Derniers essais de littérature et d’esthétique/Romans nouveaux

Romans Nouveaux[1].

La fiction teutonique, en général, est un peu lourde et très sentimentale, mais Son Fils, de Werner, excellemment traduit par Miss Tyrrell, est vraiment un récit hors ligne.

On en ferait une pièce de premier ordre.

Le vieux comte Steinrück a deux petits-fils, Raoul et Michel.

Ce dernier est élevé comme un fils de paysan, cruellement traité d’ailleurs par son grand-père, et par le paysan aux soins duquel il a été confié, sa mère, la comtesse Steinrück, ayant épousé un aventurier qui est joueur.

Il est le rude héros du récit, le Saint Michel de cette guerre contre le mal, qu’est la vie, tandis que Raoul, gâté par son grand-père et par sa mère, une Française, trahit son pays et ternit son nom.

A chaque pas dans le récit, ces deux jeunes gens entrent en collision.

C’est une guerre entre caractères, un heurt entre individualités.

Michel est fier, austère et noble ; Raoul est faible, charmant et mauvais.

Michel a le monde contre lui et il triomphe ; Raoul a le monde de son côté et il succombe.

C’est un récit plein de mouvement et de vie, et la psychologie des personnages se manifeste par l’action, non par l’analyse, par des faits, non par la description.

Bien qu’elle remplisse trois forts volumes, cette histoire ne nous fatigue pas.

Elle a de la vérité, de la passion, de la force, et on ne saurait demander mieux à la fiction.

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L’intérêt du Chenapan de M. Sale Lloyd est subordonné à un de ces malentendus qui composent le fond de magasins des romanciers de second ordre.

Le capitaine Egerton s’éprend de Miss Adela Thorndyke, un faible écho de quelqu’une des héroïnes de Miss Broughton, mais il ne veut point l’épouser parce qu’il l’a vue causer avec un jeune homme, qui habite dans le voisinage, et qui est un de ses plus anciens amis.

Nous disons, à regret, que Miss Thorndyke reste entièrement fidèle au capitaine Egerton et va jusqu’à refuser, à cause de lui, d’épouser le recteur de la paroisse, qui est un baronnet du cru, et un lord en chair et en os.

Il y a là du caquet de five o’clock tea à n’en plus finir et bon nombre de personnages ennuyeux.

Il peut se faire que des romans comme le Chenapan s’écrivent avec plus de facilité qu’ils ne se lisent.

James Hepburn[2] appartient à une catégorie toute différente de livres.

Ce n’est point un simple chaos de conversation, mais une forte histoire de la vie réelle, et qui placera, sans aucun doute, Miss Veitch à un rang éminent parmi les romanciers modernes.

James Hepburn est le ministre de l’Église Libre de Mossgiel et dirige une congrégation d’agréables pécheurs et de graves hypocrites.

Deux personnes l’intéressent, Lady Ellinor Farquharson et un beau jeune vagabond nommé Robert Blackwood.

Ce qu’il fait pour sauver Lady Ellinor de la honte et de la ruine a pour résultat qu’on l’accuse d’être son amant.

Son intimité avec Robert Blackwood le fait soupçonner du meurtre d’une jeune fille commis dans sa maison.

Une réunion des Anciens et des dignitaires de l’Église est convoquée pour délibérer sur la démission du ministre, et là, au grand étonnement de tous, apparaît Robert Blackwood, qui avoue le crime dont Hepburn est accusé.

Tout le récit est d’une puissance extraordinaire, et il n’y est point fait un abus extravagant du dialecte écossais, ce qui est fort commode pour le lecteur.

La page de titre de Tiff nous apprend que ce livre a été écrit par l’auteur de Lucie ou une Grande Méprise, ce qui nous paraît une forme de l’anonymat, attendu que nous n’avons jamais ouï parler du roman en question.

Nous nous plaisons toutefois à croire qu’il valait mieux que Tiff, car Tiff est certainement ennuyeux.

C’est l’histoire d’une belle jeune fille, qui a beaucoup d’amoureux et les perd, et d’une fille laide, qui n’a qu’un amoureux et le garde.

C’est un récit assez embrouillé, et qui contient beaucoup de scènes d’amour.

Si la Collection « des Romans favoris » dans laquelle Tiff paraît, doit être continuée, nous conseillerons à l’éditeur de modifier le caractère et la reliure : le premier est beaucoup trop menu, et le second est fait d’une imitation de peau de crocodile ornée d’une araignée bleue et d’une gravure vulgaire, représentant l’héroïne dans les bras d’un jeune homme en tenue de soirée.

Si ennuyeux que soit Tiff, — et il l’est à un degré remarquable, — il ne mérite point une aussi détestable reliure.


  1. Saturday Review, 20 août 1887.
  2. Par Sophie Veitch.