mêlent avec un certain désordre dans la partie inférieure, qui appartient au XIIIe siècle, tandis que la sculpture romane se présente au-dessus avec une régularité parfaitement claire. Ainsi que nous l’avons fait à la porte centrale, il faut rattacher ici au tympan le premier personnage ou le premier groupe de chacun des quatre cordons de la voussure.

À droite, quatre personnages debout dans cette voussure, jeunes, imberbes, coiffés de chapeaux en pointe, tenant à la main des restes de baguettes, sont les descendants de David, que le grand prêtre avait convoqués pour choisir parmi eux un époux à Marie.

Première zone du tympan. — Joseph, vieux et barbu, arrive à cheval ; il ne sort qu’à moitié de la muraille. Il a quitté sa monture ; la baguette qu’il tient à la main vient de fleurir, et ce miracle prouve que le choix de Dieu s’est fixé sur lui. Sainte Anne s’approche de l’époux destiné à sa fille. Deux jeunes hommes de la race de David regardent tristement leurs baguettes, qui n’ont produit ni feuilles, ni fleurs ; le premier porte la main droite au bâton de Joseph, comme pour mieux s’assurer du prodige. Le grand prêtre, en longue robe et la tête couverte d’un voile, célèbre le mariage ; il tient par les mains Joseph et Marie. La Vierge est très-jeune, de petite taille, les cheveux longs ; une couronne de fleurs lui entoure la tête. Près d’elle, son père, Joachim, qui lui serre la main gauche en signe d’adieu, et sainte Anne, sa mère. Un peu plus loin, l’autel, au-dessus duquel brûle une lampe, et qui se trouve abrité par un édifice à toiture imbriquée, avec des colonnes pour supports. Le sujet suivant, sculpté au sommet du trumeau, fait saillie sur le reste du bas-relief, on y remarque sainte Anne, à qui un ange annonce qu’elle deviendra mère, et Joachim, appuyé sur un bâton. La Vierge, représentée comme au moment du mariage, relève Joseph, qui s’est jeté à ses genoux pour lui demander pardon d’avoir douté de sa pureté ; un ange révèle à Joseph le mystère de la conception du Christ. Joseph prend la Vierge par la main et l’emmène. Le temple, ouvert par deux arcs trilobés et soutenu par des colonnes. Joachim portant un agneau, et derrière lui Anne tenant une corbeille qui renferme deux colombes, paraissent devant le grand prêtre ; celui-ci, ne pouvant accueillir leurs offrandes à cause de la stérilité d’Anne, leur montre sur un autel carré une banderole roulée, figure de la loi qui lui prescrit de refuser. Joachim s’en va portant un paquet sur l’épaule, et accompagné d’un autre personnage qui lui parle. Ce dernier avait dans chaque main un attribut qui a été brisé. Une suite de petits pendentifs en ogives trilobées couronne ces diverses scènes, que rien ne sépare les unes des autres. En passant du tympan au premier sujet de chacun des quatre cordons de la voussure, à gauche, nous voyons Joachim assis sur un rocher, la tête nue, portant au côté une manière d’escarcelle en filet ; au pied du rocher, des arbres, des moutons et d’autres animaux ; un ange, sortant d’une nuée, pour avertir Joachim de retourner auprès de sa femme ; encore Joachim, assis sur son rocher, au milieu de son troupeau, et sans doute au moment de se mettre en marche ; les deux époux, père et mère de la Vierge, se rencontrant à la porte dorée de Jérusalem, sous laquelle ils entrent chacun de son côté.

Seconde zone du tympan. La Vierge a monté les quinze degrés symboliques du temple ; elle prie à genoux devant un autel surmonté d’une lampe. Cette première figure appartient au XIIIe siècle ; tout le reste date du XIIe siècle. La pierre employée au XIIe siècle est dure et grise ; l’autre, d’un grain moins serré, a pris une teinte plus noire. Les personnages du style roman accusent plus nettement une époque encore soumise aux traditions hiératiques ; les poses sont plus raides et plus graves, les reliefs plus plats, les costumes plus riches, les plis des vêtements plus nombreux et plus secs, les formes plus conventionnelles et plus éloignées du naturalisme. Un personnage vieux, nimbé, tenant une banderole dépliée, probablement saint Joseph. L’ange Gabriel debout, tenant de la main gauche un sceptre à moitié brisé ; la Vierge déclarant qu’elle est soumise à la volonté de Dieu. La Vierge et sa cousine Élisabeth ; elles enlacent leurs bras pour s’embrasser. La Vierge couchée sur un lit et couverte d’un drap qui ne laisse voir que sa tête et sa main droite ; Joseph assis et endormi à la tête du lit ; vers les pieds, l’enfant Jésus dans sa crèche, tout emmailloté de bandelettes ; le bœuf et l’âne qui montrent leurs têtes et réchauffent de leur haleine le nouveau-né ; dans un cercle de nuages, trois anges qui admirent le mystère d’un Dieu fait homme. Deux bergers appuyés sur de longs bâtons, vêtus de capes et de peaux ; leurs chiens aboient à la vue des anges qui apparaissent. Hérode sur son trône, sceptre en main, assisté de deux conseillers assis auprès de lui ; il donne audience aux trois Mages qui se présentent avec couronnes, sceptres et vêtements courts comme il convient à des voyageurs ; ils ont attaché à un même arbre leurs trois chevaux sellés et bridés. Une arcature cintrée, surmontée d’une foule de châteaux et de petits édifices marque la limite de cette seconde partie.

Au sommet du tympan, les personnages sont beaucoup plus grands que dans les deux premières parties. La Vierge est assise au milieu sur un banc décoré d’arcatures et couvert d’étoffe ; elle porte couronne, voile, robe et manteau ; de la main droite elle tient son fils ; elle avait peut-être une fleur dans la gauche, qui est vide aujourd’hui. Assis dans le giron de sa mère, l’enfant tient un livre ouvert et lève la main droite pour bénir ; sa pose est pleine de majesté ; il n’est pas besoin de le regarder à deux fois pour reconnaître que ce n’est point un enfant ordinaire. Un arc cintré, reposant sur deux colonnes, isole la Vierge des autres figures ; il a pour couronnement une vraie coupole byzantine, réminiscence de l’Orient, avec le dôme aplati entouré à sa naissance d’une ceinture de petites fenêtres et surmonté d’une croix ; des clochetons romans l’accompagnent. Aux côtés de la Vierge, deux anges debout, des encensoirs à la main ; l’un porte de plus une navette. Des nuées se dessinent dans le haut du cadre. À la gauche de la Vierge, un roi à genoux, déroulant des deux mains une longue banderole qui figure une charte de donation ou de concession de priviléges. Le prince est barbu, couronné, vêtu d’une tunique courte avec le manteau par-dessus. La sculpture date certainement du temps de Louis VII, qui régna de 1137 à 1180, et qui ne put demeurer indifférent à la restauration de l’église de la Vierge. C’est donc lui, l’ami de Suger, le héros de la seconde croisade et le père de Philippe-Auguste, dont nous croyons voir ici l’image. À droite de la Vierge, un évêque debout, la tête coiffée de la mitre basse, le visage barbu, la chasuble galonnée et relevée sur les bras, tient comme le roi une banderole dépliée. La crosse, passée entre le bras droit et le corps, a perdu sa partie supérieure. On remarquera la différence d’attitude : le roi à genoux, comme un simple laïque ; l’évêque debout en sa qualité de pontife. Auprès de l’évêque, un personnage assis, imberbe, vêtu d’une chape, écrit avec beaucoup d’attention sur une tablette ; serait-ce Étienne de Garlande ? Au-dessus de cette dernière portion du tympan, des rinceaux, des nuées, et deux anges avec encensoirs remplissent l’intervalle de l’ogive romane à celle du XIIIe siècle.

La voussure se développe sur quatre rangs. Indépendamment des personnages de la première rangée horizontale que nous avons déjà mentionnés, on en compte encore soixante, quatorze à chacun des deux premiers cordons, et seize à chacun des deux autres. Tous, sauf peut-être quelques intercalations assez difficiles à distinguer, sont l’œuvre d’un ciseau roman. Au premier cordon, quatorze anges, tenant les uns des encensoirs seulement, les autres aussi des navettes : il y en a un qui met l’encens sur le charbon avec une petite cuiller. Ces anges diffèrent entre eux de geste et d’attitude, bien que pareils dans leur ensemble. Les personnages du second cordon, couronnés, sceptres et banderoles en mains, tous barbus, excepté un seul qui doit être Salomon, sont les rois de la généalogie de la Vierge. Deux de ces rois ont les pieds posés sur de petites figures humaines, dont une relève les jambes en l’air. Au troisième cordon, des prophètes déroulent des banderoles, feuillètent des livres, ou montrent du doigt la fille de David assise au tympan. On reconnaît le premier à droite pour un Moïse, aux deux protubérances de son front. Les seize personnages du dernier cordon représentent, nous le pensons, ces vieillards de la vision de saint Jean, qui chantent les louanges de Dieu sur la harpe, et qui portent des vases d’or contenant les prières des justes. Il y en a sept qui jouent de divers instruments curieux par leurs formes, violon, harpe, guitare ; trois qui tiennent des vases ; six qui n’ont que des banderoles. Pour ne pas accuser le sculpteur d’inexactitude, on pourrait à la rigueur faire rentrer dans la catégorie des prophètes ceux qui n’ont ni vases ni instruments de musique. Au sommet des trois derniers cordons, on trouve encore des sculptures intéressantes : un ange tenant sur deux nappes deux petites âmes qui joignent les mains ; un agneau pascal avec la croix, entouré d’une nuée, et accompagné de deux anges qui le montrent au peuple : le Dieu créateur, entre deux anges, sortant d’un nuage, les mains étendues, plaçant dans le ciel, comme le dit l’Écriture, le grand luminaire qui préside au jour et le moindre qui préside à la nuit. Enfin, l’encadrement de l’ogive, richement feuillagé, retombe sur deux figures, un moine encapuchonné, la tête levée vers le ciel ; une femme assise, la tête appuyée sur une de ses mains.

Avant de quitter ces portes, nous signalons à l’admiration de tous les magnifiques pentures de fer forgé qui recouvrent les vantaux de bois des portes de la Vierge et de Sainte-Anne. Elles se classent au premier rang des pièces capitales de la serrurerie des XIIe et XIIIe siècles. Dans l’origine, elles s’appliquaient sur un enduit peint en rouge qui s’est détruit, mais dont on retrouve quelques parcelles. Nous ne saurions assez prôner la variété des feuillages, la fermeté des contours, l’ingénieuse disposition des enroulements, et ce caractère de solidité qui sied si bien aux portes d’un édifice comme Notre-Dame. Quelques oiseaux, réels ou fantastiques, animent certaines parties du feuillage. À voir les pentures de la porte Sainte-Anne, on pourrait croire que préparées, comme la sculpture elle-même, pour des baies un peu moins larges et moins hautes, elles se seront ensuite trouvées trop courtes. Leurs formes, encore empreintes de style roman, accusent une époque un peu plus ancienne que celle des pentures de la porte de la Vierge.

Suivant des traditions encore vivantes chez le peuple de la Cité, l’habile serrurier qui a si vigoureusement ferré les portes de Notre-Dame serait le diable en personne venu en aide, moyennant un pacte bien conclu, à l’ouvrier qu’on avait chargé de cette œuvre, et qui ne savait plus comment se tirer d’embarras. Ce diable forgeron est connu dans le quartier sous le nom de Biscornette, qui n’a pas besoin d’explication ; des savants en ont fait un artiste vivant pendant le XIVe siècle, bien que les ferrures datent du commencement du XIIIe, et ce sobriquet a pris place sur plus d’une liste de maîtres du moyen âge. Pour si malin qu’il fût, Biscornette ne parvint jamais à ferrer la porte centrale par laquelle sortait le saint sacrement dans les jours de solennité. La porte Sainte-Anne restait ordinairement fermée ; le peuple en concluait qu’un sort avait été jeté sur elle, et qu’elle ne s’ouvrirait plus. Tout ce que nous en pouvons dire, c’est que de nos jours les architectes l’ont ouverte à deux battants, et sans trop de difficulté. Quelle que soit la valeur de ces croyances populaires, nous sommes persuadé que la porte centrale était fermée par des vantaux ornés de la même manière que les autres. Soufflot les remplaça par une grande boiserie où l’on voyait sculptés, à peu près de proportion naturelle, le Christ et la Vierge. À la même époque, les vantaux des deux portes du transsept et de la porte Rouge furent refaits par les soins du chapitre, en un style gothique, comme on le comprenait au XVIIIe siècle.

On pourrait supposer que cette multitude de statues et de bas-reliefs que nous avons cités ne s’ajustent pas sur la façade sans contrarier les lignes de l’architecture. Il n’en est rien cependant. Jamais accord plus fraternel n’exista entre le sculpteur et l’architecte : jamais ils n’ont mieux réussi à se faire mutuellement valoir. L’arrangement de ces grands portails, si majestueux d’ensemble et si riches de détails, appartient tout entier au XIIIe siècle, et ce n’est pas une de ses moindres gloires. À aucune époque la sculpture n’a été employée avec plus de goût et d’intelligence. Tout semble coulé d’un seul jet, de telle manière qu’on ne saurait rien retrancher dans l’ornementation sans amoindrir la construction elle-même et sans déprécier l’harmonie des formes générales.


  1. Les chapiteaux sont enveloppés de branches entières de chêne, d’orme, de vigne, etc.

    Les dais sont de véritables châteaux-forts en miniature, qui méritent une attention particulière. On y découvre une foule de détails intéressants sur les constructions civiles et militaires.