DES AGENS
DE
LA PRODUCTION AGRICOLE

LES ENGRAIS MIXTES.



On a montré dans de précédentes études la nécessité des engrais minéraux pour la nourriture des plantes, et parmi ces élémens de la fertilité du sol on a surtout signalé ceux que les récoltes et les produits animaux exportés des fermes enlèvent chaque année en plus fortes proportions, notamment les phosphates, qui entrent aussi bien dans la composition des céréales que dans la charpente osseuse des mammifères. On a ensuite examiné les procédés modernes qui fournissent économiquement la nourriture aqueuse aux plantes, éliminent les eaux souterraines des lieux humides, que cet assainissement rend propres à développer une végétation utile. Aujourd’hui nous voudrions indiquer la composition générale des engrais mixtes, en étudier les nombreuses variétés et montrer dans quelles conditions diverses, selon la nature du sol et des cultures spéciales, on peut en obtenir économiquement le meilleur effet. Tout d’abord nous distinguerons, parmi les engrais mixtes, d’une part ceux qui résultent de l’exploitation rurale elle-même, et de l’autre les engrais achetés hors de la ferme. C’est ici que se placeront naturellement les données positives de la science moderne qui permettent aux agriculteurs d’apprécier la valeur réelle de ces derniers engrais, de découvrir les fraudes et de se garantir contre les falsifications.

Considérée d’une manière philosophique, la question des engrais mixtes nous conduit à reconnaître d’une part l’unité de composition élémentaire dans les corps vivans des deux règnes de la nature, et d’un autre côté le rôle exact dévolu aux plantes. Ce rôle consiste à reprendre aux émanations gazéiformes ou liquides les élémens dissipés par la décomposition de tous les débris organiques, à réunir ces élémens en composés de nouveau assimilables, à replacer ainsi dans le courant de la vie toutes les exhalations que la fermentation spontanée avait momentanément fait disparaître, à trouver enfin dans les êtres morts et dans toutes les destructions apparentes les élémens d’une vie nouvelle.

À ce point de vue, les distinctions admises jusqu’aux premières années de notre siècle entre la composition générale des plantes et celle des animaux, entre les matériaux élémentaires de leur nutrition, ces distinctions étaient purement artificielles ; elles ne pouvaient satisfaire aux conditions du balancement des forces alternativement destructives et reproductives qui maintiennent à la surface du globe la vie fondée sur une mutuelle dépendance entre les êtres des deux règnes. Cuvier écrivait en 1812 : « La composition chimique des végétaux est plus simple que celle des animaux ; leurs élémens ne se réduisent guère qu’en oxygène et deux substances combustibles, hydrogène et carbone ; l’azote y est rare, et le phosphore encore plus… C’est l’azote qui fait que les animaux fournissent tous de l’ammoniaque à feu nu, tandis qu’il n’y a qu’un petit nombre de végétaux qui en donnent. » Cette citation permet de montrer clairement les progrès scientifiques réalisés depuis l’époque où Cuvier s’exprimait ainsi : c’est aujourd’hui, de tous points, le contraire qu’il faut dire. Non-seulement en effet l’azote, le phosphore et le soufre ne forment pas une exception dans les plantes, mais encore ces substances s’y rencontrent précisément en plus fortes proportions dans les organismes doués des plus énergiques propriétés vitales. D’ailleurs le nombre de principes immédiats déjà découverts dans les végétaux est incomparablement plus considérable que celui des substances distinctes extraites jusqu’ici des tissus animaux. Enfin toutes les parties de toutes les plantes fournissent de l’ammoniaque à la distillation. Nous trouverons plus d’une fois l’occasion d’appliquer ces données de la science moderne dans l’étude théorique et pratique des engrais mixtes.


I. — Composition des engrais mixtes, influence des matières azotées. — Les herbivores et les engrais verts modifier

Les engrais mixtes sont formés de substances minérales assimilables par les plantes et de matières organiques. Ces matières se subdivisent elles-mêmes en deux classes bien distinctes : les unes, par leur composition, se rapprochent beaucoup des substances animales ; les autres proviennent des tissus ligneux, des débris végétaux et des sécrétions diverses des plantes. Ce sont les premières, c’est-à-dire celles qui sont le plus spécialement animales, le plus richement azotées, qui offrent dans les engrais mixtes le plus de valeur réelle ; aussi l’analyse s’applique-t-elle à en reconnaître la présence et les proportions, afin d’assigner aux divers engrais mixtes leur puissance nutritive et leur utilité dans la grande culture. Cette recherche est d’autant plus importante que naguère encore on ne faisait pas cette distinction entre les deux classes de matières organiques, et que, même après avoir admis la présence des matières azotes dans toutes les parties de l’organisme végétal, on faisait remarquer que dans l’ensemble d’une plante tout entière la quantité d’azote est bien faible, si on la compare avec l’énorme proportion des matières organiques dépourvues d’azote qui forment le tissu résistant de l’édifice végétal.

Jusque-là sans doute on avait bien établi que les débris et les déjections des animaux offrent les plus puissans engrais, que tout organisme jeune et vigoureux, dans les plantes de toute espèce, est toujours plus abondamment pourvu de substances azotées que les tissus ligneux formés depuis un temps plus long, que la jeunesse et l’énergie vitale des tissus végétaux se montrent en toute occasion proportionnées aux doses de substances azotées que ces tissus recèlent ou que l’analyse chimique y découvre. On avait bien encore déduit de tous ces faits que la substance organique azotée ou quaternaire (composée des quatre élémens : carbone, hydrogène, oxygène, azote) est douée des attributs de la matière vivante chez les végétaux comme chez les animaux, qu’ainsi l’on doit reconnaître une immense unité de composition élémentaire dans les êtres des deux règnes de la nature vivante. Le problème cependant n’était qu’à moitié résolu. Il fallait encore montrer les sources où les végétaux peuvent puiser les élémens de la composition ternaire (carbone, hydrogène, oxygène) qui constituent plus des neuf dixièmes de la masse solide totale de leurs tissus. Il fallait enfin prouver qu’indépendamment des engrais répandus sur le sol par les soins du cultivateur, les agens atmosphériques, avec le concours des débris ou résidus (chaumes, racines, feuilles et tiges brisées) provenant des récoltes précédentes, peuvent fournir en abondance ces élémens de la composition ternaire des matières organiques.

Rien n’est plus facile qu’une telle démonstration : l’acide carbonique et l’eau, composés l’un de carbone et d’oxygène, l’autre d’hydrogène et d’oxygène, subviennent évidemment à l’assimilation qui doit développer la portion des membranes, cellules ou tissus, formée de carbone, hydrogène et oxygène, la cellulose notamment. Toute la question se réduit donc à savoir si les plantes peuvent trouver à leur portée ces trois élémens en quantité suffisante dans les gaz et les liquides qui les environnent. Cela ne peut faire l’objet d’un doute : le gaz acide carbonique, sans cesse absorbé par les feuilles des végétaux, mais toujours reproduit par les combustions, les fermentations spontanées, la calcination des carbonates calcaires et magnésiens, la respiration des animaux, les émanations des volcans, les exhalations des fleurs, des champignons, etc., demeure en proportions constantes de 4 dix millièmes dans l’air atmosphérique. Celui-ci, dans ses continuels mouvemens, renouvelle à tout instant ses points de contact avec les organes foliacés ; il pénètre même dans les interstices du sol arable. Enfin tous les résidus des récoltes précédentes, qui subissent des fermentations et combustions lentes, entretiennent à la superficie du terrain autour des plantes le même gaz toujours prêt à céder du carbone sous l’action des organes spéciaux de la végétation. Ce que les engrais peuvent fournir de ce gaz est en général surabondant, si ce n’est dans les combinaisons ammoniacales qu’il forme au moment de la fermentation des matières azotées, de ces matières qui précisément constituent les plus riches engrais organiques.

On vient de voir que le gaz acide carbonique libre ne saurait faire défaut dans aucune terre en culture ; ce ne sont donc pas les substances capables de le fournir telles que les tourbes, les terreaux épuisés, les sciures de bois, etc., qui peuvent être utiles directement aux agriculteurs. L’eau, qui se compose de deux élémens indispensables à la nutrition végétale, est elle-même fournie en quelque sorte gratuitement par les phénomènes météoriques : pluies, neiges, brouillards, etc. Le cultivateur ne doit pas s’en préoccuper non plus, si ce n’est pour les pratiques d’irrigation et de drainage ou de colmatage. En aucun cas, l’eau ne saurait compter pour une valeur quelconque dans les engrais commerciaux ; aussi a-t-on l’habitude de vérifier, par une dessiccation préalable de l’engrais, la quantité d’eau qui s’y trouve, afin de la défalquer du poids total. Si dans les engrais liquides l’eau joue souvent un rôle fort utile, c’est au même titre que les eaux naturelles appliquées en irrigations et servant de véhicule pour répandre sur les terres l’engrais qu’elles ont pu dissoudre ou entraîner en suspension.

Ainsi donc la portion des débris organiques capable de fournir seulement de l’acide carbonique ou de l’eau n’a pour l’agriculture qu’une valeur faible, nulle ou parfois même négative en raison des frais de transport qu’elle augmente. Il serait aussi facile de prouver, soit à l’aide d’une théorie fort simple, soit par des faits nombreux et des exemples remarquables, l’utilité très grande des matières animales ou des substances azotées congénères qui entrent en proportions notables surtout dans les parties vertes des végétaux, feuilles et bourgeons des tiges ou jeunes rameaux. Ces substances, dites congénères des matières animales, ont avec elles en effet une grande analogie de composition. Ainsi l’on y trouve de l’albumine semblable à celle des œufs et du sang, de la fibrine (dans le gluten du blé notamment) ayant beaucoup d’analogie avec la fibrine du sang et de la chair, de la caséine douée des principaux caractères du caséum du lait ou des fromages. Toutes ces substances, qu’elles proviennent des êtres de l’un ou de l’autre règne de la nature vivante, engendrent par leur décomposition spontanée les mêmes produits putrides, parfaitement appropriés à l’alimentation des plantes.

La substance azotée qui se rencontre le plus fréquemment dans les produits de la décomposition des matières animales ou végétales, c’est le carbonate d’ammoniaque. Soluble dans l’eau, volatil, il offre les plus favorables dispositions pour pénétrer facilement dans les délicats organismes, dans les spongioles radicellaires des végétaux. Contenant d’ailleurs les quatre élémens (carbone, hydrogène, oxygène et azote) de la matière organique quaternaire, réduit et assimilé de nouveau dans les actes de la vie végétative, de nouveau il acquiert les propriétés de la fibrine, de l’albumine, de la caséine, etc., lesquelles se reproduisent alors dans l’état qui convient à la nourriture des animaux. C’est ainsi que se complète une de ces admirables et perpétuelles rotations que ramènent sans cesse les conditions normales de la vie des êtres, dépendans tous les uns des autres.

Ce n’est pas seulement en raison de la grande influence des matières azotées dans les actes de la vie des plantes que ces substances ont dans les engrais une utilité prépondérante ; c’est encore et surtout parce que, dans l’état qui serait le plus favorable à leur rapide décomposition spontanée, ces agens énergiques du développement des végétaux ne se rencontrent jamais en quantités suffisantes sur les terres mêmes qui portent les plus riches cultures. Au contraire les autres parties, organiques ou minérales, des engrais peuvent, dans les sols qui reçoivent depuis longues années d’abondantes fumures, se rencontrer en excès notable et tel que ces terres ne sauraient profiter en rien d’une addition nouvelle de semblables engrais. Quelques exemples pris dans la grande ou la petite culture, dont l’un est très récemment acquis à la science comme à la pratique agricole, rendront cette différence évidente à tous les yeux.

Depuis l’époque où nous avons commencé dans la Revue l’étude des agens de la production agricole, un fait inattendu a été observé, au milieu de recherches soigneusement comparées, par un habile agriculteur manufacturier. En différentes localités, de nombreuses expériences avaient clairement démontré les avantages du phosphate de chaux employé à l’état pulvérulent, lorsque M. Corenwinder, entreprit, aux environs de Lille, d’en vérifier les effets sur les terres, si fertiles du département du Nord. Ces terres sont très bien entretenues par l’alternance des cultures comme par l’emploi à profusion de l’engrais liquide flamand, riche à la fois en substances salines et organiques azotées, très divisées ou dissoutes et facilement assimilables : or il arriva que l’engrais minéral, partout ailleurs si utile, n’ajouta rien dans ces conditions à la production habituelle. Cette anomalie singulière, qui se présentait pour la première fois, était à la vérité plus apparente que réelle, et M. Corenvvinder s’en aperçut bientôt lui-même en constatant que les doses des substances salines, notamment des phosphates, depuis longtemps accumulées dans le sol, s’y trouvaient surabondantes. Dès lors on conçoit qu’un plus grand excès n’y pouvait rien ajouter d’utile, et l’explication de l’inertie du nouvel engrais était toute simple.

Un fait non moins curieux, non moins scientifiquement établi, s’était déjà révélé dans un autre canton du même département, aux environs de Valenciennes, de Denain et de Condé. Aux approches de la récolte, on s’aperçut que les betteraves, sur la plus grande partie des terres, offraient une chétive apparence et annonçaient une maigre production. Les prévisions ne furent que trop justifiées, car cette année-là, pour une même quantité de surfaces emblavées, la production du sucre se trouva diminuée de 20 millions de kilogrammes. La cause directe de cette déperdition énorme résidait dans une altération spéciale des racines saccharifères. Nous avons ultérieurement reconnu l’origine de cette altération dans la présence des eaux stagnantes à une faible profondeur sous le sol ; mais, avant que cette explication fût admise, une autre hypothèse, plus spécieuse, plus séduisante peut-être, avait prévalu. Elle mérite d’être exposée, car elle se rapporte à un fait de même ordre que l’expérience tentée par M. Corenwinder.

Ici cependant la situation semblait toute contraire, et l’on pouvait ne pas croire à la surabondance de l’engrais minéral, car, on le faisait remarquer avec raison, depuis plus de vingt ans que l’extraction des salins de potasse s’effectuait sur les résidus liquides (mélasses) des sucreries indigènes, cette industrie avait enlevé au sol, pour les livrer aux industries chimiques (fabriques d’alun, salpêtreries, cristalleries, etc.), d’énormes quantités de ces composés alcalins, s’élevant après de 100 millions de kilogrammes. Or ces matières salines comptent toutes au nombre des alimens de la végétation ; elles sont particulièrement favorables au développement des végétaux de la famille des chénopodées, et les radicelles de la plante saccharifère vont avec une énergie spéciale les puiser dans le sol. Donc, si l’industrie s’en empare, la végétation ne peut plus s’accomplir dans des conditions aussi favorables qu’avant la fondation des usines qui chaque année enlèvent aux mêmes champs d’aussi grandes quantités de potasse.

Ce raisonnement semblait inattaquable ; il n’y manquait qu’une chose, c’était de savoir combien il reste de sels alcalins après l’énorme extraction qu’en a faite l’industrie. Cette donnée importante, un chimiste habile, M. Leblanc, l’a scrupuleusement cherchée à l’aide de l’analyse chimique du sol jusqu’à la profondeur moyenne où pénètrent les radicelles, et il a trouvé qu’il restait dans la terre végétale une quantité de substance alcaline suffisante pour alimenter la culture pendant plusieurs siècles, lors même que les fumures annuelles n’y ajouteraient rien. D’ailleurs l’analyse a également démontré que ces fumures réparent tous les ans les déperditions de substance alcaline, c’est-à-dire rendent au sol ce que les récoltes lui enlèvent. Il en résulte que les engrais minéraux pris isolément, notamment les phosphates et les sels alcalins, ne sauraient avoir ici une grande valeur, car ils existent en quantités suffisantes dans le sol, et cet approvisionnement se renouvelle à l’aide des riches fumures en usage dans ces régions agricoles. L’engrais évidemment utile ou le plus favorable est donc celui qui, dans chaque localité, fournit à la terre ce qui lui manque pour subvenir largement à la nutrition des plantes et réparer les pertes que les récoltes de chaque année lui font subir.

Parmi les engrais minéraux qui, dans le nord même de la France, ne sont pas surabondans, il faut compter la chaux, dont nous avons précédemment exposé le rôle multiple, et c’est encore un des services rendus par l’industrie à l’agriculture de cette région sucrière que de répandre tous les ans parmi les résidus de la fabrication du sucre d’énormes quantités de chaux sous la forme d’écume des défécations, véritable engrais mixte formé dans la chaudière par une combinaison énergique entre plusieurs substances albuminoïdes ou azotées du jus des betteraves et l’hydrate de chaux qu’on emploie pour le clarifier. Une seule des grandes sucreries indigènes, soumettant au râpage 1,000 quintaux de racines, livre chaque jour de 2,000 à 2,400 kilos de chaux qui, sous la forme d’albuminate de chaux, riche en matière azotée, s’ajoutent à la masse des engrais de diverse nature. Quels sont donc, dans cette productive région agricole, les engrais le plus directement utiles, puisque les substances organiques pauvres en azote, ainsi que les matières minérales dépourvues de chaux et de magnésie, y sont impuissantes à développer la fertilité du sol ? Ce sont principalement les engrais riches en matières organiques azotées, ou congénères des substances facilement putrescibles de l’organisme animal, et qui, dans cet état éminemment favorable à une assimilation rapide par les plantes, ne se rencontrent là en excès, ni même en quantité suffisante.

Par exemple, dans le département du Nord, où les phosphates minéraux ont paru inertes, toutes les déjections animales, si facilement décomposables en carbonate d’ammoniaque, se sont toujours montrées d’une efficacité remarquable. Ainsi les déjections des oiseaux réunis dans les colombiers, l’engrais flamand, mélange fluide extrait des fosses et conservé dans de vastes citernes à portée des routes et des champs, sont depuis longtemps employés avec un grand succès dans les arrondissemens de Lille et de Valenciennes. Est-ce à dire que les matières azotées accumulées dans le sol s’y trouvent en quantités inférieures à celles qui correspondraient aux principes immédiats sécrétés par la plus riche végétation ? Bien loin de là sans doute, car le terrain en recèle aussi d’énormes quantités dans l’épaisseur de la couche que peuvent atteindre les racines ; mais ces substances, qui déjà ont résisté à l’action des précédentes cultures, se décomposent avec trop de lenteur pour alimenter largement, dans le cours d’une saison, une végétation très active, et fournir les matériaux du maximum de récolte. Ces dernières conditions ne peuvent donc être remplies que par les engrais solubles ou rapidement transformables en produits ammoniacaux.

Les plus anciennes pratiques qu’on doive à la tradition s’accordent sur ce point avec les plus sûres observations contemporaines. Ne voit-on pas, d’une part, dans les cultures intensives sur les terres surchargées de détritus et spontanément ou manuellement arrosées à profusion dans le Céleste-Empire, ne voit-on pas, dis-je, les nombreux petits cultivateurs chinois, depuis leur enfance jusqu’à leur extrême vieillesse, s’occuper à recueillir avec des soins minutieux les engrais mixtes formés de détritus, débris ou déjections des animaux, pour les répandre avec une économie remarquable à la portée des plantes dont ils veulent favoriser la végétation ? Ils savent bien qu’aucune autre classe d’engrais salins ou minéraux, ligneux ou pauvres en substance azotée fermentescible, n’ajouterait d’élémens utiles à la fertilité immémoriale de leurs terres, encombrées de débris organiques des végétations précédentes. — D’un autre côté, ne voyons-nous pas nous-mêmes chaque jour autour des villes populeuses nos laborieux et habiles horticulteurs renouveler leurs terreaux, riches cependant en humus et en débris végétaux, pour les remplacer par des fumiers bien plus actifs en raison des liquides ou des substances solubles et putrescibles dont ils sont imprégnés ?

Tous ces exemples, tous ces faits précis et corrélatifs s’accordent avec les théories généralement admises pour démontrer qu’il ne suffit pas qu’un sol contienne, même en abondance, les élémens minéraux et organiques qui entrent dans la composition des plantes, ni même que les engrais de différentes sortes y soient répandus en quantités plus ou moins grandes. Il faut encore que ces matériaux, soit préexistans dans la terre arable, soit ajoutés à dessein, s’y rencontrent, au moment de la végétation, dans un état tel que les solutions aqueuses ou les émanations gazéiformes qui s’en dégagent puissent s’introduire en quantité suffisante dans les organismes délicats des végétaux qu’elles sont destinées à développer.

Les animaux, dit-on, produisent des engrais de telle sorte que la fertilité du sol qu’ils habitent est en proportion de leur nombre sur une superficie donnée : si l’on entretient par exemple cent têtes de gros bétail (bœufs, vaches, chevaux) ou mille moutons dans une ferme de 100 hectares, on est bien près d’atteindre l’apogée de la culture améliorante. La conséquence est vraie, quoique les prémisses soient fausses. C’est encore là un préjugé au fond duquel une vérité se trouve, pourvu qu’on la dégage des expressions trop absolues qui l’environnent ou l’obscurcissent.

À deux points de vue parfaitement nets, les herbivores sont grands consommateurs de toute substance sécrétée dans les tissus des plantes, et non producteurs d’engrais. Dans les actes de la digestion, les principes immédiats non azotés, — sucres, fécules, matières grasses, etc., — dits alimens combustibles ou respiratoires, constituent la principale source qui entretient la chaleur animale et peut élever la température au-dessus de celle de l’air ambiant ; un certain excès de ces substances alimentaires peut s’accumuler dans les tissus adipeux et procurer l’engraissement, but ordinaire de relève des animaux de boucherie, ou subvenir aux sécrétions butyreuses et sucrées, lorsque la spéculation se dirige vers la production du lait. Quant aux principes immédiats azotés (albumine, fibrine, caséine) contenus dans cette nourriture végétale, les herbivores y trouvent les alimens plastiques qui développent leurs tissus, en même temps que leur squelette osseux s’accroît des phosphates calcaires et magnésiens. Or il est bien évident que toutes les substances organiques azotées, que ces matières minérales fixées dans le corps des animaux ou dans leur sécrétion lactée, même la quantité exhalée dans les actes de sécrétion ou de respiration, auraient pu servir à la nutrition des plantes, et sont perdues pour elles lorsque l’on exporte de la ferme, par les voies commerciales, soit les animaux de boucherie, soit les autres produits sous forme de lait ou de fromage.

Aux yeux de quiconque n’observe que ce seul résultat, les herbivores n’augmentent donc pas la somme des engrais ; ils semblent la diminuer au contraire, et l’expérience est là cependant pour démontrer que les progrès de l’agriculture reposent sur leur concours ; de leur nombre dépend même le maximum de la puissance du sol. Pour peu qu’on veuille bien y réfléchir, leur rôle, réellement utile sous ce rapport, est facile à comprendre : sans aucun doute ; ce qu’ils consomment et emportent de substances azotées et salines puisées dans les fourrages est perdu pour la fumure du terrain ; mais d’un autre côté il faut bien tenir compte des substances inutiles comme engrais qu’ils consomment en plus grande proportion : tels sont les principes immédiats non azotés, cellulose, amidon, inuline, gommes, sucres, etc.. La plus grande partie de ces substances étant ainsi éliminée, ce sont en définitive les matières azotées et salines qui dominent dans les déjections liquides ou solides destinées à servir d’engrais, et ceux-ci se trouvent alors dans un état d’autant plus favorable que les principes azotés ou salins, désagrégés ou dissous, sont éminemment fermentescibles ou solubles. Si donc les herbivores n’augmentent pas bien réellement la masse des engrais, du moins, en détruisant pour ainsi dire en plus grande proportion les principes les moins utiles ou même nuisibles par leur excès, ils font dominer les principes nécessaires à la nourriture des plantes. Les hommes eux-mêmes rempliraient, pour toute la portion de leur alimentation végétale, ce rôle éminemment favorable au développement de la production agricole, si partout, comme dans nos contrées du nord et en Belgique, comme en Chine même, on utilisait complètement les déjections au profit de l’agriculture.

C’est parfois encore une méthode fort utile que d’employer les engrais verts, bien qu’elle soit en opposition jusqu’à un certain point avec celle que nous venons d’exposer. Sous le nom d’engrais verts, on désigne les tiges et les feuilles ou fanes des végétaux herbacés spécialement cultivés pour servir d’engrais, tels que lupin, colza, madia sativa, seigle et diverses autres plantes choisies en raison de leur rapide développement. Ces plantes renferment, à l’époque de leur floraison, le maximum de leurs sécrétions salines et azotées ; c’est donc le moment de les enfouir dans le sol à l’aide d’un labour à la charrue. Théoriquement, rien n’est perdu dans ce cas : les alimens minéraux et organiques que la plante a puisés dans le sol et dans les gaz atmosphériques se retrouvent parmi les produits de la décomposition spontanée du végétal enterré par le labourage. Une pareille fumure convient parfaitement aux sols secs et peu fertiles, dont la superficie se trouve doublement amendée par l’humidité qu’y entretient la plante enfouie, gorgée de sucs aqueux et riches en substances alibiles, que la fermentation spontanée désagrège ou volatilise et met ainsi à portée de la végétation nouvelle que l’on a préparée à l’aide d’un ensemencement spécial.

Ailleurs encore, par exemple dans certaines localités de l’Italie dépourvues de moyens économiques de transports, on cultive le lupin pour en récolter la graine. Cette graine sert elle-même à la nourriture de populations pauvres ; mais la plus grande partie de cette récolte, qui excéderait les besoins de la consommation, est livrée comme engrais aux agriculteurs plus rapprochés des villes ; Toutefois les terrains d’assez peu de valeur qui préparent cette sorte d’engrais ne tarderont pas à changer de destination à mesure que les canaux, les lignes ferrées ou leurs embranchemens seront prolongés dans le voisinage. En tout cas, les cultivateurs italiens, toscans ou lombards, qui ont encore recours à cette fumure, soumettent à une préparation spéciale les graines avant de les répandre comme engrais sur leurs terres. Il faut en effet qu’au lieu de végéter et de puiser leur nourriture d’abord dans leurs propres organes (cotylédons) et ensuite dans le sol, elles le fécondent en subissant elles-mêmes la décomposition, spontanée. On parvient sans peine à leur faire perdre la propriété germinatrice en enlevant à l’embryon sa vitalité par une torréfaction légère dans un four.

Au surplus, la pratique des engrais verts ou des autres engrais obtenus directement de la végétation ne saurait se généraliser, car ils accumuleraient sur le sol des débris trop pauvres en substances azotées, trop abondans en résidus ligneux dont il faudrait se débarrasser ultérieurement à l’aide de l’écobuage ou de l’incinération partielle, qui ménage les substances minérales et une portion des substances azotées. Les engrais végétaux obtenus dans de telles conditions ne sauraient qu’exceptionnellement convenir aux exploitations où l’agriculture est très avancée, car sur un terrain très fertile la production en serait trop dispendieuse et donnerait de médiocres résultats. On voit que, parmi les engrais mixtes, ceux qui contiennent en plus fortes proportions des substances minérales, lorsque celles-ci sont insuffisantes dans le sol, et les matières organiques azotées dans un état de solubilité ou de décomposition facile, conviennent sur toutes les terres arables, et à peu près exclusivement pour les plus progressives et les plus riches cultures. Telles sont aussi les qualités que l’on recherche dans les engrais mixtes livrés au commerce, celles que l’on se propose de déterminer expérimentalement par l’analyse, soit pour en apprécier la valeur, soit pour reconnaître les falsifications parfois très graves qu’on a pu leur faire subir.


II. — COMMERCE DES ENGRAIS.

Ce n’est guère que depuis l’époque où furent mises au jour, vers 1821, les remarquables propriétés fertilisantes du noir animal, résidu charbonneux riche en phosphates et matières animales, que les raffineries d’Allemagne et de Russie expédièrent en France leurs résidus de sang coagulé et de charbon d’os, jusque-là rejetés comme sans valeur. Peu de temps après, le sang des animaux de boucherie, recueilli dans les abattoirs de la métropole, coagulé par la vapeur, desséché, puis réduit en poudre, ainsi que la chair musculaire soumise aux mêmes opérations ; mais provenant des chevaux hors de service abattus à Montfaucon, furent expédiés aux Antilles pour fertiliser les champs de canne. Ce fut alors enfin qu’une série de recherches scientifiques poursuivies en France vint signaler à l’attention publique les bons effets agricoles des matières azotées fermentescibles et des phosphates, et que l’un des plus riches engrais connus, le guano des îles Chincha, faiblement exploité jusque-là pour les cultures restreintes des côtes du Pérou, donna lieu à d’immenses transports entre ces lies et l’Angleterre, la France, l’Espagne, la Hollande et les colonies de ces nations.

Dans ces îles du Pérou, les excrémens solides et liquidés que les oiseaux ont accumulés depuis des siècles, n’étant pas exposés à l’action dissolvante des eaux pluviales, conservent leur richesse en sels ammoniacaux, matières azotées et phosphates, solubles et insolubles. Cet engrais, le plus puissant que l’on connaisse, le plus efficace sur la plupart des terrains, et dont le cours commercial, graduellement plus élevé, se trouve en ce moment proportionné à sa valeur réelle, cet engrais si énergique ne contient aucune trace de débris végétaux. C’est un témoignage de plus en faveur des détritus animaux et contre les détritus pailleux dans la fertilisation de toutes les terres. Aussi reconnait-on maintenant les avantages des litières terreuses et de la stabulation sans litière, qui, dans les régions agricoles où le bétail est nombreux et l’agriculture très avancée, permettent de faire consommer la totalité des pailles et des divers autres fourrages aux animaux de la ferme[1], réduisant ainsi les engrais de l’exploitation, soit à des mélanges pulvérulens de terres sèches et de déjections, soit à des engrais fluides qu’on répand en arrosages. Les matières organiques azotées et les matières salines désagrégées ou dissoutes se rencontrent en quantités bien plus notables dans ces engrais que les débris ligneux ou l’humus végétal dont l’abondance est souvent trop grande parmi les chaumes et débris divers qui restent inévitablement sur le sol après toutes les récoltes.

La stabulation sans litière offre un triple avantage : elle facilite la récolte totale des déjections solides et liquides, elle évite les émanations gazeuses nuisibles aux animaux, enfin elle maintient les toisons dans un état complet de propreté, qui en accroît la valeur commerciale et facilite les opérations ultérieures du blanchiment et de la teinture de la laine. Cette méthode de stabulation semble parfaitement appropriée à la préparation et à la conservation des engrais mixtes ; elle est d’ailleurs très simple : il suffit d’établir à 1 mètre ou 1 mètre 1/2 au-dessus du sol une estrade ou faux plancher en pente légère supporté par quelques pieux et traverses. Ce plancher est percé d’un grand nombre de trous évasés en dessous et assez étroits à la superficie pour que les pieds des moutons ne s’y puissent engager. Ces ouvertures toutefois suffisent pour laisser passer la presque totalité des déjections qui tombent sur une couche de terre sèche disposée sous le plancher, et qu’on renouvelle lorsque la substance terreuse saturée des liquides fécondans n’en saurait absorber ou conserver davantage. Quant aux portions d’excrémens solides demeurées à la superficie en quantités toujours faibles, il suffit d’un coup de balai pour en débarrasser le plancher en bois. Pour éviter l’inconvénient d’une trop haute élévation du plancher au-dessus du sol, on creuse parfois celui-ci de quelques centimètres ; en tout cas, un plan incliné en pente douce permet le facile accès des moutons dans la bergerie.

Un grand nombre d’agriculteurs ménagent autrement la litière des moutons, tout en préparant sans déperditions notables les engrais mixtes dans les bergeries. On commence par creuser le sol d’un mètre environ ; on remplit, à la moitié de la profondeur, cet encaissement avec de la terre argileuse bien sèche, de la marne pulvérulente ou même de la chaux vive[2] ; puis on recouvre toute la substance minérale avec une couche de 30 centimètres de litière ordinaire. Celle-ci, peu à peu tassée, laisse cependant arriver une partie des déjections liquides à la couche terreuse sous-jacente qui les absorbe ; de temps à autre, et seulement lorsque la superficie semble humide, on ajoute une légère couche de litière ; il résulte du tassement opéré sous les pieds des animaux une assez complète expulsion de l’air pour que la fermentation devienne insensible, en même temps qu’elle est prévenue dans la couche inférieure par la propriété absorbante de la substance minérale. Dans ces conditions, on peut, sans inconvénient pour la salubrité, laisser s’accumuler la litière durant plusieurs mois ; elle représente alors un plus riche engrais, et l’on n’enlève la couche terreuse qu’à l’époque où elle est à peu près saturée, constituant un excellent engrais mixte approprié aux terrains qui réclament des amendemens, soit argileux, soit calcaires.

C’est à l’aide d’une pratique analogue très répandue depuis quelques années dans les fermes anglaises et dans plusieurs de nos exploitations rurales qu’on réalise une économie partielle ou totale des litières pailleuses destinées aux étables des animaux de l’espèce bovine à l’engrais. Souvent aussi on sépare chaque animal de ses voisins par une cloison à claire-voie ; il est d’ailleurs libre de tous ses mouvemens dans l’espace rectangulaire qu’il occupe, et ne se trouve exposé à aucun des inconvéniens de l’attache à la longe. Sa nourriture et son engraissement ont lieu dans des conditions très favorables ; tous les jours, on ajoute une quantité de terre sèche ou de paille, suffisante seulement pour assécher la superficie ; ce n’est qu’au bout de trois mois que, l’engraissement étant à son terme, on fait sortir l’animal, et l’on enlève la litière jusque-là bien conservée par le tassement continuel qu’elle a subi[3].

On évite plus complètement encore les déperditions ultérieures qui, dans tant d’autres exploitations, rendent insalubres et si désagréables les habitations des fermes, en supprimant dans les cours l’accumulation en tas volumineux des fumiers, et en conduisant directement ceux-ci sur les champs libres durant les intervalles entre les cultures. La terre du champ est toujours le meilleur et le plus économique excipient des liquides que les eaux pluviales entraînent, et qui, immédiatement absorbés, se trouvent bientôt à la portée des radicelles à mesure qu’elles pénètrent dans le sol.

Pour en revenir aux engrais commerciaux, il est aussi facile d’expliquer les avantages qu’ils présentent que de démontrer les graves inconvéniens, les dangers même, des falsifications de ces produits. Les riches engrais du commerce, — tels que le guano, les lambeaux ou chiffons de laine, le sang et la chair desséchés, le noir résidu des raffineries, les phosphates en poudre artificiellement imprégnés de carbone et de sang, les nodules de phosphate calcaire finement pulvérisés, — dont une faible quantité, de 300 à 600 kilogr., suffit pour compléter dans un sol la portion des alimens azotés ou minéraux qui lui manquent, — ces riches engrais peuvent parfois accroître dans une proportion bien plus grande encore le bénéfice du cultivateur. En effet, les frais généraux et les dépenses de main-d’œuvre demeurant les mêmes, tout l’excédant sur la quantité et la valeur vénale des produits récoltés équivaut à un bénéfice net. Un autre bénéfice se trouve encore dans la valeur de la portion d’engrais laissée intacte par les plantes, et qui contribue à élever la puissance du sol. C’est par de telles méthodes que l’agriculture atteindra le maximum de produits qu’obtiennent depuis longtemps les exploitations manufacturières, avantages qui se multiplient encore lorsque l’on combine les efforts des deux industries ; c’est ainsi que les sucreries et les distilleries notamment ont pu doubler la valeur foncière des meilleurs terrains sans cesser, malgré l’élévation des dépenses d’intérêt ou de loyer, de réaliser des profits bien supérieurs à ceux que procuraient naguère les anciennes cultures dépourvues de l’énergique concours industriel.

Parmi les engrais mixtes que nous fournit le commerce extérieur, le guano est de tous le plus important[4]. Il vaut aujourd’hui de 350 à 360 fr. la tonne de 1,000 kilog. Avant 1837, la France ne recevait aucune quantité de guano ; durant les dix années de 1837 à 1846, on en a importé année moyenne 4,925,550 kilog. ; pendant la période décennale de 1847 à 1856, la moyenne annuelle des importations a été de 11,368,293 kilog. ; en 1858, elle s’est élevée à 59,610,824 kilog., en 1859 à 32,978,130 kilog., la plus grande partie venant du Pérou. L’importation de ce puissant engrais en Angleterre durant les mêmes périodes a été de dix à vingt fois plus considérable. Après le guano, le charbon d’os mêlé de sang, connu sous le nom de noir animal, résidu des raffineries, occupe le second rang dans nos importations. Il vaut de 130 à 160 fr. les 1,000 kilog. Les importations de noir animal provenant de la Russie, de la Belgique, des Pays-Bas, des villes anséatiques, de l’Allemagne, etc., ont été dans la période décennale, de 1837 à 1846, de 11,994,395 kilog., de 1847 à 1856 de 7,697,832 kilog., en 1858 de 8,068,201 kilog., en 1859 (outre 10,171,142 kilog. d’os) de 6,344,000 kilog. Toutefois l’importance des engrais commerciaux est en réalité beaucoup plus considérable encore, si l’on y comprend les quantités livrées par l’industrie et le commerce intérieur[5].

Par ses qualités exceptionnelles, le guano, comme agent de la production du sol, mérite une attention toute spéciale ; son action énergique, qui, sur les sols sableux du Pérou, décuple et au-delà les récoltes, justifie pleinement la théorie moderne de la nutrition des plantes. Il n’est donc pas inutile d’en préciser nettement la nature et d’assigner les limites réelles de son action, parfois exagérée. Le guano, accumulé pendant une longue série de siècles sur plusieurs îles de l’Océan-Pacifique, provient de la fiente des oiseaux qui affluent en nombre immense dans ces parages. Ces oiseaux habitent au milieu des rochers du littoral et des bancs énormes formés par le guano, dans lesquels ils ont creusé d’innombrables galeries pour leur retraite et les soins de leur reproduction. Ils se nourrissent à peu près exclusivement des poissons dont ils peuvent s’emparer à la superficie des eaux de la mer. La plupart de ces oiseaux sont de l’ordre des palmipèdes (genre sula de Brisson) : ils ressemblent aux cormorans[6] ; on les désigne aussi sous les noms de morus, bobos. Remarquable d’ailleurs par la stupidité avec laquelle il se laisse prendre ou attaquer par l’homme ou les animaux, cet oiseau a mérité le nom vulgaire de fou ou de booby qu’on lui donne en anglais. À la vérité, de longues ailes, qui ont jusqu’à 1m66 d’envergure, s’opposent à ce qu’il prenne son vol ailleurs que sur des bords escarpés ou vers les sommets des rochers.

Ce n’est pas seulement la nourriture animale des boobies qui produit l’extrême richesse et l’homogénéité du guano comme engrais ; c’est encore la propriété qui leur est commune avec les divers oiseaux de rejeter mélangés ensemble les excrémens liquides et solides. Sous cette double influence, le guano est très riche en substances azotées et en phosphates. Ce qui le caractérise d’ailleurs lorsqu’il n’a pas été délayé par les eaux pluviales, c’est la présence en notables proportions de l’urate d’ammoniaque et de plusieurs autres sels ammoniacaux, de l’oxalate de chaux et des phosphates calcaires et alcalins, outre sa coloration ocreuse ou brun orangé et son odeur ammoniacale légèrement putride et musquée. D’autres dépôts de guano ont été découverts sur les côtes sud-ouest de l’Afrique, dans les petites îles d’Angra, de Malago, de Pequena, à Ichabœ ; ils sont moins riches que ceux du Pérou. Plus récemment encore on a trouvé dans les îles Baker et Jarvis un guano particulier, en poudre extrêmement fine, presque totalement dépourvu de substances ammoniacales, mais de tous le plus abondant en phosphates ; il semble être le résultat d’un long séjour du guano normal en des localités soumises à de puissans lavages par les pluies ; il convient parfaitement d’ailleurs pour les terres pauvres en phosphates, mais riches en humus ou en matières organiques suffisamment azotées.

Une industrie qui date de quelques années à peine permet d’extraire avec avantage des tourteaux de certaines graines oléagineuses, notamment du colza ainsi que de la pulpe des olives, une quantité considérable de la substance huileuse que la plus énergique pression sous des machines hydrauliques n’aurait pu faire sortir. La méthode nouvelle, fondée par un habile chimiste manufacturier, M. Deiss, substitue à la force mécanique, après une première pression, la simple et plus puissante action dissolvante d’un liquide volatil, le sulfure de carbone. Ce liquide, naguère très dispendieux et réservé alors aux analyses et expériences de laboratoire, est aujourd’hui fabriqué économiquement et appliqué dans plusieurs grandes opérations manufacturières. Obtenu par la combustion que détermine la vapeur du soufre traversant en vases clos le charbon incandescent, le sulfure de carbone, rectifié dans des appareils distillatoires, revient au fabricant à moins d’un franc le kilogramme. Il peut très facilement dissoudre la totalité des huiles engagées dans les marcs ou résidus des olives et des graines oléagineuses déjà pressées.

Après la filtration méthodique qui a extrait toute la matière grasse, on sépare celle-ci du dissolvant par une distillation à l’aide de la vapeur d’eau, car le sulfure de carbone se dégage en se volatilisant à une température tiède de 48 degrés seulement, et il est recueilli liquide après avoir traversé des serpentins réfrigérans, tandis que les huiles grasses demeurent sans changement d’état à cette température. On retire ainsi de la chaudière de l’alambic l’huile fixe, et d’un autre côté on recueille, à deux ou trois millièmes près, tout le sulfure de carbone distillé, qu’on peut de nouveau employer pour le même usage.

Quel parti va-t-on tirer maintenant de ces tourteaux, de ces mares épuisés ? Les résidus provenant des graines oléagineuses qui auraient pu, au sortir des presses anciennement usitées, servir de nourriture aux bestiaux, ne peuvent plus recevoir cette destination, car la moindre trace de sulfure de carbone serait nuisible, et d’ailleurs les dix ou vingt centièmes d’huile que l’on en a retirés en affaiblissent d’autant la valeur alimentaire. Il en est tout autrement si l’on considère ces résidus au point de vue de l’application comme engrais. En effet, l’huile que l’on a enlevée ne contenait sensiblement ni substance azotée ni matière saline ; presque totalement composée de carbone et d’hydrogène, elle n’eût fourni aux plantes que deux des élémens qui surabondent dans les terres cultivées ; donc, en éliminant cette substance inerte sans rien enlever des matières azotées ou salines, on a réellement augmenté la proportion de ces dernières substances, et le résidu doit constituer un engrais plus riche. Ce fait, conforme à la théorie que nous avons exposée plus haut, a été reconnu exact depuis qu’on a soumis, sur des terres cultivées, les tourteaux huileux et les mêmes résidus épuisés d’huile par le sulfure de carbone à des essais comparatifs. On peut en conclure que, tout en réservant pour l’alimentation et l’engraissement des bestiaux les tourteaux de la graine de lin, les plus propres à cet usage, on pourra extraire avec avantage la substance huileuse des tourteaux de colza et autres destinés à servir d’engrais. Quant aux pulpes des olives, résidus d’une première expression, l’extraction de l’huile par le sulfure de carbone a donné naissance depuis plusieurs années à une industrie considérable en Italie et qui fait fonctionner de très volumineux appareils clos : réservoirs, filtres et chaudières distillatoires, offrant une contenance totale d’environ 40,000 litres, sans y comprendre les bassins réfrigérans et les serpentins. On obtient par ce procédé, chez M. Daninos, à Pise, de 3,000 à 5,000 kilos par jour d’huile naguère abandonnée en pure perte dans les résidus des olives une première fois exprimées. Toutefois un singulier obstacle s’oppose encore à l’extension rapide de l’industrie nouvelle. Aux alentours de Pise, comme dans beaucoup de localités en Italie, les habitans sont grands amateurs de fêtes et de réjouissances publiques. Or il est entré dans les habitudes des populations d’employer les marcs d’olives desséchés comme un combustible léger et de peu de valeur pour faire des feux de joie, et ils sacrifient volontiers pour cet objet le prix que le directeur de l’usine pourrait leur en offrir. De là une difficulté réelle, mais qui disparaîtra sans doute et qui cessera peu à peu d’entraver les approvisionnemens[7].

Une autre espèce de résidu des plus riches en matière azotée se rencontre dans les débris usés des tissus de laine et de soie. Lorsqu’on ne peut donner à ces débris aucune destination plus avantageuse, ils parviennent sous deux formes entre les mains des cultivateurs : tantôt en lambeaux plus ou moins larges, tantôt en une poudre grossière provenant de la tonte des draps. Ces deux formes sont sans influence notable sur le succès de la culture, lorsqu’on applique cet engrais en l’enterrant au pied des oliviers ou des ceps de vigne, car sa lente décomposition, qui se prolonge pendant plusieurs années, alimente graduellement la végétation par ses émanations fécondantes ; mais lorsqu’on emploie de semblables débris de laine dans les champs, on remarque des effets très régulièrement favorables, produits par la laine pulvérulente dite tontisse, tandis que dans toute l’étendue des terres fumées avec les lambeaux de laine la végétation se montre fort irrégulière : des touffes très développées çà et là s’élèvent au-dessus de la hauteur moyenne, plus abondantes souvent en feuilles et en tiges qu’en épis bien remplis de grains. De telles irrégularités dépendent de ce que les morceaux de tissu sont inégalement répartis dans les parties du terrain où ils se rencontrent ; les plantes voisines seules profitent de leurs émanations, tandis que, dans les intervalles dépourvus de cet engrais, la terre se trouve privée de fumure. Cette démonstration toute naturelle est devenue plus évidente encore, lorsqu’on a réussi à pulvériser ces débris[8]. L’engrais devenu pulvérulent est facile à répandre d’une manière uniforme, surtout si l’on prend soin de le mélanger avec une ou deux fois son volume de terre ; 250 ou 300 kilos de laine pulvérisée suffisent en général pour compléter sur la superficie d’un hectare la dose utile de matière azotée facilement assimilable.


III. — VALEUR ET ESSAI DES ENGRAIS. — RESIDUS DES FABRIQUES.

Lorsqu’on se place à un point de vue très général, on peut dire que tout ce qui manque au sol pour lui assurer le maximum de fertilité constitue les élémens de l’engrais mixte le mieux approprié à ce terrain, que si le fumier des fermes convient à toutes les cultures, à tous les sols, c’est qu’il renferme précisément les élémens de nutrition que les plantes ont déjà puisés dans la profondeur de la couche arable, c’est qu’enfin l’excès des débris végétaux consommés dans les actes de la digestion des herbivores laisse prédominer dans le résidu les substances azotées et salines indispensables à la nourriture d’une végétation nouvelle. Toutefois, parmi ces élémens, dont les doses doivent varier suivant la composition de la terre qu’on se propose de fertiliser, les uns se rencontrent presque partout en abondance à la portée du cultivateur, les autres sont en tous lieux plus ou moins rares. De là est venue la règle généralement adoptée de fixer la valeur vénale des engrais en raison des doses qu’ils contiennent de matières azotées et de phosphates, ou des proportions d’azote et d’acide phosphorique que l’analyse y démontre, en tenant compte toutefois de l’état fermentescible, de la ténuité des particules ou encore de la solubilité, qui facilite l’absorption et l’assimilation par les plantes.

M. de Gasparin a fixé approximativement sur ces bases la valeur moyenne en France pour l’azote entre 1 franc 50 cent, et 2 francs le kilogramme, et pour le phosphate de chaux tribasique entre 20 et 25 centimes. M. Nesbitt en Angleterre, réunissant les avis des agronomes et des chimistes manufacturiers, gradue ainsi la valeur vénale des principaux élémens qui peuvent entrer dans la composition des engrais commerciaux : pour 1 kilog., azote, 1 franc 85 cent. ; phosphate de chaux, 20 cent. ; sels alcalins, 2 cent. 1/2 ; sulfate de chaux, 2 cent. 1/2. Ces bases de l’évaluation des engrais mixtes ne diffèrent guère de celles qu’on admet en France ; elles ne sauraient cependant être considérées comme absolues, car elles dépendent de la composition du sol et de ce qui lui manque pour compléter sa puissance productive. On a vu, par exemple, que dans les plus riches contrées agricoles des environs de Lille le phosphate de chaux employé seul ne peut accroître les récoltes, tandis que les substances azotées fermentescibles y développent une végétation luxuriante ; c’est ainsi encore que dans les engrais mixtes on compte comme une valeur négative le carbonate de chaux et la silice, car ils augmentent par leur poids les frais de transport, et sont dépourvus d’action utile sur la plupart des terrains cultivés, où généralement ils se trouvent en excès. C’est donc d’après la richesse en azote ou en phosphates découverte par l’analyse chimique dans les divers engrais qu’on a pu, en France, en Angleterre et en Allemagne, dresser des tableaux synoptiques de leur valeur comparée ainsi que de leurs équivalens. Par l’équivalent d’un engrais, on entend la quantité de cet engrais qui, pour une égale superficie de terrain, 1 hectare par exemple, équivaudrait, sous le même rapport des proportions de l’azote ou des phosphates, à la quantité moyenne du fumier de ferme employé annuellement[9].

Les expériences ou essais de laboratoire d’après lesquels ces évaluations numériques peuvent être obtenues ont inspiré peu à peu une telle confiance aux agronomes que, dans tous les pays d’Europe où la culture est avancée, on y a continuellement recours. En Angleterre, en Écosse et en Irlande, des laboratoires spéciaux, auxquels sont attachés des chimistes habiles, sont établis dans les centres principaux des grandes cultures, aussi bien pour analyser le sol que pour apprécier les engrais minéraux, organiques et mixtes, naturels et artificiels, pour déceler enfin les fraudes relatives aux engrais commerciaux de différentes origines.

Il est bien peu de fraudes commerciales dont les conséquences soient aussi graves que celles qui s’exercent sur les engrais. Ce n’est pas seulement la perte de l’argent dépensé pour une marchandise d’une valeur incertaine qui compromet les intérêts du cultivateur : celui-ci se trouve expose en outre à des chances bien autrement désastreuses. Comptant sur les favorables influences d’un engrais bien défini, dont il a pu reconnaître antérieurement par sa propre expérience les propriétés fécondantes, il verra tous ses calculs trompés, s’il a répandu sur sa terre un engrais mélangé de matières inertes, incapable de fournir à la végétation les élémens nécessaires à son développement. La récolte s’en trouvera d’autant amoindrie. À la dépense d’acquisition de l’engrais falsifié s’ajouteront les frais généraux de culture que la moisson ne saurait couvrir.

Il est une autre sorte de fraude plus audacieuse encore, née en Allemagne, et qui durant plusieurs années a pesé sur notre agriculture. Cette fraude faisait en France des progrès effrayans, lorsque dans sa session de 1851 le congrès central des agriculteurs, par un vote solennel, frappa d’une énergique réprobation ce commerce scandaleux. Il s’agissait de ces engrais factices, dits concentrés, « mélanges ridicules (je cite le rapport adopté par le congrès central), dont les matières inertes ou sans valeur, comme l’eau et la craie, forment les trois quarts. Tous les marchands d’engrais concentrés, brevetés d’invention, promettent qu’en supprimant la fumure et en y substituant quelques litres de leur engrais, on doublera le produit des récoltes ; mais en réalité on a pu apprendre par les analyses de chimistes consciencieux que ces engrais prétendus concentrés ne contenaient que des doses insignifiantes de matières fertilisantes, incapables de rendre au sol la centième partie des matériaux que la récolte lui enlève. Alors chacun a pu expliquer les mécomptes éprouvés par les cultivateurs crédules qui avaient perdu bien au-delà des sommes encaissées par les spéculateurs. » La trompeuse industrie des engrais dits concentrés était à peine repoussée en France que déjà elle commençait à se répandre en Angleterre ; mais là ses espérances furent bientôt déçues. De toutes parts, les chimistes habiles qui prêtent à l’agriculture un concours dévoué firent connaître leurs observations, conformes de tout point aux résultats des analyses publiées par les chimistes français et aux conclusions adoptées par le congrès central assemblé dans Paris. On se rappelle la critique spirituelle de ce fermier devant qui l’on prônait les effets merveilleux des engrais concentrés. « Oui, s’écria-t-il, je crois bien que, grâce à ces remarquables progrès de l’industrie chimique, on pourra bientôt porter tout l’engrais pour un acre de terrain dans sa tabatière ; mais alors sans doute on rapportera toute la récolte dans son gousset. »

Cependant un danger plus grand encore résultait de ce déplorable état de choses ; nous devons le dévoiler. Dans les terres cultivées depuis longtemps, où se trouvent accumulées d’anciennes fumures lentes à réagir, les engrais liquides dits concentres ont pu produire les effets du trempage des semences, du pralinage des grains, pratiques anciennes et entrées depuis bien longtemps dans le domaine public, car elles ont été recommandées, pour des cas spéciaux, par Columelle, Duhamel-Dumonceau, Olivier de Serres, Mathieu de Dombasle, et de nos jours elles sont appliquées avec succès chez MM. Crespel Delisse, Quesnard, Chambardel, Decrombecque, Lebel de Bechelbroon, et tant d’autres agronomes habiles. Quelques succès passagers de ce genre, prônés à tort comme une méthode générale et exclusive dans de pompeuses annonces, ont pu parvenu, à faire de nouvelles dupes : les unes épuiseront leur sol, les autres perdront dès la première tentative leurs frais de culture et d’ensemencement.

Le congrès de 1851, adoptant l’avis de sa commission spéciale, émit à l’unanimité le vœu que le gouvernement prît des mesures convenables pour arriver à la répression de pareils abus. Bientôt après, nos assemblées législatives répondirent avec une grande sympathie à ce vœu ; elles mirent en évidence d’excellentes mesures administratives prises spontanément depuis plusieurs années par M. Chaper, préfet de la Loire-Inférieure, celui de nos départemens où le commerce des engrais a le plus d’importance et continue à rendre le plus de services. Les moyens de répression indiqués alors se sont propagés trop lentement sans doute, dans nos départements ; cinq d’entre eux les ont adoptés, et dans un sixième le préfet d’Ille-et-Vilaine, M. Féart, vient tout récemment de prendre un arrêté pour la réalisation de mesures semblables. Cet arrêté offre implicitement aux agriculteurs d’utiles conseils et des enseignemens précieux. Si les agriculteurs entrent dans, cette voie, toutes leurs observations pratiques auront désormais une base certaine, puisque les résultats qu’ils auront constatés se rapporteront à des agens de la fécondation du sol dont ils connaîtront bien la composition, et dont ils pourront espérer de semblables avantages en opérant dans les mêmes conditions. En tout cas, ils seront assurés d’acheter pour leur valeur réelle les différens engrais commerciaux qui leur seront offerts[10].

Les cultivateurs reconnaissent depuis longtemps, à certains caractères, les engrais mixtes dont ils attendent le maximum d’effet, et c’est surtout d’après l’odeur putride plus fortement prononcée de ces engrais qu’ils les estiment davantage. Une telle base d’appréciation peut les guider, on le conçoit, toutes les fois qu’elle résulte des développemens de la fermentation dans une substance d’origine animale, riche en composés quaternaires ; mais en certaines circonstances elle devient la cause de singulières méprises. En voici un remarquable exemple. L’odeur la plus ordinaire qui domine dans les matières animales en état de putréfaction, matières qui toutes (a l’exception des substances gélatineuses et de la soie) renferment du soufre, c’est celle du composé appelé acide suif hydrique ou hydrogène sulfuré ; c’est encore l’odeur non moins forte de la combinaison de l’hydrogène sulfuré avec l’ammoniaque, désignée sous le nom de suif hydrate d’ammoniaque. Or il est arrivé par hasard qu’un manufacturier peu chimiste, qui retrouvait cette odeur dite d’œufs pourris, indice suffisant pour lui d’un engrais énergique, dans des résidus de l’épuration du gaz d’éclairage, fonda une spéculation sur l’achat à bas prix de ces résidus accumulés en tas énormes. Il comptait les livrer ultérieurement aux agriculteurs à un prix en rapport avec l’énergie fécondante qu’il leur supposait. Il ne s’inquiéta ni de ce que ces résidus infects avaient perdu de carbonate d’ammoniaque par les lavages qu’ils avaient subis, ni de la présence dans ces résidus de composés goudronneux fort nuisibles à toute végétation. Est-il besoin d’ajouter qu’une seule année d’expérience suffit pour faire justice d’une telle spéculation, au moins étourdie ? Plus d’une fois au contraire on a vu des cultivateurs refuser d’acheter à des conditions favorables ou même d’essayer de riches engrais, tels par exemple que des os désagrégés par l’acide sulfurique, des râpures d’os, de cornes, de baleines, ou des noirs résidus de raffinage des sucres indigènes et coloniaux, par cela seul que ces engrais commerciaux étaient dépourvus de toute odeur infecte. Ces méprises, assez nombreuses, ne sont pas d’ailleurs demeurées sans une utile influence sur les dispositions qui portent chaque jour davantage les négocians et les agriculteurs à réclamer de l’analyse chimique des données plus certaines que les caractères extérieurs des engrais.

Ces données, on les connaît maintenant. Les engrais mixtes, ces, principaux agens de la fertilisation du sol, se composent des substances minérales et des matières organiques congénères des principes immédiats qui entrent dans la composition des plantes elles-mêmes ; l’état de décomposition facile ou de solubilité, en un mot d’assimilation prompte dans les actes de la végétation, concourt à la valeur réelle de ces engrais. Parmi les élémens que l’analyse y démontre, l’azote, attribut des matières organiques azotées ou des débris animaux, joue presque toujours le principal rôle, parce qu’il ne se trouve jamais en excès dans les terrains cultivés, et que les débris purement végétaux ou ligneux, beaucoup moins rares, ne sauraient avoir la même valeur. Tels sont les faits désormais acquis, et l’analyse exacte des engrais mixtes est un service de plus rendu par la science à l’agriculture, un nouvel exemple de ce qu’on peut attendre du travail agricole fécondé par l’esprit scientifique.


PAYEN, de l'Insititut.

  1. Une grande partie de ces fourrages sont hachés et soumis à la cuisson par la vapeur dans presque toutes les fermes anglaises ; dans quelques-unes des nôtres, on les prépare plus économiquement encore en les mélangeant avec des résidus alimentaires sortant tout chauds et humides des distilleries agricoles.
  2. Depuis plus de douze ans, on a donné la préférence à ce dernier agent hygroscopique dans les exploitations agricoles de M. Tiburce Crespel.
  3. Un des moyens d’économiser les litières pailleuses consiste à les rendre plus absorbantes en les hachant avant de les étendre. Cette méthode, usitée dans quelques fermes de la Grande-Bretagne, permet d’accroître d’autant les fourrages réservés pour la nourriture des animaux.
  4. La composition moyenne du guano, très complexe, peut être, d’après M. Boussingault, ainsi représentée :
    Matières azotées : urate, oxalate, chlorhydrate et phosphate d’ammoniaque, acide urique 18,3
    Phosphates alcalins et terreux de potasse, de soude, de magnésie, de chaux 32
    Sulfates de potasse et de soude. 9,7
    Oxalate de chaux 6,1, sel marin 1, silice 1,5 8,6
    Humus et matières organiques indéterminées 4,3
    Eau et pertes dans l’analyse 27,1
  5. Si l’on consulte un rapport de M. Bobière au préfet de la Loire-Inférieure, on voit que dans une seule région de la France, approvisionnée par la ville de Nantes, les quantités des principaux engrais mises à la disposition des cultivateurs par le commerce se sont élevées en 1860 à 25,424,215 kilos :
    Noir animal, résidus de raffineries amenés par la navigation 13,685,145 kil.
    Noir animal, résidus de raffineries transportés par chemins de fer. 8,078,000
    Noir animal, provenant des raffineries locales. 2,500,000
    Guano de plusieurs origines. 1,101,070
    Total dans lequel sont comprises de faibles quantités de phosphates fossiles 25,424,215 kil.


    Les engrais mixtes soumis au contrôle de l’analyse contenaient en moyenne pour 100 en poids 22 de phosphate de chaux et 2 d’azote correspondant à 13 de matière azotée, celle-ci comparable, quant à la composition élémentaire, au sang ou à la chair musculaire desséchée.

  6. Linné les avait rangés dans le genre pélican ; mais les ornithologistes modernes en ont formé le genre particulier de sula.
  7. L’huile obtenue des marcs d’olives à l’aide du sulfure de carbone n’eut pas comestible, mais elle constitue une excellente matière première pour les savonneries et donne un produit qui, sauf une nuance verdâtre, offre tous les caractères et les bonnes qualités du savon d’huile d’olive.
  8. Le moyen adopté consiste à les imprégner d’une solution à un centième de soude caustique ; on chauffe ensuite à une température supérieure à 100 degrés ; l’eau s’évapore rapidement, laissant bientôt la solution alcaline dans un état de concentration favorable à son énergique action dissolvante sur la matière animale ; dès lors les filamens désagrégés ou rendus friables se pulvérisent sans grand effort entre les meules du moulin.
  9. On trouvera ces tableaux des équivalens dressés par M. Boussingault et par nous-même pour cent trente engrais divers, — débris animaux, excrémens et litières, débris végétaux, fanes, feuilles et tiges, tourteaux de graines oléagineuses, engrais artificiels, terres et terreaux, etc., dans notre Précis de Chimie industrielle, dans l’Économie rurale de H. Boussingault, et le Bon Fermier, par M. Barral.
  10. Aux termes de cet arrêté, les marchands d’engrais doivent placer sur chacun des tas de matières fertilisantes mises, en vente un écriteau indiquant le nom ou la désignation exacte et la composition de l’engrais, et toujours, relativement aux engrais mixtes, la richesse en phosphates et en matières azotées. Il est défendu de réunir dans les magasins d’engrais des dépôts de tourbe ou d’autres substances non fertilisantes. Les marchands sont tenus de délivrer à tout acheteur une facture indiquant le nom et l’analyse de l’engrais, conformément aux inscriptions placées sur les tas. Un chimiste est spécialement chargé par l’administration de vérifier sur échantillons, prélevés par les inspecteurs ou remis aux voituriers, la composition de l’engrais, et si les résultats de l’analyse ne s’accordent pas avec les indications fournies par le vendeur, la fraude est. déférée aux tribunaux. MM. Moride et Bobière, à Nantes, ont dès l’origine prêté le concours le plus efficace à ces vérifications analytiques ; celles-ci sont confiées, dans le département d’Ille-et-Vilaine, à M. Malaguti, savant professeur de chimie agricole à Rennes. À l’aide de semblables mesures prises dans tous nos départemens, on parviendrait sans peine à moraliser le commerce des engrais, à répandre les notions utiles des sciences appliquées dans les campagnes, à sauvegarder les intérêts des cultivateurs, en assurant les conditions favorables de la production agricole.