Des théorèmes mécaniques (trad. Reinach)/Théorème I

Traduction par Théodore Reinach.
Texte établi par Théodore ReinachArmand Colin (p. 27-32).


(Théorème Ier)[1].

Étant donné[2] un segment de parabole ΑΒΓ (fig. 2), si par le milieu Δ de la corde on mène[3] le diamètre ΔΕ qui coupe l’arc en Β et qu’on joigne ΒΑ, ΒΓ, la surface du segment ΑΒΓ vaut les 4/3 du triangle ΑΒΓ.

Menons ΑΖ parallèle au diamètre, et la tangente ΓΖ à la courbe. Prolongeons ΓΒ jusqu’à sa rencontre Κ avec ΑΖ, et, au delà, d’une longueur ΚΘ = ΚΓ. Imaginons que ΓΘ soit un levier[4] ayant pour point fixe son milieu Κ. Soit enfin ΜΞ une parallèle quelconque à ΔΕ.

Puisque ΓΖ est une tangente à la parabole et ΓΑ Figure 2 : Quadrature de la parabole par la méthode mécanique.
Fig. 2.
une corde conjuguée[5] (du diamètre ΒΔ), on a ΕΒ = ΒΔ, car ceci est démontré dans les Éléments[6]. On a, dès lors, — à cause des parallèles ΖΑ, ΜΞ, ΕΔ : — ΜΝ = ΝΞ, ΖΚ = ΚΑ.

D’autre part, on a :

(1)

ΓΑ/ΑΞ = ΜΞ/ΞΟ,

car ceci a été démontré dans un lemme[7].

Comme ΓΑ/ΑΞ = ΓΚ/ΚΝ, on peut donc écrire aussi :

ΓΚ/ΚΝ = ΜΞ/ΞΟ,

et, puisqu’on a pris ΚΘ = ΓΚ :

(2)

ΚΘ/ΚΝ = ΜΞ/ΞΟ.[8]

Transportons ΞΟ en ΤΗ, avec Θ pour milieu c’est-à-dire pour centre de gravité [Lemme III]. De même Ν sera le centre de gravité de la droite ΜΞ restée en place. Comme Κ est le point fixe du levier, on voit que, à cause de l’égalité (2), les droites ΤΗ (= ΞΟ) et ΜΞ se feront équilibre par rapport à ce point fixe, puisque les distances de leurs centres à ce point sont inversement proportionnelles à leurs longueurs (c’est-à-dire à leurs poids). Κ sera donc le centre de gravité de leurs poids composés.

Il en sera de même pour toutes les parallèles menées au diamètre à l’intérieur du triangle ΖΑΓ : la parallèle, restant en place, fera équilibre à sa portion comprise dans le segment, supposée transportée en Θ, et le centre de gravité du couple sera toujours le point Κ.

La somme des parallèles en question, c’est l’aire du triangle ΓΑΖ ; la somme de leurs portions semblables à ΟΞ, interceptées par le segment, c’est le segment parabolique ΒΑΓ. Donc au total le triangle ΖΑΓ, restant en place, fera équilibre au segment entier transporté en Θ, et le centre de gravité de leur système sera Κ.

Prenons sur ΓΚ le point Χ tel que ΓΚ = 3 ΚΧ : Ce point (étant au tiers de la médiane ΓΚ et par conséquent au point de rencontre des 3 médianes) sera le centre de gravité du triangle ΓΑΖ, comme cela a été démontré dans les Équilibres[9]. Comme le triangle fait équilibre par rapport à Κ au segment, transporté au centre Θ (les distances de leurs centres de gravité au point fixe sont inversement proportionnelles à leurs aires) :

tr. ΑΖΓ/segm. ΑΒΓ = ΘΚ/ΚΧ = 3.

D’autre part, le triangle ΓΑΖ est quadruple du triangle ΑΒΓ à cause de ΖΚ = ΚΑ, ΑΔ = ΔΓ ; donc finalement :

segm. ΑΒΓ/tr. ΑΒΓ = 4/3.[10]

Ce qui précède ne constitue pas une démonstration (complète)[11], mais suffit à donner à la conclusion une apparence de vérité. Voilà pourquoi, voyant d’une part que le théorème n’était pas (complètement) démontré, supposant d’autre part la conclusion exacte, j’ai trouvé une démonstration géométrique que j’ai publiée précédemment[12] et que j’ajouterai plus bas en appendice[13] (?)


  1. L’énoncé de ce théorème est cité par Héron, Métriques, (éd. Schœne), p. 80,17 et 84,11. Sa démonstration complète fait l’objet du Traité (antérieur au nôtre) intitulé Quadrature de la parabole (II, 294 suiv.). Archimède y distingue (prop. 14 et 15) suivant que le diamètre est perpendiculaire ou non à la base du segment, mais la solution est la même dans les deux cas.
  2. M. à m. : « soit un segment ΑΒΓ compris entre une droite ΑΓ et (une partie d’) une section de cône orthogonal ΑΒΓ… »
  3. Archimède dit : « une droite parallèle au diamètre », entendant par diamètre l’axe de la parabole. Ailleurs, il appelle diamètre d’un segment curviligne la droite qui divise en deux parties égales toutes les cordes parallèles à la base du segment (Conoïdes, 3 ; I, 302, Heib.). J’ai cru plus clair d’adopter ici cette terminologie, conforme à l’usage moderne. On sait, d’ailleurs, que tous les diamètres de la parabole sont parallèles à l’axe (Rouché et Comberousse : Géométrie élémentaire, no 1051).
  4. Archimède dit : un fléau (de balance).
  5. Le grec dit καὶ τεταγμένως (sous-entendu κατηγμένη). Le sens de ce terme est bien marqué par des passages comme II, 230, Heib.
  6. C’est-à-dire dans les ouvrages élémentaires sur les sections coniques comme celui d’Aristée l’Ancien, cité par Pappus (Cantor : Vorlesungen über Geschichte der Mathematik, I, 232) et revu par Euclide. Cet ouvrage est perdu, mais notre théorème (énoncé Quadr. parab. 2) est démontré par Apollonius : Coniques, I, 35 (p. 105, Heib.).
  7. Ο partage ΜΞ comme Ξ partage ΑΓ. Cette proposition s’établit facilement en s’appuyant sur la propriété de la parabole rapportée à une tangente et au diamètre conjugué : y²/x = constante. Prenons Γ pour origine et pour axes des coordonnés la tangente ΓΕ et la parallèle au diamètre menée par Γ.

    On a ΑΖ/ΓΖ² = ΟΜ/ΓΜ², ou (1) ΑΖ/ΟΜ = ΓΖ²/ΓΜ² ; or : (2) ΑΖ/ΞΜ = ΓΖ/ΓΜ ; divisons membre à membre (1) et (2) : il vient (3) ΞΜ/ΟΜ = ΓΖ/ΓΜ = ΓΑ/ΓΞ, c’est-à-dire : Ο partage ΜΞ comme Ξ partage ΑΓ.

    En particulier, Δ étant milieu de la corde ΑΓ, le sommet Β du diamètre conjugué sera le milieu de ΔΕ (démonstration de la proposition ΕΒ = ΒΔ, plus simple que celle d’Apollonius). [Démonstration communiquée par R. Prévost.]

    Archimède, dans la Quadrature de la parabole (§ 4 et 5), obtient cette relation (ΑΓ/ΑΞ = ΜΞ/ΟΞ) par un calcul un peu plus long. Il écrit le rapport du carré des ordonnées aux abscisses en les rapportant à la tangente en Β et au diamètre conjugué. Soit Οπρ la parallèle à la base du segment : ΒΔ/Βπ = ΑΔ²/Οπ² = ΔΓ²/ΞΔ² ; en remplaçant ΒΔ/Βπ par ΒΓ/Βρ, et ΔΓ/ΞΔ par ΒΓ/ΒΝ, il vient : ΒΓ/Βρ = ΒΓ²/ΒΝ², ou ΒΓ/ΒΝ = ΒΝ/Βρ = ΒΓ + ΒΝ/ΒΝ + Βρ = ΓΝ/Νρ.

    Remplaçons de nouveau ΒΓ/ΒΝ par ΔΓ/ΔΞ et ΓΝ/Νρ par ΝΞ/ΝΟ ; il vient : ΔΓ/ΞΔ = ΝΞ/ΝΟ ou : 2 ΔΓ/ΔΓ − ΞΔ = 2 ΝΞ/ΝΞ − ΝΟ, c’est-à-dire ΑΓ/ΑΞ = ΜΞ/ΟΞ.

  8. Jusqu’ici la marche de la démonstration concorde à peu près avec celle de la première démonstration (mécanique) donnée dans le Traité de la Quadrature de la parabole. À partir de ce point, elles divergent. Dans ce dernier Traité (§ 6-17), Archimède décompose le segment, par des parallèles équidistantes et un faisceau de droites tirées de Γ, en deux séries de trapèzes, l’une enveloppée, l’autre enveloppante, et il montre (en s’appuyant sur des lemmes mécaniques) : 1o  que le triangle ΖΑΓ est plus grand que trois fois une de ces séries et plus petit que trois fois l’autre ; 2o  que la différence entre ces deux séries peut être plus petite que toute valeur donnée.
  9. Centres de gravité, I, 14 et 15 (p. 186, 3) ; supra lemme IV.
  10. Suivent les mots incompréhensibles : « Ceci sera clair… »
  11. Ce qui chiffonne le rigorisme d’Archimède, à mon avis, c’est : 1o  l’intrusion de la Mécanique dans une question purement géométrique ; 2o  le procédé abréviatif qui consiste à considérer une aire curviligne comme une somme de droites « pesantes » et à conclure de l’équilibre, deux à deux, des portions de parallèles interceptées dans le segment et le triangle ΖΑΓ, à l’équilibre des aires du triangle et du segment. On voit que, sur ce point, je ne suis pas entièrement d’accord avec M. Painlevé.
  12. Archimède paraît n’avoir en vue ici (et ceci confirme l’opinion exprimée dans la note précédente) que la démonstration purement géométrique qui forme la deuxième partie de la Quadrature (§ 18-24). Elle repose sur le théorème que le diamètre mené du milieu de la base au sommet du segment vaut les 4/3 de la parallèle au diamètre menée du quart de la base à l’arc. On démontre alors facilement que le segment peut se décomposer en une série de triangles de plus en plus petits, ayant tous leurs sommets sur l’arc, et dont la somme a pour expression (1 étant le triangle initial, qui a même base et même sommet que le segment) :
    1 + 1/4 + 1/ + 1/, série dont la somme est 4/3.
  13. Τάξομεν, leçon douteuse de Heiberg. Rien ne prouve que la démonstration en question figurât réellement à la queue de notre traité.