De la vie heureuse (juxtalinéaire) - 17

Traduction par Joseph Baillard.
librairie Hachette (p. 60-62).
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XVII. Or maintenant, qu’un de ces hommes qui vont aboyant contre la philosophie me dise, selon l’usage : « Pourquoi donc ton langage est-il plus brave que la conduite ? Pourquoi baisses-tu le ton devant un supérieur ? Pourquoi regardes-tu l’argent comme un meuble qui t’est nécessaire, et te montres-tu sensible à une perte ? Et ces larmes quand on t’annonce la mort de ta femme ou d’un ami ? D’où vient que tu tiens à l’opinion, que les malins discours te blessent, que tu as une campagne plus élégante que le besoin ne l’exige, et que tes repas ne sont point selon tes préceptes ? À quoi bon ce brillant mobilier, cette table où tu fais boire des vins plus âgés que toi, cette terre bien disposée, ces plantations qui ne doivent produire que de l’ombre ? D’où vient que ta femme porte à ses oreilles le revenu d’une opulente famille ; que tes jeunes esclaves sont habillés d’étoffes précieuses ; que chez toi servir à table est un art ; qu’on y voit l’argenterie non placée au hasard et à volonté, mais savamment symétrisée ? Que fais-tu d’un maître en l’art de découper ? » Qu’on ajoute, si l’on veut : « Pourquoi possèdes-tu au delà des mers, et as-tu des biens que tu n’as jamais vus ? C’est une honte que d’être négligent au point de ne pas pouvoir connaître un petit nombre d’esclaves, ou fastueux au point d’en posséder un nombre tel que la mémoire est impuissante à en garder la connaissance. » J’aiderai tout à l’heure à ces reproches et m’en ferai plus que l’agresseur ne pense : ici je répondrai seulement : Je ne suis pas un sage, et pour donner pâture à ta jalousie, je ne le serai jamais. Ce que j’exige de moi, c’est d’être, sinon l’égal des plus vertueux, du moins meilleur que les méchants ; il me suffit de me défaire chaque jour de quelque vice et de gourmander mes erreurs. Je ne suis point parvenu à la santé, je n’y parviendrai même pas : ce sont des lénitifs plutôt que de vrais remèdes que j’élabore pour ma goutte, heureux si ses accès deviennent plus rares, si je sens moins ses mille aiguillons. Mais à comparer mes jambes aux vôtres, tout infirme que je suis, je suis un coureur !

XVII. Si quis itaque ex istis qui philosophiam conlatrant, quod solent, dixerit : « Quare ergo tu fortius loqueris quanm vivis ? Quare superiori verba summittis ; et pecuniam necessarium tibi instrumentum existimas, et damno moveris, et lacrimas, audita conjugis aut amici morte, demittis, et respicis famam, et malignis sermonibus tangeris ? Quare cultius rus tibi est quam naturalis usus desiderat ? cur non ad præscriptum tuum cœnas ? cur tibi nitidior supellex est ? cur apud te vinum ætate tua vetustius bibitur ? cur arvum disponitur ? cur arbores præter umbram nihil daturæ conservantur ? quare uxor tua locupletis domus censum auribus gerit ? quare pædagogium pretiosa veste succingitur ? quare ars est apud te ministrare, nec temere et ut libet, collocatur argentum, sed perite servatur, et est aliquis scindendi obsonii magister ? » Adjice, si vis : « Cur trans mare possides ? cur plura quam nosti ? turpiter aut tam negligens es, ut non noveris pauculos servos ; aut tam luxuriosus, ut plures habeas, quam quorum notitiæ memoria sufficiat. » Adjuvabo postmodum convicia, et plura mihi quam putas, objiciam ; nunc hoc respondebo tibi. Non sum sapiens, et, ut malevolentiam tuam pascam, nec ero. Exigo itaque a me, non ut optimis par sim, sed ut malis melior ; hoc mihi satis est, quotidie aliquid ex vitiis meis demere, et errores meos objurgare. Non perveni ad sanitatem, ne perveniam quidem : delinimenta magis quam remedia podagræ meæ compono, contentus si rarius accedit, et si minus verminatur. Vestris quidem pedibus comparatus, debilis cursor sum.