Depuis l’Exil Tome VI Notes Après le discours pour l’amnistie




J Hetzel (p. 180-182).

NOTE V.

après le discours pour l’amnistie

Un groupe maçonnique de Toulouse a écrit à Victor Hugo.

Toulouse, 26 mai 1876.
Maître et citoyen,

La cause que vous avez plaidée lundi au sénat est noble et belle ; juste au point de vue humanitaire, juste au point de vue politique. Le sénat n’a voulu comprendre ni l’un ni l’autre ; il avait le parti pris de ne pas se laisser émouvoir ; et pourtant, vos sublimes accents ont fait vibrer tous les cœurs français et véritablement humains. Mais vos collègues avaient revêtu leurs poitrines de la triple cuirasse du poëte latin ; sous prétexte de politique, ils sont demeurés sourds à la voix de l’humanité. Souvent trop d’habileté nuit, car, en étouffant celle-ci, ils ont compromis celle-là.

Dans la question de l’amnistie, les intérêts de la politique et de l’humanité sont les mêmes. Qu’importe que le sénat n’ait point voulu prendre leur défense ? Il a cru étouffer la question en la rejetant, il n’a réussi qu’à lui donner une impulsion plus vive, qu’à l’imposer aux méditations de tous. Les deux Chambres ont rejeté la cause de l’amnistie, de l’humanité, de la justice ; le pays la prend en main, et il faudra bien que le pays finisse par avoir raison de toutes les fausses peurs, de toutes les mauvaises volontés, de tous les calculs égoïstes.

Maître, la France ne se faisait pas d’illusion ; elle savait que l’amnistie était condamnée d’avance et qu’elle se heurterait à un parti pris ; elle savait que les puissants du jour ne consentiraient pas à ouvrir les portes de la patrie à ces milliers de malheureux qui expient, depuis cinq années, loin du sol natal, le crime de s’être laissé égarer un moment après les souffrances et les privations du siége et du bombardement, après avoir défendu et sauvé l’honneur national compromis par… d’autres. Cela était prévu, la France n’avait aucune illusion ; elle n’applaudit qu’avec plus d’attendrissement et d’enthousiasme à votre patriotisme, à votre courage civique. En vous lisant, elle a cru entendre la voix de la Patrie désolée qui pleure l’exil de ses enfants ; elle a cru entendre la voix de l’Humanité faisant appel à l’union des cœurs, à la fraternité des membres d’une même famille. Et, quant à la page éloquente, digne des plus belles des Châtiments, où vous prenez au collet le sinistre aventurier de Boulogne et de Décembre, le démoralisateur de la France, le lâche et le traître de Sedan, pour le flétrir et le condamner, nous avons cru entendre la sentence vengeresse de l’impartiale Histoire.

Maître, un groupe maçonnique de Toulouse, après avoir lu votre splendide discours — tellement irréfutable que les complices eux-mêmes de l’assassin des boulevards, vos collègues au sénat, hélas ! sont demeurés muets et cloués à leurs fauteuils, — vous fait part de son enthousiasme et de sa vénération, et vous dit : Maître, la France démocratique — c’est-à dire la fille de la Révolution de 1789, celle qui travaille, celle qui pense, celle qui est humaine et qui veut chasser jusqu’au souvenir de nos discordes — est avec vous ; votre saisissant et admirable langage a été l’expression fidèle des sentiments de son cœur et de sa volonté inébranlable. La cause de l’amnistie a été perdue devant le parlement, elle a été gagnée devant l’opinion publique.

Pour les francs-maçons, au nom desquels je parle, pour la France intellectuelle et morale, vous êtes toujours le grand poëte, le courageux citoyen, l’éloquent penseur, l’interprète le plus admiré des grandes lois divines et humaines, en même temps que le plus éclatant génie moderne de la patrie de Voltaire et de Molière.

Permettez-nous de serrer votre loyale main,

louis braud. ⁂

Ont adhéré :

doumergue., l. edan, tournié aîné, codard, p. baux, lpart, f. massy, bonnemaison, simon, castaing, bouilhières, delcrosse, biron, alié, thil, pelyrin, durest, clergue, demeure, bourgare, tarrié, ournac, haffner, amouroux, a. fumel, urbain, fumel, gaubert, de margeot, hector goua, castagné, brenel, paris aîné, pujol, gratelou, girons, gros, coste, asabathier, brol, pagès, roche, figarid, berger, gardel, bola, corne, boudet, gausseran, coudard, barle, delmas, picard, lannes, ariste, passerieux, ⁂ etc., etc.

Voici la réponse de Victor Hugo :

Paris, 4 juin 1876.
Mes honorables concitoyens,

Votre patriotique sympathie, si éloquemment exprimée, serait une récompense, si j’en méritais une.

Mais je ne suis rien qu’une voix qui a dit la vérité.

Je saisis, en vous remerciant, l’occasion de remercier les innombrables partisans de l’amnistie qui m’écrivent en ce moment tant de généreuses lettres d’adhésion. En vous répondant, je leur réponds.

Cette unanimité pour l’amnistie est belle ; on y sent le vœu, je dirais presque le vote de la France.

En dépit des hésitations aveugles, l’amnistie se fera. Elle est dans la force des choses. L’amnistie s’impose à tous les cœurs par la pitié et à tous les esprits par la justice.

Je presse vos mains cordiales.

Victor Hugo.