Des hommes sauvages nus féroces et anthropophages/Mœurs et coutumes/22

Traduction par Henri Ternaux.
Arthus Bertrand (p. 283-286).


CHAPITRE XXII.


De leur religion.


Leur idole est une espèce de calebasse, environ de la grandeur d’une pinte ; elle est creusée en dedans ; ils y adaptent un bâton, y font une fente qui ressemble à une bouche, et y mettent ensuite des petites pierres, ce qui produit un certain bruit quand ils chantent ou qu’ils dansent. Ils la nomment tammaraka, et chaque homme a la sienne.

Il y a parmi eux des espèces de prophètes, qu’ils nomment paygi. Ceux-ci parcourent le pays une fois par an, entrent dans les cabanes, et prétendent qu’un esprit, venant d’une contrée éloignée, les a doués de la faculté de parler avec toutes les tammarakas. Il leur a permis, disent-ils, de donner à ces idoles le pouvoir d’accorder tout ce qu’on leur demanderait. Chacun, désirant procurer cet avantage à sa tammaraka, leur fait fête : alors ils se mettent à boire, à chanter, et à faire toutes sortes de simagrées.

Ces prophètes font évacuer entièrement une cabane ; et toutes les femmes et les enfants sont obligés d’en sortir. Ils ordonnent alors à chacun de leur apporter sa tammaraka, après l’avoir peinte en rouge et ornée de plumes, afin de leur donner le pouvoir de parler. Ils se réunissent ensuite dans cette cabane. Les paygi se placent à l’extrémité supérieure, et plantent leur tammaraka dans la terre devant eux. Chacun en fait autant de la sienne, et offre un présent aux prophètes, en flèches, plumes, pierres à mettre dans les oreilles, etc., afin que son idole ne soit pas oubliée. Quand ils sont réunis, ils prennent leur tammaraka à la main, et la parfument avec une herbe qu’ils nomment bittin. Le paygi la place ensuite devant sa bouche, la remue, et lui dit dans sa langue : Nee rora. Parle et fais-toi entendre, si tu es dedans. Il lui parla ensuite si bas, que je n’ai pu entendre si c’est la tammaraka ou l’Indien qui parle ; mais les Indiens croient que c’est l’idole. Le paygi les prend toutes les unes après les autres, et fait la même chose. Ensuite tous les prophètes les excitent à aller à la guerre et à faire des prisonniers, les assurant que l’esprit qui habite la tammaraka a envie de manger de la chair humaine. Alors ils se mettent en campagne.

Quand le paygi a fait des dieux de tous ces grelots, chacun emporte le sien, lui fait une petite cabane, l’appelle mon cher fils ; lui offre à manger, et l’invoque toutes les fois qu’il veut en obtenir quelque chose, comme nous invoquons le Seigneur. Voilà toute leur religion. Ils ne connaissent pas le vrai Dieu, et croient que le ciel et la terre ont toujours existé. Ils ne savent rien de la création du monde.

Ils disent qu’autrefois il y eut une grande inondation ; que tous leurs ancêtres furent noyés, excepté quelques-uns qui réussirent à s’échapper dans leurs canots, ou en montant sur de grands arbres. Je pense qu’ils veulent parler du déluge.

Lorsque j’arrivai parmi eux et qu’ils me parlèrent de tout cela, je crus d’abord que cet esprit devait être le démon ; mais quand j’entrai dans la cabane, et que je les vis tous assis autour du prophète qui devait faire parler les tammarakas, je m’aperçus bientôt de la fourberie, et je sortis de la cabane en pensant combien il est facile de tromper le peuple.