Des hommes sauvages nus féroces et anthropophages/Relation/40

Traduction par Henri Ternaux.
Arthus Bertrand (p. 175-177).


CHAPITRE XL.


De l’arrivée d’un vaisseau français qui acheta aux sauvages du coton et du bois du Brésil, et à bord duquel je me serais volontiers embarqué si Dieu l’avait voulu permettre.


Huit jours avant l’époque qu’ils avaient fixée pour leur expédition, un vaisseau français entra dans une baie que les Portugais nomment Rio-de-Janeiro, et les Indiens Iterronne. C’est là que les Français ont l’habitude de charger du bois du Brésil. Ils vinrent avec une embarcation au village où j’étais, et achetèrent aux Indiens, du poivre, des singes et des perroquets. L’un d’eux, nommé Jacques, qui parlait leur langue, étant venu à terre, me vit, et demanda la permission de m’emmener. Mon maître le refusa, disant qu’il voulait beaucoup de marchandises pour ma rançon. Je tâchai de leur persuader de me conduire au vaisseau, leur promettant qu’on leur en donnerait ; mais ils me répondirent : Non, ce ne sont pas tes vrais amis, car, sans cela, ceux qui étaient dans le bateau t’auraient donné une chemise pour t’empêcher d’aller tout nu ; et tu vois qu’ils ne se soucient pas de toi (ce qui, du reste, était vrai). Il faut d’abord que nous allions à la guerre ; le vaisseau ne partira pas de sitôt : à notre retour nous te conduirons à bord.

Voyant que la chaloupe se préparait à partir, je me disais : Grand Dieu ! si ce vaisseau part sans m’emmener, ces sauvages finiront par me faire périr, car on ne peut pas se fier à eux. Je sortis du village, et je me dirigeai du côté de la mer ; ils s’en aperçurent bientôt et ne poursuivirent ; mais je renversai le premier qui s’approcha. J’avais tout le village à mes trousses ; je parvins cependant à gagner la mer et à arriver jusqu’au bateau. Quand je voulus y entrer, les matelots me repoussèrent, en disant que, s’ils m’emmenaient malgré les sauvages, ceux-ci se soulèveraient contre eux et deviendraient leurs ennemis. Je fus donc obligé de retourner vers la terre, et je vis que Dieu ne voulait pas encore finir mes misères. Cependant, si je n’avais pas tenté de m’échapper, j’aurais pensé plus tard que je souffrais par ma faute.

Quand les Indiens me virent me diriger de nouveau vers la terre, ils s’écrièrent, d’un air joyeux : « Le voilà qui revient. » Je leur dis alors d’un ton irrité : « Croyez-vous donc que je voulais m’échapper ? Non. J’ai été prévenir mes compatriotes de préparer beaucoup de marchandises, afin que vous me conduisiez vers eux quand la guerre serait finie. » Cela leur fit plaisir et les apaisa.