Des délits et des peines (trad. Collin de Plancy)/Des délits et des peines/Chapitre XI

Traduction par Jacques Collin de Plancy.
Brière (p. 62-64).

CHAPITRE XI.

DES SERMENS.


C’est encore une contradiction entre les lois et les sentimens naturels, que d’exiger d’un accusé le serment de dire la vérité, lorsqu’il a le plus grand intérêt à la taire ; comme si l’homme pouvait jurer de bonne foi qu’il va contribuer à sa propre destruction ! comme si, le plus souvent, la voix de l’intérêt n’étouffait pas dans le cœur humain celle de la religion !

L’histoire de tous les siècles prouve que ce don sacré du ciel est la chose dont on abuse le plus. Et comment les scélérats la respecteront-ils, si elle est tous les jours outragée par les hommes que l’on regarde comme les plus sages et les plus vertueux !

Les motifs que la religion oppose à la crainte des tourmens et à l’amour de la vie sont presque toujours trop faibles, parce qu’ils ne frappent pas les sens. Les choses du ciel sont soumises à des lois toutes différentes de celles de la terre. Pourquoi compromettre ces lois les unes avec les autres ? Pourquoi placer l’homme dans l’affreuse alternative d’offenser Dieu, ou de se perdre lui-même ? C’est ne laisser à l’accusé que le choix d’être mauvais chrétien, ou martyr du serment. On détruit ainsi toute la force des sentimens religieux, unique soutien de l’honnêteté dans le cœur de la plupart des hommes[1] ; et peu à peu les sermens ne sont plus qu’une simple formalité sans conséquence.

Que l’on consulte l’expérience, on reconnaîtra que les sermens sont inutiles, puisqu’il n’y a point de juge qui ne convienne que jamais le serment n’a fait dire la vérité à un coupable.

La raison fait voir que cela doit être ainsi, parce que toutes les lois opposées aux sentimens naturels de l’homme sont vaines, et conséquemment funestes.

De telles lois peuvent être comparées à une digue que l’on élèverait directement au milieu des eaux d’un fleuve, pour en arrêter le cours ; ou la digue est renversée sur-le-champ par le torrent qui l’emporte ; ou bien il se forme au-dessous d’elle un gouffre qui la mine, et la détruit insensiblement.


  1. Cette proposition n’est ni vraie ni philosophique. L’auteur, en l’adoptant, met dans les mains des dévôts fanatiques une arme dangereuse dont ils se serviront contre lui-même. C’est cette maxime qui est le prétexte dont on colore les persécutions qu’on fait éprouver aux lettres et à la philosophie. D’ailleurs, cette opinion ne cadre pas avec toutes les autres idées répandues dans cet excellent ouvrage. (Note inédite de l’abbé Morellet.)