De la vie heureuse (juxtalinéaire) - 3

Traduction par Joseph Baillard.
librairie Hachette (p. 10-14).
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III. Je veux un bonheur qui ne soit pas pour les yeux ; je le veux substantiel, partout identique à lui-même, et que la partie la plus cachée en soit la plus belle ; voilà le trésor à exhumer. Il n’est pas loin : on peut le trouver : il ne faut que savoir où porter la main. Mais nous passons à côté, comme dans les ténèbres, nous heurtant même contre l’objet désiré. Pour ne pas te traîner par des circuits sans fin, j’omettrai les doctrines étrangères qu’il serait trop long d’énumérer et de combattre. Voici la nôtre, à nous ; et quand je dis la nôtre, ce n’est pas que je m’enchaîne à un chef quelconque de l’école stoïcienne : j’ai droit aussi de parler pour mon compte. Ainsi je serai de l’opinion de tel, j’exigerai que tel autre divise la sienne : et peut-être, appelé moi-même le dernier, sans improuver en rien les préopinants, je dirai : « Voici ce que j’ajoute à leur avis. » Du reste, d’après le grand principe de tous les stoïciens, c’est la nature que je prétends suivre ; ne pas s’en écarter, se former sur sa loi et sur son exemple, voilà la sagesse. La vie heureuse est donc une vie conforme à la nature ; mais nul ne saurait l’obtenir, s’il n’a préalablement l’âme saine et en possession constante de son état sain ; si cette âme n’est énergique et ardente, belle de ses mérites, patiente, propre à toute circonstance, prenant soin du corps et de ce qui le concerne, sans anxiété toutefois, ne négligeant pas les choses qui font le matériel de la vie, sans s’éblouir d’aucune, et usant des dons de la fortune, sans en être l’esclave. On comprend, quand je ne le dirais pas, que l’homme devient à jamais tranquille et libre, quand il s’est affranchi de tout ce qui nous irrite ou nous terrifie. Car au lieu des voluptés, de ces avantages chétifs et fragiles qui flétrissent l’homme en le perdant, on trouve une satisfaction sans bornes, inébranlable, toujours égale ; alors l’âme est en paix, en harmonie avec elle-même, et réunit la grandeur à la bonté. Toute cruauté en effet vient de faiblesse.

III. Quæramus aliquid non in speciem bonum, sed solidum et æquabile, et a secretiore parte formosius ; hoc eruamus. Nec longe positum est ; invenietur ; scire tantum opus est, quo manum porrigas. Nunc velut in tenebris vicina transimus, offensantes ea ipsa, quæ desideramus. Sed ne te per circuitus traham, aliorum quidem opiniones præteribo : nam et enumerare illas longum est, et coarguere : nostram accipe. Nostram vero quum dico, non alligo me ad unum aliquem ex Stoicis proceribus : est et mihi censendi jus. Itaque aliquem sequar, aliquem jubebo sententiam dividere : fortasse et post omnes citatus, nihil improbabo ex his quæ priores decreverint, et dicam : « Hoc amplius censeo. » Interim, quod inter omnes Stoicos convenit, rerum naturæ assentior ; ab illa non deerrare, et ad illius legem exemplumque formari, sapientia est. Beata est ergo vita, conveniens naturæ suæ ; quæ non aliter contingere potest, quam si primum sana mens est, et in perpetua possessione sanitatis suæ ; deinde, si fortis ac vehemens, tum pulcherrima et patiens, apta temporibus, corporis sui pertinentiumque ad id curiosa, non anxie : tunc aliarum rerum quæ vitam instruunt, diligens, sine admiratione cujusquam : usura fortunæ muneribus, non servitura. Intelligis, etiamsi non adjiciam, sequi perpetuam tranquillitatem, libertatem, depulsis his, quæ aut irritant nos, aut territant. Nam pro voluptatibus, et pro illis quæ parva ac fragilia sunt, et in ipsis flagitiis noxia, ingens gaudium subit, inconcussum, et æquabile ; tum pax et concordia animi, et magnitudo cum mansuetudine. Omnis enim ex infirmitate feritas est.