Description d’un voyage aux établissements thermaux de l’arrondissement de Limoux/Rennes

II. — Rennes.


J’arrive en touriste à Rennes, ayant voulu, d’Alet ici, jouir et de la beauté de la campagne et de l’originalité des paysages.

Après avoir, jusqu’au joli bourg du Couiza, ancienne résidence des Joyeuse et des Guize, longé, pendant sept kilomètre, la rivière, dans une riante et fraîche vallée, sur une belle route bien souvent encombrée, soit par des voitures et des piétons, soit par de nombreux ouvriers qui tracent la voie ferrée de Limoux à Quillan, j’ai quitté, à regret, l’Aude, parfois capricieuse et toujours ombragée, pour prendre la direction de son affluent tranquille, la Sals, après avoir admiré au loin, vers le Sud, du côté de Quillan, une foule de villa blanches, se dessinant sur un fond de verdure couronné de rochers rouges et bleus.

La route qui conduit à Rennes se bifurque ici à angle droit et se dirige vers le Sud-Est, au fond d’une sorte d’entonnoir, dans une vallée formée par des montagnes où quelques cratères semblent vous apparaître. Tout est sombre et beau : à droit, à l’antique manoir de Rennes ; à gauche, le château-fort d’Arques, et, plus loin, dans l’horizon, le pic imposant de Bugarach. Nulle fatique, car tout vous rappelle mille souvenirs historiques, les plus anciens et les plus palpitants d’intérêt. Là (à côté de Peyrolles), c’est un druide au regard sévère, qui vous apparaît à côté d’un menhir ; ailleurs, des armées de peuples divers qui franchissent tour à tour les Marches-d’Espagne pour envahir la Gaule, et, sur le flanc des montagnes, nos preux ancêtres qui leur disputent le passage. Séduit par tant d’attraits, j’ai de la peine à en croire mes yeux, lorsque je me vois à Rennes ; cependant je viens de franchir un espace de sept kilomètres, depuis Couiza ; et c’est au bruit d’une cascade d’eau fumante, qui se confond au brouhaha lointain d’un peuple dans la joie, que je sors de ma léthargie. Après avoir admiré les établissements de bains qui tous longent la route, je vais me confondre dans Rennes au milieu d’une foule qui souffre, qui joue, qui se promène, qui chante, qui danse ; et si je n’eusse vu un grand nombre de sujets d’Esculape, je me fusse cru transporté dans un Cirque-Olympique.

Rennes jouit à juste titre d’une réputation la plus ancienne et la plus étendue : les Romains, de même qu’à Alet, y avaient des thermes ; plusieurs têtes couronnées sont venues implorer le bienfait de ses eaux ; et l’on n’est plus étonné du grand renom de cette station balnéaire, lorsqu’on a vu, ici, trois sources thermales de 38 à 52 degrés, différentes de vertus, chacune avec son établissement ; là, des eaux ferrugineuse froides, et, plus loin, des eaux salines plus abondantes. L’on constate ici, tous les ans, des guérisons sans nombre de rhumathismes articulaires, de paralysies, de maladies de la peau et de névroses. Aussi, est-ce partout encombrement ; c’est un mélange de coiffure ou de langage qui vous fait comprendre que l’on vient de loin à Rennes, et, dans l’encombrement, une union fraternelle de toutes les conditions qui vous dit bien haut que, dans la souffrance comme dans la charité, les hommes sont heureux de se confondre.

À bientôt une lettre de Campagne.


20 juillet 1876.