Description d’un voyage aux établissements thermaux de l’arrondissement de Limoux/Alet

DESCRIPTION D’UN VOYAGE
AUX ÉTABLISSEMENTS THERMAUX
DE L’ARRONDISSEMENT DE LIMOUX.

I. - Alel.


La première est Alet, à neuf kilomètres du chef-lieu d’arrondissement ; elle est située sur la rive droite de l’Aude, dans un vallon des plus pittoresques, au pied des contreforts pyrénéens, à une altitude de 180 mètres au dessus du niveau de la mer.

On ne connaît pas la date de la fondation d’Alet ; mais comme partout où des abbayes se sont élevées, il n’a pas été rare de voir bientôt un centre de population, s’il n’existait déjà, on fait remonter l’origine de cette cité à celle de l’abbaye d’Alet, qui fut fondée en l’an 815 par Bera, comte de Barcelonne. L’abbaye prend de l’extension ; en 1018, son église, consacrée en 873, est réparée et de nouveau consacrée. Alet voit son monastère et son église ravagés par un comte de Béziers en 1032. Il restaure ses édifices, et, en 1197, il s’entoure de remparts. Il est le siège d’un évêché, de 1318 à 1789, et c’est l’église du monastère qui est érigée en cathédrale. Aujourd’hui il n’y a que quelques faibles restes du monastère, et la cathédrale est en ruines. Les réformés dévastèrent ces deux beaux édifices, et la Révolution de 1789 a presque achevé de détruire ce qui en était resté debout après les luttes du XVIme siècle. — Comme tous ces faits sont intimement liés à l’histoire du pays que nous allons parcourir et dont Alet était le centre principal, j’ai cru devoir les relater ici.

L’établissement des bains est à 150 mètres de la ville ; il possède deux sources thermales, qui ont un maximum de 32 degrés centigrades, et une source froide. Il est, à ce jour, des plus vastes, des plus riches, avec des dépendances les plus élégantes : on peut dire que cette station thermale est de premier ordre. Les eaux sont alcalines et ferrugineuses. Je n’ai pas besoin de parler de l’abondance des sources ni de dire que les eaux d’Alet sont d’un usage très-répandu dans les convalescences des maladies aiguës, les dyspepsies, la migraine, la chlorose et l’état nerveux.

Tout ici a de l’attrait : la variété des sites, la douceur constante du climat, l’urbanité franche des habitants et le charme de la campagne. Dans le vallon est un mélange de paysages qui forme le plus beau des contrastes : à côté des restes sévères du cloître, des l’évêché et de la cathédrale, sont des maisons d’un style tantôt grave et tantôt coquet ; là, une antique cité ; ici, la nouvelle ville ; ailleurs, la gare du chemin de fer que l’on achève de construire. Partout sont des jardins où abondent les meilleurs fruits et où mille cascades procurent une fraîcheur vraiment délicieuse. Et lorsqu’on voit quelques pans de château ou de fortifications des acqueducs, des ruines de thermes, un horizon de montagnes parfois calcinées, on se croirait, avec un ciel bleu sur la tête, transporté au milieu d’une ancienne cité de la Grèce. Puis, que de sujets variés et intéressants pour un archéologue, à Alet : aux ruines du monastère, où l’architecture est du plus pur antique, et à celles de la cathédrale où le genre du xie siècle, avec son architecture gothique, succède aux idées romaines avec leurs chapitaux corinthiens seuls, leurs formes polygonales… Notre cité est bien là dans toutes ses époques. Si Alet sait conserver ce qui lui reste encore de ses beaux monuments, ce sera pour lui la plus belle page de son antique histoire.

La campagne, réellement digne de l’Alsace et des Vosges, par les accidents et la verdure, offre au naturaliste, au botaniste comme à l’antiquaire, un vaste champ à étudier. Que la nature y est belle et qu’on s’y trouve bientôt délassé ! c’est une végétation épaisse et abondante ; ici, des bois de chênes et de châtaigniers ; à côté, la vigne, l’olivier et le figuier ; plus loin, des rochers élevés où grimpent, tombent et s’enlacent des feuilles de plantes, d’arbustes de toutes sortes et de toutes formes ; dans la vallée, l’Aude qui serpente en répandant partout la fraîcheur ; et, au loin, perdues dans l’horizon, les Pyrénées avec leurs vastes champs de sapins, et couronnées de neiges éblouissantes. Enfin, l’eau qui abonde partout ; elle sort tantôt de terre avec fracas et se répand paisible dans la vallée ; parfois elle se précipite écumante comme un fleuve qui aurait rompu ses digues, pour s’infiltrer sous la verdure et !e feuillage, et sortir plus loin en mille ruisseaux argentés…

Tout a de l’attrait, tout est pittoresque, tout est délices ; aussi, est-ce avec le plus vif regret que je m’éloigne du beau pays alétien. Je laisse ici beaucoup de touristes, une nombreuse société de beau monde et une affluence de convalescents.

Je me rends à Rennes, dont je vous promets la description.

16 juillet 1876.