Des hommes sauvages nus féroces et anthropophages/Mœurs et coutumes/28

Traduction par Henri Ternaux.
Arthus Bertrand (p. 299-305).


CHAPITRE XXVIII.


Des cérémonies avec lesquelles les sauvages tuent et mangent leurs prisonniers.


Quand les prisonniers arrivent au village, les femmes et les enfants les accablent de coups : on les couvre ensuite de plumes grises, on leur rase les sourcils, et l’on danse autour d’eux. Ensuite les sauvages les attachent fortement afin qu’ils ne puissent pas s’échapper ; puis ils les mettent sous la garde d’une femme, qui vit avec eux. Si cette femme devient grosse, ils élèvent l’enfant ; et quand l’envie leur en prend, ils le tuent et le mangent. Ils nourrissent bien leurs prisonniers. Au bout d’un certain temps, ils font leurs préparatifs, fabriquent de la boisson et une espèce de vase destiné spécialement à mettre la couleur avec laquelle ils les peignent. Ils font des touffes de plumes qu’ils fixent au manche de la massue qui sert à tuer les captifs, et une longue corde, nommée massarana, avec laquelle ils les attachent quand ils doivent être assommés. Lorsque tout est préparé, ils arrêtent le jour du massacre, ils invitent les habitants des autres villages à assister à la fête, et remplissent tous les vases destinés à contenir la boisson. Un ou deux jours avant, ils conduisent les prisonniers sur la place du village, et dansent autour d’eux.

Quand les hôtes qu’ils ont invités sont arrivés des autres villages, le chef les salue, en leur disant : « Venez nous aider à dévorer notre ennemi. » La veille du jour où ils commencent à boire, ils attachent autour du cou du prisonnier la corde qu’ils nomment massarana, et peignent la massue, nommée iwera pemme, avec laquelle il doit être assommé. Ils frottent cette massue avec une matière gluante ; prennent ensuite les coquilles des œufs d’un oiseau, nommé mackukawa, qui sont d’un gris très-foncé, les réduisent en poussière, et en saupoudrent la massue. Une femme vient ensuite gratter cette poussière ; et, pendant qu’elle se livre à cette occupation, les autres chantent autour d’elle. Quand l’iwera pemme est préparée et ornée de touffes de plumes, ils la suspendent dans une cabane inhabitée, et chantent à l’entour pendant toute la nuit.

Ensuite ils peignent la figure du prisonnier ; et, pendant qu’une femme est occupée à cette opération, toutes les autres chantent autour de lui. Aussitôt qu’ils commencent à boire, on amène le prisonniers, qui boit aussi et cause avec eux.

Après avoir bu pendant un jour, ils construisent au milieu de la place, une petite cabane où le prisonnier doit coucher. Le matin, longtemps avant l’aurore, ils se mettent à danser autour de la massue qui doit servir au suplice. Dès que le soleil est levé, ils vont chercher le prisonnier, démolissent la cabane et déblaient la place. Ils ôtent la massarana de son cou, la lui serrent autour du corps, et la tiennent par les deux bouts pendant un certain temps, après avoir eu soin de placer près de lui un tas de pierres, pour qu’il puisse en jeter aux femmes qui courent autour de lui et menacent de le dévorer. Celles-ci sont peintes, et attendent le moment où il sera coupé en morceaux pour les saisir et courir en les emportant autour des cabanes, ce qui divertit les autres.

Quand tout cela est terminé, ils allument un grand feu à deux pas de l’esclave, et ils ont soin de le lui montrer. Une femme arrive alors avec la massue (iwera pemme), garnie de touffes de plumes tournées par en haut : elle se dirige vers le prisonnier, et la lui fait voir.

Ensuite un homme prend cette massue, s’avance devant le prisonnier et la lui montre aussi. Pendant ce temps, quatorze ou quinze Indiens entourent celui qui doit faire l’exécution, et lui peignent le corps en gris avec de la cendre. Celui-ci se rend avec ses compagnons sur la place où est le prisonnier ; l’Indien qui tient la massue la lui remet. Le principal chef s’avance alors, la prend et la passe une fois entre les jambes de l’exécuteur, ce qu’ils regardent comme un honneur. Celui-ci la reprend, s’approche du prisonnier, et lui dit : « Me voici ! je viens pour te tuer ; car les tiens ont tué et dévoré un grand nombre des miens. » Le prisonnier lui répond : « Quand je serai mort, mes amis me vengeront. » Au même instant l’exécuteur lui assène sur la tête un coup qui fait jaillir la cervelle. Les femmes s’emparent alors du corps, le traînent auprès du feu, lui grattent la peau pour la blanchir, et lui mettent un bâton dans le derrière pour que rien ne s’en échappe.

Lorsque la peau est bien grattée » un homme coupe les bras, et les jambes au dessus du genou. Quatre femmes s’emparent de ses membres, et se mettent à courir autour des cabanes, en poussant de grands cris de joie. On l’ouvre ensuite par le dos, et on se partage les morceaux. Les femmes prennent les entrailles, les font cuire, et en préparent une espèce de bouillon, nommé mingau, qu’elles partagent avec les enfants : elles dévorent aussi les entrailles, la chair de la tête, la cervelle, et la langue : les enfants mangent le reste. Aussitôt que tout est terminé, chacun prend son morceau pour retourner chez lui ; l’exécuteur ajoute un nom au sien, et le chef lui trace une ligne sur le bras avec la dent d’un animal sauvage. Quand la plaie est refermée, la marque se voit toujours, et ils regardent cette cicatrice comme un signe d’honneur. Il reste jusqu’à la fin du jour dans un hamac, et on lui donne un petit arc avec des flèches pour passer le temps. Ils font cela afin que la force du coup qu’il a donné ne lui rende pas la main incertaine. J’ai vu toutes ces cérémonies, et j’y ai assisté.

Ces sauvages ne savent compter que jusqu’à cinq. Quand ils veulent exprimer un nombre plus élevé, ils montrent les doigts des pieds et des mains ; et si le nombre est très-grand, ils montrent quatre ou cinq personnes, voulant dire qu’il faudrait compter leurs doigts.