Des délits et des peines (trad. Collin de Plancy)/Des délits et des peines/Chapitre XXXIII

Traduction par Jacques Collin de Plancy.
Brière (p. 220-222).

CHAPITRE XXXIII.

DES DÉLITS QUI TROUBLENT LA TRANQUILLITÉ PUBLIQUE.


La troisième espèce de délits que nous avons distinguée, comprend ceux qui troublent particulièrement le repos et la tranquillité publique ; comme les querelles et le tumulte de gens qui se battent dans la voie publique, destinée au commerce et au passage des citoyens. Tels sont encore les discours fanatiques, qui excitent aisément les passions d’une populace curieuse, et qui empruntent une grande force de la multitude des auditeurs, et sur-tout d’un certain enthousiasme obscur et mystérieux, bien plus puissant sur l’esprit du peuple que la tranquille raison, dont la multitude n’entend pas le langage.

Que l’on éclaire les villes pendant la nuit aux dépens du public ; que l’on place des gardes de sûreté dans les divers quartiers des villes ; que l’on réserve au silence et à la tranquillité sacrée des temples, protégés par le gouvernement, les discours de morale religieuse ; que les harangues destinées à soutenir les intérêts particuliers et publics, ne soient prononcées que dans les assemblées de la nation, dans les parlemens, dans les lieux enfin ou réside la majesté souveraine : toutes ces mesures préviendront assurément la dangereuse fermentation des passions populaires ; et ce sont là les principaux objets qui doivent occuper la vigilance du magistrat de police.

Mais si ce magistrat n’agit pas d’après des lois connues et familières à tous les citoyens ; s’il peut au contraire faire à son gré les lois dont il croit avoir besoin, c’est ouvrir la porte à la tyrannie, qui rôde sans cesse à l’entour des barrières que la liberté publique lui a fixées, et qui ne cherche qu’à les franchir.

Je crois qu’il n’y a point d’exception à cette règle générale, que les citoyens doivent savoir ce qu’il faut faire pour être coupable, et ce qu’il faut éviter pour être innocent.

Un gouvernement qui a besoin de censeurs ou de toute autre espèce de magistrats arbitraires, prouve qu’il est mal organisé, et que sa constitution est sans force. Dans un pays où la destinée des citoyens est livrée à l’incertitude, la tyrannie cachée immole plus de victimes que le tyran le plus cruel qui agit ouvertement. Ce dernier révolte, mais il n’avilit pas.

Le vrai tyran commence toujours par régner sur l’opinion ; lorsqu’il en est maître, il se hâte de comprimer les âmes courageuses dont il a tout à craindre, parce qu’elles ne se montrent qu’avec le flambeau de la vérité, ou dans le feu des passions, ou dans l’ignorance des dangers.