Des délits et des peines (trad. Collin de Plancy)/Des délits et des peines/Chapitre XXXII

Traduction par Jacques Collin de Plancy.
Brière (p. 214-217).

CHAPITRE XXXII.

DES BANQUEROUTES.


Le législateur qui sent le prix de la bonne foi dans les contrats, et qui veut protéger la sûreté du commerce, doit donner recours aux créanciers sur la personne même de leurs débiteurs, lorsque ceux-ci font banqueroute. Mais il est important de ne pas confondre le banqueroutier frauduleux avec celui qui est de bonne foi. Le premier devrait être puni comme les faux-monnoyeurs, parce que le crime n’est pas plus grand de falsifier le métal monnoyé, qui est le gage des obligations des citoyens entre eux, que de falsifier ces obligations mêmes.

Mais le banqueroutier de bonne foi, le malheureux qui peut prouver évidemment à ses juges, que l’infidélité d’autrui, les pertes de ses correspondans, ou enfin des malheurs que la prudence humaine ne saurait éviter, ont dépouillé de ses biens, doit être traité avec moins de rigueur. Sur quels motifs barbares osera-t-on le plonger dans les cachots ; le priver du seul bien qui lui reste dans sa misère, la liberté ; le confondre avec les criminels, et le forcer à se repentir d’avoir été honnête homme ? Il vivait tranquille, à l’abri de sa probité, et comptait sur la protection des lois. S’il les a violées, c’est qu’il n’était pas en son pouvoir de se conformer exactement à ces lois sévères, que la puissance et l’avidité insensible ont imposées, et que le pauvre a reçues, séduit par cette espérance qui subsiste toujours dans le cœur de l’homme, et qui lui fait croire que tous les événemens heureux seront pour lui, et tous les malheurs pour les autres.

La crainte d’être offensé l’emporte généralement dans l’âme sur la volonté de nuire ; et les hommes, en se livrant à leurs premières impressions, aiment les lois cruelles, quoiqu’il soit de leur intérêt de vivre sous des lois douces, puisqu’ils y sont eux-mêmes soumis.

Mais revenons au banqueroutier de bonne foi : qu’on ne le décharge de sa dette qu’après qu’il l’aura entièrement acquittée ; qu’on lui refuse le droit de se soustraire à ses créanciers sans leur consentement, et la liberté de porter ailleurs son industrie ; qu’on le force d’employer son travail et ses talens à payer ce qu’il doit, proportionnellement à ses gains. Mais sous aucun prétexte légitime on ne pourra lui faire subir un emprisonnement injuste et inutile à ses créanciers.

On dira peut-être que les horreurs des cachots obligeront le banqueroutier à révéler les friponneries qui ont amené une faillite soupçonnée frauduleuse. Mais il est bien rare que cette sorte de torture soit nécessaire, si l’on a fait un examen rigoureux de la conduite et des affaires de l’accusé.

Si la fraude du banqueroutier est très-douteuse, il vaut mieux croire à son innocence. C’est une maxime généralement sûre en législation, que l’impunité d’un coupable a de graves inconvéniens, si ce coupable a causé des dommages réels ; mais l’impunité est peu dangereuse lorsque le délit est difficile à constater.

On alléguera aussi la nécessité de protéger les intérêts du commerce, et le droit de propriété qui doit être sacré. Mais le commerce et le droit de propriété ne sont pas le but du pacte social, ils sont seulement des moyens qui peuvent conduire à ce but.

Si l’on soumet tous les membres de la société à des lois cruelles, pour les préserver des inconvéniens qui sont les suites naturelles de l’état social, ce sera manquer le but en cherchant à l’atteindre ; et c’est là l’erreur funeste qui égare l’esprit humain dans toutes les sciences, mais sur-tout dans la politique[1].

On pourrait distinguer la fourberie du délit grave, mais moins odieux, et faire une différence entre le délit grave et la faute légère, qu’il faudrait séparer aussi de la parfaite innocence.

Dans le premier cas, on décernerait contre le coupable les peines applicables au crime de faux. Le second délit serait puni de peines moindres, avec la perte de la liberté. On

  1. Dans les premières éditions de cet ouvrage, j’ai fait moi-même cette faute. J’ai osé dire que le banqueroutier de bonne foi devait être gardé comme un gage de sa dette, réduit à l’état d’esclavage, et obligé à travailler pour le compte de ses créanciers. Je rougis d’avoir pu écrire ces choses cruelles. On m’a accusé d’impiété et de sédition, sans que je fusse séditieux ni impie. J’ai attaqué les droits de l’humanité, et personne ne s’est élevé contre moi… (Note de l’auteur.)