Derniers essais de littérature et d’esthétique/Imprimerie et Imprimeurs

Imprimerie et Imprimeurs[1].

On ne saurait rien concevoir de mieux que la conférence de M. Emery Walker sur le texte et l’illustration, faite hier soir aux Arts et Métiers.

Une série de spécimens intéressants de vieux livres imprimés et de manuscrits a été étalée sur l’écran par le moyen de la lanterne magique, et les explications de M. Walker ont été aussi claires et aussi simples que ses vues étaient admirables.

Il a commencé par faire connaître les diverses sortes de caractères et la manière de les fabriquer.

Il a montré des spécimens de l’ancien art d’imprimer par planches gravées qui a précédé le caractère mobile et s’emploie encore en Chine.

Il a fait remarquer la connexion intime qui existe entre l’impression et l’écriture. Aussi longtemps que cette dernière fut bonne, les imprimeurs eurent un modèle vivant à suivre, mais quand elle se gâta, l’impression se gâta aussi.

Il a montré sur l’écran une page de la Bible de Gutenberg (le premier livre imprimé, datant d’environ 1450-1455) et un manuscrit de Columelle, un Tite-Live imprimé de 1469, avec les abréviations de l’écriture à la main et un manuscrit de l’abrégé de Trogue Pompée par Justin, de 1451.

Il a indiqué ce dernier comme un exemple des débuts du caractère romain.

La ressemblance entre les manuscrits et les livres imprimés était des plus curieuses, des plus suggestives.

Il a ensuite fait voir une page empruntée à l’édition des Lettres de Cicéron, de John de Spier, le premier livre imprimé à Venise, une édition du même ouvrage par Nicolas Jansen, en 1470, et un admirable Pétrarque manuscrit du seizième siècle.

Il a parlé à l’auditoire d’Alde, qui fut le premier à mettre en circulation des livres à bon marché, à supprimer les abréviations, qui fit graver ses caractères par Francia, pictor et aurifex, lequel passe pour avoir reproduit l’écriture du Pétrarque.

Il exhiba une page du livre d’exemples de Vicentino, le célèbre maître d’écriture vénitien. Elle fut saluée d’une salve spontanée d’applaudissements, et il émit quelques vues excellentes sur l’amélioration des livres d’exemples et les inconvénients de l’écriture penchée.

Un superbe Plaute imprimé à Florence en 1514 pour Lorenzo di Medici, l’Histoire de Polydore Virgile avec les beaux dessins d’Holbein, imprimée à Bâle en 1556, et d’autres livres intéressants furent aussi projetés sur l’écran, ce qui, naturellement, en agrandissait beaucoup les proportions.

Il parla d’Elzévir au dix-septième siècle, alors que l’écriture commençait à déchoir, et du premier imprimeur anglais Caxton, et de Baskerville, dont les caractères furent peut-être dessinés par Hogarth, mais ne sont pas très bons.

Le latin, ainsi qu’il le fit remarquer, gagnait plus que l’anglais, à l’impression, parce que les queues des caractères ne tombaient pas aussi souvent au-dessous de la ligne.

Le large espace entre les lignes, résultant de l’emploi d’un plomb, comme il le montra, mettait la page en bandes, et donnait aux blancs la même importance qu’aux lignes.

Naturellement il faut réserver beaucoup de largeur aux marges, excepté aux marges intérieures, et les titres courants ôtent souvent à la page sa beauté d’arrangement.

Le caractère employé par la Pall Mall fut approuvé comme il le méritait, nous sommes heureux de le reconnaître.

En ce qui regarde l’illustration, le point essentiel, comme le dit M. Walker, est d’établir l’harmonie entre le caractère et la décoration.

Il plaida la cause du véritable ornement pour le livre, contre la sotte habitude de placer le dessin là où il n’a que faire.

Il fit remarquer que l’harmonie mécanique et l’harmonie artistique marchent du même pas.

Il ne faut employer l’ornement ou l’illustration dans un livre qu’à la condition de pouvoir l’imprimer de la même manière que le texte.

Pour appuyer son conseil, il présenta l’Italie de Rogers avec de la gravure sur acier, et une page d’un Magazine américain, fleurie, picturale, mauvaise, fut saluée par quelques rires.

Comme exemples, nous eûmes un charmant Boccace imprimé à Ulm, et une page tirée de La Mer des Histoires, imprimée en 1488. Black et Bewick parurent aussi, puis ce fut une page de musique dessinée par M. Horne.

La conférence fut écoutée avec grande attention par un nombreux auditoire, et elle était certainement fort attrayante.

M. Walker a le subtil instinct artistique que donne la pratique réelle de l’art dont il parle.

Ses remarques au sujet du caractère pictural de l’illustration moderne étaient bien en leur place, et nous espérons que certains des éditeurs qui se trouvaient dans l’auditoire les prendront à cœur.

Jeudi prochain, conférence de M. Cobden-Sanderson sur la Reliure, sujet que peu de personnes en Angleterre sont capables de traiter avec plus de compétence.

Nous sommes heureux de voir ces conférences aussi bien fréquentées.


  1. Pall Mall Gazette, 16 novembre 1888.