Les éditeurs de La Lecture (p. 5-17).

DENT POUR DENT
SCÈNES IRLANDAISES


I

MILADY


Dans le comté de Cork, au sud de l’Irlande, au fond d’une pauvre vallée, un bien modeste cottage abritait son toit de chaume sous l’ombrage de quelques peupliers. Devant l’habitation, cinq ou six oies cherchaient avidement une insuffisante nourriture sur le sol couvert de brins de paille et de détritus formant un véritable bourbier.

Il faisait froid, on était en novembre ; l’âpre vent du nord gémissait dans les arbres dévastés, le givre suspendait aux branches ses festons de cristal, le sommet des montagnes se recouvrait des légères couches blanches qui forment sa parure d’hiver ; une morne tristesse régnait sur la nature.

Dans la chaumière, au centre de la vaste pièce qui formait le logement de la famille, un homme se promenait de long en large, les bras croisés derrière le dos, une courte pipe à la bouche ; près du foyer où brûlait un feu de tourbe, une femme reprisait de vieux vêtements ; beaucoup d’enfants, dont on peut fixer approximativement le nombre à sept, l’entouraient.

L’homme s’arrêta tout à coup.

C’était un robuste paysan de six pieds anglais de haut, large d’épaules et taillé en hercule ; il avait une épaisse chevelure blonde, le teint clair, des traits énergiques et réguliers, une large bouche et un franc sourire. Willy Podgey passait pour le plus bel homme du pays.

Il portait une veste de grosse toile et des culottes d’une étoffe si raide qu’elles se seraient tenues toutes droites à défaut de jambes pour les soutenir ; ses pieds étaient nus dans ses sabots.

Jenny, sa femme, avait eu aussi de la réputation, à l’époque où elle était une grande et belle fille blonde, fraîche et souriante ; depuis, le temps avait quelque peu boucané son gracieux visage, l’embonpoint en faisait une respectable matrone. Sa couronne maternelle allait s’augmenter d’un huitième fleuron ; c’était là un juste motif de préoccupation dans le pauvre ménage, où le travail du père avait déjà tant de peine à nourrir neuf personnes.

Willy était dur à l’ouvrage et Tomy, son fils aîné âgé de seize ans, l’aidait de son mieux, mais la ferme était petite, chère, peu productive et, avec les charges croissantes de la famille, les privations augmentaient chaque jour ; la récolte de pommes de terre avait manqué, c’était la misère en perspective pour l’hiver qui commençait.

— Jenny, dit le paddy, j’ai vu le bailli du landlord.

— Tu l’as vu ? répéta, comme un écho, la femme en tournant vers son mari des yeux anxieux.

— Oui, affirma-t-il.

Et il se remit à marcher lestement, en proie à une pensée absorbante.

Jenny attendait patiemment qu’il plût à son mari de s’expliquer.

Celui-ci s’arrêta de nouveau et reprit :

— Cet homme est sans pitié.

— Il a refusé ? gémit la femme.

— Je lui ai dit que la misère serait grande jusqu’à l’année prochaine par suite de la mauvaise récolte, je l’ai supplié d’attendre encore six mois, il a été inflexible. J’ai insisté ; il s’est emporté, il m’a injurié, menacé, enfin il a ajouté : Si dans quinze jours vous ne m’apportez pas la moitié de ce que vous devez, je vous fais expulser.

— Le misérable ! exclama Tomy en serrant le poing.

— Paix, mon fils, il ne sert à rien de se révolter ; nous autres, infortunés paysans irlandais, nous sommes attachés à la glèbe, instruments de fortune pour les landlords qui nous font exploiter par leurs baillis, pendant qu’avec le fruit de nos sueurs ils mènent en Angleterre une vie somptueuse.

— Hélas ! soupira la femme, notre condition est bien malheureuse. Il est dur de vivre toujours dans la misère et de n’être même pas sûr de conserver cette situation insuffisante qu’un caprice du maître peut vous enlever à tout moment.

— Comment nous procurer la somme nécessaire ! reprit le paddy avec anxiété.

— Hélas ! répondit Jenny, espères-tu la réaliser ?

— C’est impossible, fit son mari d’une voix éteinte.

— Mon Dieu ! qu’allons-nous devenir, pendant la mauvaise saison, avec nos sept enfants et celui que nous attendons ? nous mourrons de misère en mendiant.

Elle se mit à pleurer bruyamment, d’autres sanglots répondirent aux siens, c’était un spectacle de désolation.

— Malédiction ! cria le fermier dont le visage exprimait une violente douleur.

— Je tuerai le premier qui essaiera de nous chasser d’ici, ajouta Tomy en portant la main à un fusil accroché au mur.

— Laisse cette arme, mon fils, dit Jenny ; on ne peut résister à la force, ce serait aggraver notre malheur. Que deviendrais-je si ton père et toi étiez emmenés en prison ?

— Malédiction ! répéta le paddy en appliquant sur la table un vigoureux coup de poing qui la fendit en deux.

— Voilà le père qui s’emporte, c’est mauvais signe, fit la femme inquiète. Willy, mon ami…

— Laisse-moi.

— Peut-être le ciel nous enverra-t-il du secours.

— Le ciel ne s’occupe pas de nous. Susy, porte-moi le pichet qui est dans l’armoire.

Une petite fille de huit ans s’empressa d’obéir. Willy avala coup sur coup plusieurs verres de whiskey. Les Irlandais ont pris l’habitude de noyer leurs chagrins dans cette liqueur qu’ils prétendent inoffensive.

Jenny continua à pleurer ; elle avait abandonné son travail, les plus jeunes enfants s’étaient rapprochés de leur mère et la regardaient craintivement

— Pauvres petits, murmurait-elle, donnant à droite et à gauche une caresse, pauvres petits, ça me fend le cœur de penser à vous. Seigneur, Seigneur, quel triste sort !

— Malédiction ! rugit le paddy en levant son verre et en le reposant si brusquement sur la table qu’il se brisa en mille morceaux.

— Willy ! s’écria la femme considérant sa table fendue, le verre brisé, autant d’actes insensés qui n’amélioraient en rien la situation de la famille. Elle n’osa pas ajouter un mot de plus.

Podgey était excellent, mais il ne fallait pas se mettre à travers sa colère.

L’incident aurait pu prendre une fâcheuse tournure, si un événement imprévu n’était venu changer tout à coup la face des choses.

Le jeune William, joli enfant de dix ans, qui s’était glissé dehors pour s’amuser avec les oies, entra dans la chaumière, rouge, essoufflé.

— Qu’y a-t-il ? demanda Jenny inquiète, car un malheur n’arrive jamais seul.

— Mère, dit l’enfant, une voiture, une belle voiture et deux beaux messieurs avec des casquettes dorées.

— Les équipages ne fréquentent pas notre cottage, reprit le père. Tomy s’était précipité vers la porte.

— Il y a une dame dans la calèche, dit-il.

— Une dame, répéta Jenny, que peut-elle vouloir à de pauvres gens comme nous ?

Une voiture pénétrait, en effet, dans l’étroit espace qui formait devant le cottage une sorte de cour.

Un laquais descendit du siège et vint ouvrir la portière.

— Hé bien — James, dit une voix dure et arrogante, avez-vous pensé que je pourrais poser le pied dans un pareil bourbier ?

Le devant de l’habitation était bien sale, pour une riche lady habituée à fouler le sable fin d’allées soigneusement entretenues.

— On ne m’avait pas dit que je venais dans une chaumière aussi peu abordable, je croyais arriver chez un honnête fermier.

— Un honnête fermier, oui, milady, répondit Willy en s’approchant, mais dans notre pays les honnêtes fermiers sont de bien pauvres diables.

— Je ne puis descendre là, insista sèchement la dame.

Le laquais eut une heureuse inspiration. Ne pouvant, comme lord Raleigh, jeter son manteau de velours sous les pieds de milady, il avisa dans un coin de la cour un tas de fougère fraîche et dit à Tomy :

— Couvrez-en le devant de votre porte.

Le jeune garçon hésitait à faire cette consommation inutile, mais le domestique lui donna l’exemple, il s’exécuta d’assez mauvaise grâce.

— Chassez ces volailles, fit encore milady.

Le cocher lança un ou deux vigoureux coup de fouet aux oies qui s’enfuirent en poussant des jacassements affolés.

La dame daigna enfin descendre et pénétra dans la pauvre chaumière.

— Ne fermez pas la porte, dit-elle, l’air est suffocant.

Jenny lui présenta le meilleur siège de l’appartement et la petite Gib vint déposer à ses pieds un escabeau.

L’étrangère se dépouilla d’une partie de ses fourrures qu’elle remit au laquais, leva son voile et il fut impossible de l’examiner.

Elle était grande, sèche, osseuse ; son visage dur, sévère ; ses cheveux d’une nuance fauve ne lui donnaient pas un abord agréable ; il y avait dans sa personne la même brusquerie que dans sa voix. Elle ne devait pas être âgée de plus de quarante ans.

— Milady, commença timidement Jenny, j’aurais voulu vous recevoir d’une manière plus digne de votre rang, mais nous ne sommes que de pauvres gens.

— Je le sais, répliqua milady, ce n’est pas pour l’apprendre que je suis venue ici.

Le début était peu encourageant.

Podgey et sa famille gardèrent le silence.

— Je suis lady Walwich, reprit l’étrangère.

Le paddy s’inclina profondément devant sa visiteuse qui était, il le savait maintenant, une des plus riches propriétaires du pays ; elle habitait à six milles de là un superbe château.

— Willy Podgey, dit-elle, j’ai entendu vanter votre probité, votre conduite et la bonne tenue de votre famille. Approchez, enfants, je veux vous voir.

L’étrangère fit signe à Willy de les lui présenter. Le paddy ne comprenait pas pourquoi la grande dame lui faisait tant d’honneur, cependant il dit en désignant Tomy :

— Milady, voici mon fils aîné.

— Un beau garçon, répondit-elle avec autant de grâce que si elle lui eût appliqué une injure. Et les autres, voyons, dépêchons-nous.

— Milady, mon second fils George, puis William.

— Ils paraissent tous bien portants, vos quatre derniers enfants sont des filles ?

— Oui, milady.

— Certainement le prochain sera un garçon, c’est de celui-là que je veux vous parler.

— On ne sait pas si ce sera un garçon, ne put s’empêcher de remarquer Jenny.

— Je vous dis que si, mistress Podgey, je n’aime point qu’on me contredise. James, fermez la porte, le vent est glacial. Je disais donc que le garçon que vous attendez naîtra sous une heureuse étoile.

— Je ne crois pas, murmura l’incorrigible Jenny.

— Quand je dis une chose c’est que cela est, mistress Podgey. Je ne supporte pas qu’on mette en doute mes paroles. James, avez-vous juré de me faire étouffer en tenant la porte si hermétiquement fermée !

Après avoir exprimé son mécontentement, milady reprit :

— J’avais un enfant que j’ai perdu, un fils, l’héritier de mon nom et de ma fortune, je ne puis envisager la pensée que tout mon bien ira à mon petit-neveu, le fils d’une femme que je hais de toute mon âme ; je veux donner à ma fortune un héritier et à ma solitude la compagnie jeune et agréable d’un enfant. J’ai donc pensé à adopter votre fils.

— On ne sait pas… commença Jenny.

La grande dame fronçait ses sourcils impérieux.

— Vous êtes bien bonne, milady, fit Podgey interrompant à temps sa femme ; nous vous remercions d’un honneur si grand pour nous.

— Il ne s’agit pas de cela, Willy Podgey, chacun cherche son intérêt en ce monde, vous ne me devez aucune reconnaissance. J’ai entendu dire : la famille Podgey est la plus belle du pays, les enfants sont sains, bien portants et intelligents.

— Ça c’est vrai.

— Je n’ai pas besoin que vous confirmiez mes paroles, je n’aime point qu’on m’interrompe.

— Que milady me pardonne.

— Cela suffit, ces propos inutiles me fatiguent ; je cherche un héritier, si vous avez un garçon, je l’adopte. Je l’appellerai Édouard comme le fils que j’ai perdu, il sera riche et heureux.

— Ah ! milady, fit Jenny toute joyeuse à la pensée de devenir la mère d’un grand seigneur, que le ciel vous bénisse.

— Bien, bien, je n’aime pas les remerciements, interrompit la dame. De ce jour je me charge de la famille de mon Édouard, rien ne vous manquera, je ferai une situation à chacun de vos enfants et vous, Willy, je vous confierai l’exploitation d’une ferme importante sur mon domaine. Quand fini votre bail ?

— Hélas ! milady, dans quinze jours on nous expulsera, j’ai deux termes en retard et je ne puis payer.

Et le paddy raconta la scène que nous connaissons.

— Le bailli de votre maître fait son devoir, je chasserais le mien s’il agissait autrement. Si on se laissait apitoyer par les lamentations de ses tenanciers, on n’en finirait pas, tous les revenus iraient au diable !… Demain on vous remettra de ma part de quoi payer vos deux termes, car le landlord est dans son droit, il aurait raison de vous faire expulser.

Jenny vint en versant des larmes de joie tomber aux pieds de lady Walwich.

— Relevez-vous, ma brave femme, je ne puis souffrir ces scènes de sensibilité.

— Milady, je veux vous remercier de tant de générosité.

— Je vous répète que vous ne me devez rien. Calmez-vous et soyez sans inquiétude, je ne veux pas que mon Édouard naisse au milieu de préoccupations fâcheuses.

Milady jeta un regard sur la pièce pauvre et délabrée, elle se leva avec la brusquerie qui la caractérisait.

— C’est bien, dit-elle, je reviendrai. James, mes fourrures.

Le laquais posa sur les épaules de sa maîtresse le chaud vêtement ; milady sortit sans répondre aux témoignages de respect et de reconnaissance des pauvres gens.

— Willy, c’est un grand bonheur ! dit la mère du futur Édouard.

— Oui, c’est un grand bonheur ! répéta son mari qui ne pouvait croire à la réalité de ce qui venait de se passer. Les enfants suivaient des yeux l’élégante calèche et les laquais galonnés.

— Mère, dit Susy, notre petit frère aura une belle voiture comme cela ?

— Oui, ma chérie.

— Il sera très riche, reprit Georgy.

— Et nous le serons aussi, ajouta Tomy.

— Nous ne manquerons plus de pommes de terre, dit la petite Mary.

— Nous aurons des choses bien meilleures, répartit William.

— Quoi donc, du pain blanc ? fit l’enfant qui en avait vu, mais n’en avait jamais goûté.

— Fi, petite sotte, tout ce que mangent les riches.

Le lendemain matin, deux domestiques de milady se présentèrent ; l’un d’eux remit à Willy une bourse.

Le paddy l’ouvrit avidement.

— Tiens, femme, dit-il, ramasse cela soigneusement.

Jenny obéit, non sans avoir examiné le contenu de la bourse. En plus de la somme du fermage, il y avait l’argent nécessaire pour vivre jusqu’à l’arrivée du bienheureux héritier.

La brave femme joignit les mains avec extase en murmurant :

— Le ciel nous bénit dans cet enfant, il sera notre gloire et notre fortune.

— Ah çà, mon garçon, disait un des valets à Tomy, il faut employer tes bras à quelque chose pour le service de milady.

— De grand cœur, que faut-il faire ? demanda le jeune homme.

— Tâche de nettoyer comme il faut cette cour, on portera le sable nécessaire ; milady ne peut descendre ici.

— Soyez sûr que nous ne négligerons rien pour la recevoir de notre mieux, répliqua Podgey.

En effet, il travailla toute la journée avec son fils, le soir on n’eût pas reconnu la chaumière de Willy avec sa cour bien sablée, d’où la volaille avait été exclue ; la porte, les fenêtres étaient soigneusement lavées ; à l’intérieur Jenny et ses enfants avaient aussi frotté et essuyé ; les murs et le sol étaient d’une propreté parfaite et les vieux meubles vermoulus faisaient aussi bonne contenance que possible.

Milady vint quelques jours après.

— C’est bien, dit-elle en voyant tout si propre, vous avez fait de votre mieux, je ferai le reste.

Elle entra dans la chaumière accompagnée d’un homme à qui elle donnait des ordres. D’un regard rapide, la grande dame examina le pauvre logis.

— Je ne veux pas que mon héritier vienne au monde dans une étable, dit-elle. Denis, vous m’entendez ?

— Oui, milady.

— Vous ferez remplacer ces vieux meubles brisés par d’autres, simples mais solides.

— Bien, milady.

— Vous ferez blanchir et réparer cette pièce, mettre des rideaux aux lits et aux fenêtres.

— Oui, milady.

— Vous porterez de la batterie de cuisine, de la vaisselle, en un mot tout ce qui est nécessaire, sans oublier du linge et des provisions.

— Milady, vous serez obéie ponctuellement.

— C’est bien, je viendrai m’en assurer.

Sans s’occuper autrement des habitants de la chaumière, milady repartit.

La famille de Willy Podgey se crut l’objet d’un rêve le jour où des ouvriers, sous la direction du bailli de lady Walwich, arrivèrent, blanchirent les murailles, remplacèrent les vitres brisées qui donnaient passage au vent et à la pluie, et portèrent de beaux et solides meubles de chêne. Les enfants poussaient des cris de joie, Jenny admirait tout, Willy riait béatement ; il leur semblait qu’une baguette de fée transformait tout à coup leur misère en une position fortunée. Le bonheur est relatif, ces braves gens étaient aussi heureux dans une modeste chaumière que milady dans sa somptueuse demeure.

—, Il me semble que je rêve, disait Tomy.

— Pourvu que tout cela ne s’évanouisse pas, ajouta le père.

— C’est le petit frère qui nous vaut ce bonheur, reprit Susy.

Les enfants adoraient déjà le petit frère qui leur promettait tant de prospérité.

— Et si nous avons une sœur ? dit Tomy, qui se laissait moins aller à l’enthousiasme.

— Tais-toi, fit la mère, tu es un oiseau de mauvais augure ; j’ai l’idée, moi, que ce sera un garçon.

Pendant quinze jours la joie régna dans la pauvre chaumière, les plus doux songes hantaient toutes les têtes.

Le fermier avait payé son terme entier au bailli qui, surpris et satisfait, lui dit en se frottant les mains :

— Vous le voyez, mon cher Willy, j’ai eu raison de vous presser un peu. Rien de tel que de tenir ferme, vous êtes en règle maintenant tandis que dans six mois vous auriez eu une année en retard.

Le paddy leva légèrement les épaules, mais il était si heureux qu’il se souciait peu des observations du bailli. Dans les premiers jours de décembre, par une froide journée d’hiver, William, suivant les ordres de milady, courait au château pour lui communiquer la nouvelle attendue.

Malgré le temps rigoureux et la nuit qui approchait, lady Walwich ordonna d’atteler et partit pour la chaumière de Willy Podgey ; sa joie était extrême, mais elle n’en communiqua rien au jeune garçon.

Un grand mouvement régnait dans le cottage.

Milady descendit de voiture. Willy ne vint pas au devant d’elle, Tomy pleurait sur la porte.

— Que se passe-t-il donc ? demanda lady Walwich.

Le jeune homme leva la tête.

— Comment cela va-t-il ? reprit la dame.

— Bien, milady.

— Et votre frère, mon Édouard.

Tomy ne répondit pas.

Milady, inquiète, pénétra dans l’intérieur de la chaumière. Willy, sombre et triste, se tenait près du foyer ; un joli baby blanc et rose reposait dans l’élégant berceau.

— Édouard ! le voilà ! s’écria-t-elle.

— Milady, reprit le médecin qui connaissait les espérances de la grande dame, milady…

— Eh bien, que signifie toutes ces figures moroses ?

— Milady, c’est une fille.

— Une fille !…

Et sans même jeter un regard sur l’innocente créature qui brisait tant de beaux rêves, milady s’élança vers la porte et on ne la revit plus.

Ainsi s’évanouit pour la pauvre famille l’avenir de fortune et de bonheur un instant caressé ; l’enfant fut appelée Ketty, et il n’y eut que des larmes autour de son berceau et l’adoration réservée au futur Édouard se changea en dépit haineux contre l’infortunée petite Ketty.