De la situation actuelle dans ses rapports avec les subsistances et la banque de France/01

De la situation actuelle dans ses rapports avec les subsistances et la banque de France
Revue des Deux Mondes, période initialetome 17 (p. 397-429).
II  ►

DE LA SITUATION ACTUELLE


DANS SES RAPPORTS AVEC


LES SUBSISTANCES


ET


LA BANQUE DE FRANCE.




Au milieu de circonstances favorables, tout est facile ; des lois réglementaires médiocres se prêtent suffisamment au jeu des forces sociales ; toute institution passablement organisée fonctionne avec une régularité satisfaisante, et ceux qui la dirigent ont la tentation de la croire une perfection : tel administrateur dont l’intelligence ne dépasse pas le niveau commun peut attribuer la prospérité publique à sa participation aux affaires de la patrie, et voit en rêve la postérité lui dressant des statues ; mais, quand les circonstances deviennent laborieuses, les lois, les institutions publiques et les hommes sont soumis à une épreuve décisive, et le moment est venu de les juger.

Je laisse de côté ce qui concerne les hommes ; c’est sur notre législation des céréales et sur le mécanisme de la Banque de France que je présenterai quelques observations. On a beaucoup vanté l’agencement de la loi qui règle l’entrée et la sortie des grains, et la constitution de la Banque de France a été signalée comme le dernier mot du crédit. Cependant, la situation étant devenue difficile, nous voyons que la législation des céréales est reconnue impuissante d’une voix unanime. Au moment où ces lignes paraîtront, elle aura déjà été frappée d’abrogation à l’unanimité, temporairement ou non, ce n’est pas ce qui importe le plus. La Banque de France, de même, est en proie à l’inquiétude. Elle cherche des expédiens, et certainement elle en trouvera, car elle ne s’est pas commise ; elle est nantie d’un bon portefeuille ; elle a bonne renommée et ceinture dorée. Pourtant un fait est constaté de son aveu : dès qu’il survient quelque embarras extraordinaire, une de ces crises pour lesquelles sont faites les grandes institutions conservatrices de l’intérêt public, son mécanisme cesse de bien fonctionner, et elle est aux abois.

Il faut savoir le dire, c’est que notre législation des céréales n’est pas bonne : elle n’est pas établie sur les seules bases qui soient solides. La Banque, dont autant que personne je proclamerais les titres s’ils étaient contestés, laisse de même beaucoup à désirer ; elle n’est plus à la hauteur des principes et de la pratique du crédit. De ce qui se passe il faut tirer la conclusion que si nous sommes sages, si nous avons des yeux pour voir, nous referons la loi des céréales et nous modifierons le système de notre grande Banque, afin qu’elle ait une action plus conforme à l’état présent des idées sur la matière et aux enseignemens qu’a fournis l’expérience.


I. – CARACTERE VERITABLE DE LA SITUATION.

Avant tout, il convient de bien fixer un point essentiel : il n’y a rien de bien menaçant dans la situation. Je tiens à l’établir, non point par manière de précaution oratoire, ou simplement pour éviter d’être accusé de semer l’alarme ; je le dis parce que c’est ma conviction motivée.

Pour ce qui est des subsistances, la crainte d’en manquer serait sans fondement. La récolte a été faible, le fait est trop évident, et même ce n’est pas le blé seul qui a manqué. Les légumes secs sont chers, ce qui en atteste la rareté, et les pommes de terre sont restées atteintes de cette maladie qui est un désespoir pour les naturalistes presque autant que pour les hommes d’état ; mais la récolte du maïs a été abondante, précieuse compensation pour le sud-ouest, et les châtaignes, dont on sait que vit une bonne partie de la population dans les départemens du centre, ont beaucoup donné. En somme, un fort supplément d’approvisionnement nous était et nous est encore nécessaire, et c’est naturellement aux grains qu’il faut surtout le demander, car les autres alimens du règne végétal, tels que seraient des légumes secs, des châtaignes et des pommes de terre, ou ne sont pas produits à l’extérieur de manière à y offrir une grande surabondance, ou sont plus malaisés à conserver sains pendant un trajet de quelque étendue, ou justifient moins par leur valeur vénale et par leur puissance nutritive les frais de transport. Il est même digne d’attention que, cette fois, la masse de céréales à importer dépassera tout ce qui s’était jamais vu. Ainsi, l’importation de 1846 excède celle de 1818, qui fut de 2,650,000 hectolitres, celle de 1832, qui monta à 4,500,000. Elle s’est élevée à 5,658,000. Si cependant on fait courir l’année du 1er juillet, afin d’avoir une période qui réponde à la moisson même, l’importation jusqu’au 1er janvier a été de 2 millions et demi d’hectolitres seulement. Quelques personnes disent que pour l’année entière, de juillet à juillet, nous irons, à 10 millions d’hectolitres de blé ; j’espère que non. L’Angleterre, et en général l’Europe occidentale, éprouve la même pénurie que nous. En Irlande, c’est même une famine par le manque de pommes de terre, dont ce peuple malheureux vit presque exclusivement. La récolte des pommes de terre en Irlande est réduite au quart, et au 1er janvier la Grande-Bretagne avait déjà importé 14 millions d’hectolitres de blé : c’est quatre à cinq fois l’importation ordinaire ; mais aussi les trois greniers de la civilisation moderne sont abondamment pourvus. Les récoltes de la Baltique ont été bonnes ; celles de la Russie méridionale et des États-Unis, jointes à leurs réserves, représentent une très grande masse disponible. Il ne faut pas un grand effort à ces trois contrées, lorsqu’elles n’ont pas été frappées des mêmes rigueurs de la nature, pour remplacer le déficit que peut éprouver l’Europe occidentale. Ce n’est même qu’un jeu pour elles lorsqu’elles sont en bonne année ; car, en supposant que l’Europe occidentale ait besoin de 40 millions d’hectolitres, et cette évaluation est énorme, le commerce, pour peu qu’il fût averti d’avance, qu’il pût expédier les ordres et concerter ses opérations, et qu’il eût la latitude de remplacer une bonne partie du blé par l’équivalent en autres céréales, trouverait la masse entière dans l’Amérique seule. La production de ce pays est en effet extraordinaire, moins en froment cependant qu’en autres grains. Pour le froment, les États-Unis excèdent à peine la moitié de la production de la France, qui est de 75 millions d’hectolitres, mais leur récolte en grains de toute sorte est prodigieuse. Pour une population qui ne dépasse pas 20 millions en ce moment, ils ont 300 millions d’hectolitres. L’empire d’Autriche, avec 37 millions d’habitans, ne va qu’à 220 millions d’hectolitres, et nous, avec nos 35 millions de bouches, nous nous tirons d’affaire avec moins de 200. Encore faut-il dire que la consommation moyenne de viande aux États-Unis est triple ou quadruple de ce qu’elle est en France ou en Autriche. L’Amérique du Nord a donc un très grand surplus, mais c’est particulièrement du maïs, dont l’Autriche ne récolte que 20 millions d’hectolitres, et la France moins de 10. Les États-Unis en font 200 millions, et cette année, par une faveur dont on doit bénir la Providence, a été chez eux une vache grasse, particulièrement pour cette denrée. Jusqu’à ces derniers temps, ils exportaient plus de blé que de maïs. Ils n’expédiaient au dehors cette graine indigène qu’après l’avoir convertie en chair et en graisse. Les états de l’ouest, avec leur maïs, élèvent des porcs en nombre infini, les tuent dans des abattoirs vastes comme des villes, les couvrent de sel qui ne leur coûte rien, et les distribuent, en barils de viande salée, de lard et de saindoux, dans le monde entier ; mais, du moment qu’on leur offre un bon prix du grain, ils préfèrent le vendre en nature. C’est ainsi que le commerce de maïs a acquis maintenant de larges proportions à la Nouvelle-Orléans. L’Angleterre, depuis la nouvelle loi des céréales, en reçoit de grandes quantités. En ce moment même, le maïs à Liverpool est à 70 shillings le quarter (30 fr. l’hectolitre), pendant que la cote du blé est de 82 shillings (36 francs l’hectolitre). Le maïs est une nourriture agréable, moins substantielle que le blé cependant, et le prix qu’il a actuellement à Liverpool est exagéré relativement à celui du blé.

Comme entre l’Amérique et l’Europe les trajets par les paquebots à vapeur ne sont plus que de quinze jours, ce qui en suppose vingt-cinq jusqu’à la Nouvelle-Orléans, comme les navires à voiles sur lesquels on chargerait des grains ou des farines font le trajet dans une moyenne d’un mois à cinq semaines, les grains américains peuvent être en Europe deux mois environ après le départ de la commande. Ainsi, pour peu que le commerce ait été averti et que la saison ne s’y oppose pas, il est facile de tirer du Nouveau-Monde de vastes approvisionnemens en temps opportun.

Il ne faut cependant pas se bercer de l’espérance d’un bon marché extrême de ce côté. Le blé et les barils de farine qu’on trouve à acheter à New-York viennent de loin. Ce sont des produits de l’ouest, terre promise du cultivateur libre, Eldorado du paysan européen qui, muni d’un petit capital, veut se faire un beau patrimoine par son travail. Les denrées de l’ouest ont fait de 1,000 à 1,500 kilomètres avant d’être au port d’embarquement, et en majeure partie sur des canaux où les états perçoivent un péage plus élevé qu’on ne pourrait le croire[1]. Il en résulte qu’en temps ordinaire le blé de l’ouest ne pourrait guère être rendu dans nos ports à moins de 20 francs l’hectolitre. Rendus à Marseille, les blés d’Odessa coûtent moins communément ; je ne parle pas de cette année, où, dans la mer Noire comme en Amérique, des demandes multipliées, imprévues, précipitées, ont donné à la hausse une impulsion extraordinaire. Nous nous estimerions mille fois heureux en ce moment de voir dans l’intérieur les blés tenus partout sous la limite de 25 fr., qui correspond à cette cote dans nos ports. Malheureusement la spéculation commerciale aura et a déjà eu pour résultat de faire monter les blés, cette année, fort au-dessus des prix habituels en Amérique de même qu’à Odessa, surtout aidée qu’elle est, comme on le verra tout à l’heure, sur l’autre rivage de l’Atlantique par des circonstances de climat qui pendant un certain intervalle encore restreindront l’offre, tandis que la demande ira croissant. Quant au maïs, il fait bien du chemin pour atteindre les quais de la Nouvelle-Orléans, mais il s’y rend en descendant le cours incomparable de l’Ohio et du Mississipi, et ces chemins qui marchent et portent où l’on veut aller ne sont soumis à aucun péage. Ordinairement donc le maïs est à vil prix dans cette métropole. Je me souviens d’y avoir entendu dire que les petits coquillages dont on se sert, faute de pierres, pour charger un tronçon de route de quelques kilomètres entre la Nouvelle-Orléans et le lac Pontchartrain, et qu’on vend au boisseau, étaient quelquefois plus chers que le maïs.

Pour la célérité des approvisionnemens, l’Amérique du Nord a cet avantage que les ports n’y gèlent pas. On n’y est pas exposé à voir des navires, comme en ce moment à Odessa, captifs au milieu des glaces et attendant le dégel pour faire voile vers l’Europe, qui les appelle avec impatience. Cependant l’influence de l’hiver s’y fait sentir sous une autre forme et s’y maintient plus long-temps. Ce n’est pas comme dans l’intérieur de la Russie, où les charrois ne sont possibles avec économie qu’en traîneaux, sur les neiges qu’amoncèle l’hiver, mais où alors le traînage est à un bas prix qu’égalent rarement les tarifs les plus réduits des chemins de fer de l’Europe occidentale. L’Amérique au contraire écoule ses denrées au moyen de canaux qu’elle a multipliés et que les chemins de fer, tels qu’ils sont en Amérique du moins, ne pourraient suppléer ; mais ces canaux sont régulièrement gelés tous les hivers. New-York et la Nouvelle-Orléans sont les deux ports par où se répandent sur le marché général du monde la plupart des produits de l’agriculture américaine. Pour atteindre le fleuve Hudson, sur lequel New-York est assise, ou le Mississipi, dont la Nouvelle-Orléans commande l’embouchure, les grains et les autres denrées ont à suivre divers canaux ou différens fleuves, pour New-York, par exemple, le canal d’Ohio, le lac Érié, le canal Érié et le fleuve Hudson. Malheureusement sur ces canaux tout transport est suspendu de la mi-décembre au milieu d’avril, et les fleuves eux-mêmes sont fermés. Ainsi, à Albany, où le canal Érié débouche dans l’Hudson, le fleuve est gelé en moyenne pendant trois mois[2], et la glace massive en envahit la surface quelquefois jusqu’aux portes de New-York, tant sous la latitude de Naples les hivers ont d’âpreté dans le Nouveau-Monde. Ce n’est donc que tout à la fin d’avril ou au commencement de mai que les grands approvisionnemens seront réunis dans les ports d’embarquement sur l’Atlantique, et par conséquent ce n’est qu’à la fin de mai ou au commencement de juin que nous recevrons d’Amérique les grands renforts. Jusque-là, les envois de l’Amérique se réduiront à ce qui pourra être expédié aux ports américains par les chemins de fer. C’est ainsi que, sur la première réquisition, il viendra quelque chose des environs de New-York, un peu plus de Boston, qui est rattaché par un chemin de fer non-seulement à Albany, mais au lac Érié lui-même, et une certaine quantité de Baltimore et de Philadelphie, d’où divers chemins de fer rayonnent dans différens sens et atteignent des quartiers à céréales, tels que le comté de Lancaster en Pensylvanie et la vallée de Virginie. La Nouvelle-Orléans, dont la position est plus méridionale, reçoit, par les affluens du bas de la vallée du Mississipi, des approvisionnemens presque sans relâche. L’Europe, par conséquent, pourra en tirer du maïs à peu près immédiatement en quantité indéfinie.

En résumé, le marché général est assez bien pourvu pour que l’Europe, et la France en particulier, ne courent aucun péril de disette. Les communications intérieures au sein de notre patrie sont en assez bon état désormais pour que, une fois au port, les subsistances étrangères se répandent partout rapidement et sans grands frais. Il eût été mieux que, dès le mois de septembre, toute latitude eût été donnée au commerce, toute barrière abaissée. La franchise du commerce des grains, que les chambres viennent de voter, établie quatre mois plus tôt, aurait été suivie de grands arrivages. Les Américains, qui ne soupçonnaient pas que nous aurions besoin de leur récolte, se seraient hâtés de battre leur moisson, de la moudre, de l’embarquer sur leurs canaux ; aucun autre peuple n’est expéditif au même degré, quand son intérêt l’y pousse. Nous aurions maintenant nos ports remplis de navires chargés de grains ou de farines presque autant qu’il en faut pour compléter nos provisions jusqu’à la prochaine récolte ; les prix auraient haussé, mais graduellement, et ils se seraient arrêtés à un moindre niveau. Les populations, qui s’émeuvent facilement sur la question des subsistances, n’auraient pas ressenti l’effroi que leur a inspiré l’élévation brusque et accélérée des mercuriales. L’ordre, qui est la plus sûre garantie contre la famine, n’aurait point été troublé. Les retards cependant ne paraissent pas devoir être autrement dommageables, en ce sens qu’avec ce qui a été importé déjà, nous sommes parfaitement en position d’attendre les envois. Ceux de la mer Noire désormais ne peuvent être retenus long-temps. On doit aussi le dire à la décharge de l’administration, tout le monde a été trompé sur les ressources de l’intérieur. La récolte sur pied était de la meilleure apparence ; ce n’est qu’au battage qu’on a reconnu combien elle était médiocre. Ensuite les gouvernemens, eu égard à l’humeur altière et au crédit des patrons du système protecteur, ne se résolvent qu’à la dernière extrémité à s’écarter des voies protectionnistes. La suspension de la loi des céréales par ordonnance dès le mois de septembre eût excité des clameurs qu’on n’ose pas toujours braver, quand on a à compter avec une majorité. A l’endroit de la majorité, de ses exigences éclairées ou non, de ses préjugés même, l’héroïsme est rare de nos jours parmi les hommes d’état. Si nos ministres ont été timides, lord John Russell a été poltron. En présence de tous les maux qu’éprouve l’Irlande, il n’a pas osé prendre sur lui d’autoriser l’entrée des blés étrangers sous tout pavillon et sans distinction de provenance, après même que d’ici lui en fut venu l’exemple.

La situation du marché général étant telle que les grains ne peuvent manquer, mais que le prix doit en être de moitié plus haut que dans les temps ordinaires et sur quelques points du double, et d’autres alimens du règne végétal qui nous font faute devant être remplacés par le blé, qui est plus cher à égalité de puissance alimentaire, nous sommes à l’abri des calamités de la famine, mais non de beaucoup de souffrances. La vie est renchérie, il faut que les populations soient mises, autant qu’il se pourra, en mesure de supporter ce surcroît de dépenses. Les pouvoirs de l’état doivent, par l’étendue de leur prévoyance, se montrer à la hauteur de leur mission. L’effet naturel d’une brusque cherté du pain a toujours été de restreindre le travail. De bonnes explications en sont données par la science économique, je ne les répéterai pas ; je me borne à prendre acte du fait. Le gouvernement est tenu de lutter par des moyens énergiques contre cette tendance du travail à se resserrer. Le travail, qui, bien ordonné, fait la richesse des états, est le patrimoine du pauvre. Tuteur des faibles, le gouvernement doit veiller à ce que ce patrimoine soit sans cesse renouvelé, sans cesse fécondé. En présence d’une cause extraordinaire de misère, il n’y a qu’un remède, le travail extraordinaire. Pendant les sessions dernières, on s’est plaint de ce que nous entreprenions trop à la fois. Grace à Dieu, la plainte n’a pas été écoutée, et les chambres ont persévéré dans leurs votes de travaux publics. Le gouvernement, de son côté, s’est hâté cet hiver d’ouvrir les chantiers. C’est ainsi que les populations pauvres pourront honorablement gagner les moyens d’existence qui leur manquent d’autre part. Le problème à résoudre était de multiplier les ateliers le plus possible. Les chemins de fer et les canaux, ou même les rectifications de routes royales, ne s’étendent pas à toutes les localités indistinctement ; il y avait donc à généraliser davantage le débouché offert aux bras inoccupés, à la population nécessiteuse. C’est à quoi le ministre de l’intérieur a pourvu en donnant une impulsion nouvelle aux travaux d’utilité communale. Un crédit extraordinaire de 4 millions a été ouvert à cet effet : les communes devront faire les trois quarts de la dépense ; l’état couvrira l’autre quart. On conçoit que ce n’est qu’un premier essai. Le ministre, justement économe des deniers de l’état, a restreint le crédit et a demandé une forte coopération aux communes. Actuellement que les chambres sont assemblées, rien ne sera plus facile, autant que le besoin en sera constaté, que de grossir la somme, d’en varier l’emploi et d’accommoder de plus de variété les conditions du concours de l’état. L’administration pourra être autorisée à porter son concours financier au tiers ou même à la moitié dans certains cas spécifiés. Il conviendrait aussi que l’état, indépendamment du don gratuit, fît, dans d’autres cas, des avances dans lesquelles il rentrerait plus tard.

Il ne faut pas non plus que les particuliers se croient quittes, dans les temps de souffrance publique, parce que le gouvernement aura consacré quelques millions à multiplier et à agrandir les chantiers de terrassement. C’est le cas de répéter le mot d’ordre de Nelson au moment d’une bataille fameuse. Quand les temps sont durs pour la masse de la population, chacun a un devoir à remplir, et la patrie attend que chacun fasse son devoir. La charité privée déploiera donc aussi toute sa sollicitude, toute son activité, toute son intelligence. Je ne veux pas parler seulement des aumônes que distribue la charité individuelle, ni même de ces travaux que quelques riches propriétaires font exécuter dans leurs domaines. La ville de Lyon a donné, en 1837, un exemple qu’en ce moment on ne saurait trop recommander, et la commission de prévoyance de cette ville, spontanément organisée alors par les notables, est un modèle sur lequel maintenant on doit fixer les yeux partout où des populations agglomérées manqueraient de travail. C’est un sujet qui a assez d’à-propos pour que je ne me borne pas à le mentionner et pour que j’entre dans quelques détails.

Il y a peu d’années, en 1837, se manifesta en Amérique la crise financière dont l’Union n’est pas encore complètement dégagée ; par le contrecoup, vingt mille ouvriers lyonnais se trouvèrent sur le pavé. Dans cette situation pénible, la commission de prévoyance se forma sous les auspices de l’autorité. Elle commença par ouvrir dans la ville une souscription qui produisit environ 55,000 francs. M. le duc d’Orléans, qu’affligeait la détresse de la seconde ville du royaume, fit don d’une somme de 50,000 francs. A Paris, on s’en était pareillement ému : un concert qu’on y donna rapporta près de 20,000 fr. C’était en tout 126,610 fr. pour parer à une perte de salaire qu’on évaluait à 2 millions par mois. Après avoir délivré des feuilles de route aux ouvriers qui n’étaient pas domiciliés à Lyon et qui appartenaient à des départemens un peu éloignés, après en avoir casé quelques-uns dans les villes voisines, et déduction faite de ceux qui, ayant des économies, étaient en état d’attendre, il restait encore environ six mille ouvriers sans ouvrage, et par conséquent sans pain. Ne leur eût-on donné que 20 sous par jour, ce qui eût été une maigre pitance, la dépense quotidienne serait montée à 6,000 fr. Tout ce que possédait la commission eût été absorbé en quatre semaines, et la crise a duré environ huit mois. La commission, à titre d’entrepreneur ordinaire, prit en adjudication, de la ville, de l’administration militaire, des ponts-et-chaussées, la construction d’un entrepôt, d’un abattoir, d’une route, d’un cimetière, de plusieurs forts et d’une digue, ouvrages qu’il eût fallu exécuter dans tous les cas. Ce fut la planche de salut des malheureux ouvriers. On ouvrit successivement des ateliers sur divers points où ils vinrent en foule. Un minimum de salaire de 30 sous par jour fut assigné à chacun : mais, pour déterminer les travailleurs à bien faire, on s’engagea à leur donner davantage toutes les fois qu’ils produiraient au-delà d’une tâche déterminée. Tout ouvrier faisant un supplément de besogne pouvait gagner jusqu’à 3 francs par jour, ce qui, dans un temps de détresse, pouvait presque passer pour de la prodigalité. On prit d’ailleurs les mesures les plus strictes pour que chaque ouvrier reçût le prix de sa journée exactement. On plaça les hommes mariés ou vivant en famille dans les ateliers les plus rapprochés de la ville, afin que le salaire pût être dépensé dans le ménage, et on organisa, pour les ouvriers des ateliers les plus éloignés, des cantines où les vivres étaient livrés à prix coûtant. Tout ce que la vigilance la plus attentive peut imaginer pour adoucir une situation cruelle fut mis à exécution. Les ouvriers purent se convaincre de la justice, de l’impartialité, de la sympathie de ceux qui les commandaient. Le préfet, M. Rivet, déploya en cette occasion un zèle infatigable. Un des membres de la commission, qui en fut l’ame, M. Monmartin, ancien officier du génie, paya de sa personne, durant cette longue crise, avec un dévouement et un désintéressement sans bornes. Ce fut lui qui organisa et qui dirigea les travaux. Il allait chaque jour parcourant les ateliers, encourageant les travailleurs, les animant par ses exhortations et ses avis, paternels, leur faisant aimer l’ordre par son équité et sa bienveillance en même temps qu’il le leur faisait respecter par sa fermeté. Son dévouement et son activité électrisèrent si bien ces braves gens, qu’ils mirent une sorte de point d’honneur à se bien acquitter de leur tâche et qu’il y apportèrent de l’ardeur. Les travaux s’exécutèrent bien et promptement. 5 à 6,000 ouvriers vécurent de la sorte pendant près de huit mois. Il faut dire cependant qu’il n’y a jamais eu plus de 1,600 ouvriers à la fois présens dans les ateliers. La commission n’eut à débourser que 55,000 francs, déduction faite de ce qu’elle reçut pour travaux faits. En outre, les fonds de la commission servirent à d’autres usages ; notamment 10,000 francs furent remis à une caisse particulière qui faisait des avances aux ouvriers sur leurs métiers, sans en demander le dépôt, et 5,000 fr. au mont-de-piété. La commission, après la crise, avait encore en caisse près de 50,000 francs qui lui ont servi dans une nouvelle période malheureuse, en 1840.

Telle est donc notre situation à l’égard des subsistances : le marché est et continuera d’être convenablement approvisionné jusqu’à la récolte ; le travail est garanti aux populations, afin qu’elles aient un salaire à troquer contre des subsistances, sans que ce soit une perte pour la société, puisqu’on applique les bras à des œuvres utiles, et que le salaire aura ainsi sa juste compensation. Si donc la raison publique reste ferme, si l’émeute ne vient pas créer une famine factice par la terreur, il n’y a aucun danger.

A l’égard de la Banque, le fond de la situation est encore plus rassurant. Les écarts de l’imagination populaire ne peuvent sur ce terrain faire aucun mal ; on n’y rencontre pas de difficulté intrinsèque semblable à celle qui résulte d’une mauvaise récolte.

La Banque était accoutumée d’avoir une quantité de numéraire tout-à-fait exubérante. Tous ceux qui ont quelque connaissance des conditions d’existence des institutions de crédit étaient frappés de l’abondance des écus dans ses caves. C’était, à peu de chose près, une somme égale à celle des billets en circulation. On remontrait à la Banque qu’ainsi son privilège d’émettre des billets était frappé de stérilité entre ses mains, et ce n’était pas sans raison, car elle n’en faisait aucun usage pour donner des facilités supplémentaires au commerce. L’action combinée de plusieurs causes, que nous indiquerons plus tard, a diminué cette masse d’espèces amoncelées et a mis la Banque, sous ce rapport, au niveau des autres institutions de crédit. En cela, on ne voit pas ce qu’il y a d’alarmant, pourvu que, parmi les causes qui font retirer les espèces de la Banque, on n’ait à compter ni des témérités de l’institution ni quelques folles spéculations du commerce français. Or, quant aux témérités, la Banque de France n’en fit jamais : personne jamais ne fut moins oseur. Elle fait profession d’outrer la maxime de Louis XVIII, qu’auprès de l’avantage d’améliorer il y a le danger d’innover. Au lieu de rien aventurer, elle a long-temps fermé les yeux pour ne pas apercevoir les innovations tentées ailleurs, celles même qui avaient réussi et que l’expérience avait sanctionnées. Il n’y a pas lieu non plus de signaler des spéculations déréglées de l’industrie française, dont la Banque, sans le vouloir ou sans le savoir, aurait été complice. Le commerce français, c’est une justice à lui rendre, est généralement sage. La production a été régulière dans toutes les branches, l’écoulement des produits s’est jusqu’à ce jour opéré d’une manière satisfaisante, et les effets que la Banque a dans son portefeuille sont excellens. Ce ne sont pas nos capitalistes non plus qui courraient des aventures comme celles des Anglais en 1825, se précipitant aveuglément sur les mines d’or et d’argent du Nouveau-Monde, ou qui commettraient des hardiesses semblables à celles que presque chaque instant voit éclore aux États-Unis. Il n’y a donc pas jusqu’à présent de crise commerciale ou manufacturière qui soit imminente ; de même nous n’avons pas à prévoir un dérangement dans les finances de l’état. On a pu croire un moment que l’entreprise des chemins de fer entraînerait une perturbation. Il est facile de voir maintenant que cette frayeur était chimérique. Dans les proportions où elle s’est réduite par l’ajournement des chemins de fer de l’Ouest, de Caen et de Dijon à Mulhouse, l’œuvre des chemins de fer n’est aucunement au-dessus de nos forces. Les titres de chemins de fer ont baissé parce que les effets publics sont en baisse, ainsi qu’on doit s’y attendre lorsque survient une cherté des subsistances. Alors la création du capital se ralentit : les hommes vivent sur leurs épargnes antérieures, et le capital existant enchérit, c’est-à-dire qu’à un revenu déterminé correspond dès-lors un moindre capital nominal, et par conséquent les fonds publics doivent être cotés moins haut. Si la dépression des actions de chemins de fer a été plus forte proportionnellement que celle des rentes, c’est par cette cause générale que l’enchérissement du pain agit avec plus d’intensité sur les titres les plus nouveaux et sur ceux d’un produit plus incertain, et, probablement aussi, par cette cause accidentelle, que les joueurs à la baisse se sont trouvés les plus nombreux et ont fait un plus grand effort. Les actions cependant ne sont pas avilies : fait qui paraît constant et qui serait curieux, elles sont même peu offertes. Les personnes qui observent avec le plus de discernement les opérations de la Bourse soutiennent que les titres de chemins de fer sont plutôt rares qu’en excès, et elles en donnent pour preuve la modicité du taux des reports. Le système de la fusion, sur lequel on a tant controversé, a eu le résultat avantageux de diviser beaucoup les actions : ainsi réparti entre un nombre infini de mains, le fardeau se trouve aisé à porter. Le capital des compagnies de chemins de fer s’est composé, pour une bonne part, d’une foule de petites épargnes qui cherchaient un placement et d’écus enfouis. Les fonds que les compagnies ont présentement entre les mains, avec le supplément à verser en juin, suffiront à leurs dépenses pour un long espace de temps. Par conséquent, nous n’avons pas non plus de crise de chemins de fer.

Il est digne de remarque qu’au moins jusqu’à ce jour la tenue de la bourse de Paris a été plus ferme que celle de toutes les autres bourses de l’Europe. Les rentes françaises ont moins baissé proportionnellement que les fonds des états allemands et même que les rentes anglaises, qui sont renommées par la fixité de leur cours. Les consolidés anglais sont tombés de 97, qui a été leur maximum en 1846, au taux de 90, où on les a vus il y a peu de jours ; les 3 et demi prussiens, de 97 trois quarts, où ils étaient en janvier 1846, étaient venus, en octobre, à 91 trois quarts ; de même, de janvier à novembre 1846, les 3 et demi bavarois d’au-delà de 100 étaient tombés à 93, et les 3 et demi wurtembergeois, de 97 au-dessous de 90. De septembre à novembre, les fonds badois ont subi une dépression relativement plus forte encore ; le 5 pour 100 français, de 123 60 où il a été accidentellement au mois de février, n’est pas descendu en 1846 plus bas que 117 25 et cette année que 115 60, soit en tout de 8 sur 124, ce qui est moindre que 7 sur 97. Notre 3 pour 100 a été à peu près de même. Les chemins de fer français, qui sont cotés également à Londres et à Paris, ne sont pas descendus aussi bas à Paris qu’à Londres.

Comme il faut tout dire, cette excellente tenue des fonds à la bourse de Paris a entraîné l’inconvénient que les étrangers sont venus y faire argent de leurs valeurs, et ce n’a pas été une des causes les moins actives de la sortie de notre numéraire. Ces jours derniers, par exemple, les chemins de fer français étaient de 35 à 40 francs plus haut à Paris qu’à Londres. 40 francs sur quelques chemins de fer comme celui du Nord, où il n’y a pas plus de 200 francs de versés par action, c’est exorbitant ; les spéculateurs anglais ont dû saisir cette occasion pour vider leur portefeuille chez nous. De ce point de vue, un peu plus de baisse à la bourse de Paris eût été un profit pour la France. Cette fermeté des cours chez nous, pourvu qu’elle se soutienne jusqu’au bout, démontrera que la France recèle en elle plus de ressources qu’on ne le pensait communément et qu’elle le croyait elle-même.

Du mouvement comparé des effets publics dans les différentes bourses de l’Europe ressort une autre conclusion, à savoir que les Allemands, par exemple, ont été plus avisés que nous. Ils ont avant nous aperçu la crise des subsistances ; c’est pour cela que les capitalistes allemands ont réalisé leurs portefeuilles en octobre et novembre, afin de n’être pas maîtrisés par les événemens, et de les dominer au contraire. La baisse, qui s’est alors déclarée chez eux par l’effet d’une grande quantité de ventes, aurait dû nous donner l’éveil. Notre gouvernement lui-même devait y trouver des indications plus précises sur la véritable situation des approvisionnemens en Europe. Parmi tous les faits dont il, pouvait attendre quelques lumières, il n’y en avait pas de plus significatif.

Ce que nous éprouvons à l’endroit de la Banque se réduit donc à une raréfaction du signe représentatif. Une partie de notre numéraire nous a quittés sous l’influence de plusieurs causes. L’achat des blés étrangers en est une, et la plus apparente. C’est une importation extraordinaire qui vient déranger subitement la balance accoutumée du commerce. Si les échanges étaient moins difficiles entre les peuples, le retour se serait fait, partiellement au moins, autrement qu’avec des écus. Nous paierions le blé des Russes, des Siciliens, des Prussiens et des Américains du nord, en leur envoyant un supplément des produits de notre industrie, aussi bien que des espèces ; mais les peuples, à l’envi l’un de l’autre, se sont entourés de murailles de la Chine : l’or et l’argent sont les seules valeurs dont on puisse se servir pour solder un compte extraordinaire. Nous aurons peut-être de ce chef 150 millions à expédier au dehors. En pareil cas, on puise les écus dans les réservoirs où l’on sait qu’ils sont accumulés, dans les caves des banques. Un jour viendra certainement où l’on emploiera le procédé qui réussissait si bien à l’Angleterre, pendant les guerres de l’empire, pour subventionner les princes qu’elle armait. Elle leur envoyait les produits de ses manufactures, auxquels on ouvrait les portes à deux battans, et ainsi les subsides étaient des excitans pour l’industrie britannique ; mais, pour que cet expédient devienne d’usage en cas de disette, il faudra que le principe de la liberté du commerce ait fait son chemin.

Cette cause n’est pourtant pas la seule qui nous ait enlevé du numéraire. Les titres que les étrangers ont négociés chez nous ont dû en faire sortir. Enfin les grands travaux qui s’exécutent de toutes parts dans le royaume pour le compte de l’état ou par les soins des compagnies, et qui ont été activés dans ces derniers mois, ont dû faire expédier des espèces de la capitale dans les provinces.

Considérons donc comme établi que, tant pour les subsistances qu’à l’égard de la Banque, nous ne courons pas de danger sérieux. Si la situation devenait menaçante, c’est que les fautes des hommes l’auraient aggravée, et d’un accident auraient fait une calamité. De là, on est forcé de conclure que, si notre loi des céréales ne résiste pas à la secousse, et si notre grande institution de crédit en est ébranlée, c’est que ni l’une ni l’autre ne satisfont aux conditions de la stabilité, et qu’il faut les remettre sur le métier ; sinon, nos hommes pratiques auront mérité qu’on les accuse de ne rien comprendre aux leçons de l’expérience.


II. – QUESTION DES SUBSISTANCES.

Examinons maintenant avec plus de détail la législation des céréales ; cherchons à déterminer le but vers lequel elle gravite chez les nations les plus éclairées de l’Europe, depuis que les actes d’administration y sont soumis à des idées rationnelles. Mesurons le chemin que nous avons fait vers cette destination et la distance qui nous en sépare encore.

Sous l’ancien régime, l’empirisme régnait en maître dans l’administration en France comme au dehors, et les intérêts commerciaux y étaient humblement soumis plus encore que tout le reste. Tout procédait des traditions d’un temps de conquête ; tout se compliquait d’exigences multipliées, confuses dans leurs limites. Les finances étaient un chaos, la législation un dédale. En administration, il n’y avait que des expédiens. Les grands ministres comme Sully et Colbert, qui avaient essayé d’introduire des règles générales, des principes simples, de l’unité dans la gestion des intérêts nationaux, y avaient à peu près échoué. Ils avaient fondé une prospérité qui devait disparaître ; et qui s’évanouit en effet avec leur personne. La législation dés céréales portait cependant l’empreinte d’une noble pensée. On avait voulu maintenir le blé à bas prix dans le royaume. On n’admettait pas comme une idée digne d’examen que le pain à bon marché pût être un mal. En conséquence, on en autorisait l’importation sans réserve : l’exportation fut pareillement libre pendant très long-temps. Cependant, en 1693[3], une disette se déclara, et la sortie des grains fut défendue sous peine de mort. La liberté pourtant reprit le dessus et continua de prévaloir, non sans quelque retour de contrainte, jusqu’à la révolution, où l’alarme sur les subsistances fut générale, et détermina, dès 1790, l’interdiction d’exporter les grains. La noblesse, propriétaire du sol, avait l’œil à ce que ses domaines produisissent une grande quantité de blés ; il arriva même que, pour s’être attachée trop exclusivement aux céréales, l’agriculture française suivit de fâcheux erremens. Le meilleur moyen de retirer d’un pays le maximum possible de grains est non pas de consacrer toutes les terres à cette production, mais de tenir la balance entre les céréales et les fourrages, entre la production des grains et celle du bétail, qui fournit l’engrais sans lequel la terre reste stérile. L’ancienne agriculture française avait entièrement perdu de vue cette notion fondamentale que nos cultivateurs d’aujourd’hui ne se sont qu’imparfaitement assimilée encore. Les Anglais, au contraire, par une juste répartition entre les grains et les fourrages, ont, depuis long-temps, une agriculture plus parfaite et une alimentation publique supérieure. Ils sèment en blé un moindre nombre d’hectares ; mais, fécondée par le fumier que donne le bétail, la superficie ensemencée à un rendement double des terres françaises, et ainsi, à égalité de territoire, l’Angleterre rend plus de blé que la France, en même temps qu’elle produit plus de viande et d’autres alimens.

Mais, si le régime des céréales était libéral à l’extérieur sous l’ancien régime, c’était au dedans un commerce sujet à mille entravés. Les populations étaient remplies de préjugés contre les marchands de blé. Quiconque faisait ce commerce semblait un ennemi public, un accapareur visant à créer la famine. L’autorité, cédant aux passions de la foule ignorante ou les partageant franchement pour son propre compte, soumettait l’exercice de cette profession à des formalités et à des gênes particulières, à une surveillance vexatoire et presque ignominieuse. Les monopoles, qui avaient tout envahi, ajoutaient aux difficultés du commerce des grains. J’en citerai un seul exemple. « A Rouen, une compagnie de cent douze marchands créés en titre d’office avait seule d’abord le droit d’acheter les grains qui entraient dans la ville, et son monopole s’étendait même sur les marchés des Andelys, d’Elbeuf, de Duclair et de Caudebec, les plus considérables de la province. Venait ensuite une seconde compagnie de quatre-vingt-dix officiers porteurs, chargeurs et déchargeurs de grains, qui pouvaient seuls se mêler de la circulation de cette denrée, et devaient y trouver, outre le salaire de leur travail, l’intérêt de leur finance et la rétribution convenable au titre d’officier du roi. Venait enfin la ville elle-même, qui, propriétaire de cinq moulins jouissant du droit de banalité, avait donné à ce troisième monopole une extension illégale et singulière. Les moulins communaux ne pouvant suffire à la mouture de l’approvisionnement des grains nécessaires à la population, la municipalité vendait aux boulangers de la ville le droit de faire moudre ailleurs ; mais, pour les dédommager de cette exaction révoltante, elle assujettissait les boulangers des faubourgs, qui n’étaient pas en droit soumis à la banalité, à livrer leur pain sur le pied de 18 onces à la livre au même prix que les boulangers intérieurs, qui n’étaient tenus que du poids ordinaire de 16 onces. Il est donc évident que du chef de ce troisième et dernier monopole, les Rouennais payaient le pain un huitième de plus que sa véritable valeur[4]. »

Dans ces temps où l’autorité royale ne se croyait pas de limites, les princes et leurs conseils, qui s’attribuaient comme une prérogative toute naturelle la faculté d’altérer les monnaies et de faire que ce qui était une livre la veille fût pris pour deux livres le lendemain, devaient être portés à penser à plus forte raison qu’il leur appartenait de fixer à leur gré la valeur vénale des céréales. On laissa cependant dormir ce prétendu droit presque toujours. Les parlemens, composés d’hommes qui devaient être plus éclairés que le reste de la nation et que la cour, dans ces sortes d’affaires, enchérissaient sur l’esprit réglementaire de l’administration, et, dans le cours de leur incorrigible taquinerie contre le gouvernement, on les vit donner raison aux préjugés de l’émeute stupide, alors qu’un ministre sage cherchait à faire prévaloir les vrais principes. Mais le ministre, qui était ferme, tint bon, et il l’emporta. C’était en 1775. Les environs de Paris offraient le spectacle d’une complète rébellion. Sous prétexte de la cherté des grains, des brigands brûlaient des granges, incendiaient des fermes, coulaient à fond des bateaux de blé. Ils se présentent à Versailles, et ils y font la loi ; de là ils viennent à Paris piller les boulangers. Le lieutenant de police les laissait faire, le parlement couvrit les murs de Paris d’un arrêt qui défendait les attroupemens, mais qui portait que le roi serait supplié de diminuer le prix du pain. L’homme illustre et dévoué à la cause populaire qui était alors contrôleur-général des finances, et que, poussé par la fatalité, Louis XVI devait bientôt éconduire, Turgot, chargea aussitôt l’autorité militaire de placarder l’arrêt du parlement d’une ordonnance qui interdisait d’exiger le pain au-dessous du cours. Le lieutenant de police fut destitué ; le parlement, qui voulait connaître des troubles dans l’intention de contrecarrer les intentions libérales du ministre, fut convoqué à Versailles pour enregistrer une proclamation du roi par laquelle les auteurs de la révolte étaient renvoyés, conformément aux lois en vigueur, à la juridiction prévôtale. Une armée de vingt-cinq mille hommes, commandée par un maréchal de France, poursuivit les émeutiers dans tous les sens et protégea la circulation des grains. C’est par ces actes décisifs que Turgot, ministre, faisait triompher le principe qu’auparavant il avait soutenu dans des écrits destinés à honorer sa mémoire, que l’achat et la vente des grains étaient un commerce tout comme un autre ; que plus qu’un autre encore, dans l’intérêt de la société, il réclamait une liberté entière.

Parallèlement aux préjugés contraires à la liberté intérieure du commerce des grains, on en rencontre dans l’histoire économique de l’Europe un autre qui lui ressemble beaucoup et qui n’a pas exercé moins d’influence, au détriment de la prospérité des nations. C’est celui qui faisait considérer l’or et l’argent comme la richesse par excellence, l’unique vraie richesse, et qui, par conséquent, en interdisait l’exportation. Les esprits avancés en sont depuis long-temps complètement revenus ; mais le vulgaire et les gouvernemens ont été plus lents à s’en défaire : la multitude y croit encore, et il pèse beaucoup plus qu’on ne le supposerait sur le système économique des grands états de l’Europe. C’est que les préjugés et la sottise, lorsqu’ils se sont bien impatronisés quelque part, ne donnent pas facilement leur démission. Nous allons en acquérir une preuve de plus par l’exposé succinct de ce qui s’est passé après Turgot dans l’administration française au sujet du commerce des grains.

Fidèle au drapeau qu’avaient élevé et fait respecter les grands esprits du XVIIIe siècle, la constituante abolit à l’intérieur et à l’extérieur toutes les entraves qui gênaient le commerce des grains. La convention, qui, en vertu des événemens et par son penchant, était placée en dehors de toutes les règles ordinaires, et qui en toutes choses se croyait dans la nécessité d’exercer une suprême dictature, se montra ultra-réglementaire à l’égard des subsistances et surtout du pain. La loi du maximum concernait particulièrement cet objet. On sait que tous ces moyens de contrainte pour amener le bas prix du pain engendrèrent une affreuse famine. Avec le gouvernement de Napoléon, des idées plus régulières se firent jour. L’importation des blés était déjà libre, l’exportation fut permise sous condition. Il fallait que l’hectolitre fût coté à 20 francs au plus dans le midi, à 16 dans le nord, et il y avait un droit de sortie de 2 francs ; mais l’empereur voulut que l’autorité intervînt dans le commerce des grains, au moins pour la capitale : de là son projet des greniers d’abondance. Cependant en 1811, après un été qui, semblable à celui de 1846, avait été très favorable aux vendanges, mais fatal à la récolte des grains, le prix du pain se mit à monter. L’empereur se fit commerçant en grains et entreprit d’effectuer la majeure partie de l’approvisionnement de Paris. Il y contribua en effet pour près de 400 mille sacs[5] ; mais il y dépensa plus de 12 millions de l’argent du trésor, il ruina les boulangers auxquels il imposait un prix de vente trop faible, et, par des achats mal conçus, mal coordonnés, mal exécutés, il fit monter les grains au-delà du point où naturellement ils se seraient arrêtés. Une fois sorti des voies de la liberté des transactions, il lui fallut aller de violence en violence et agrandir le cercle de ses mesures despotiques jusqu’à ce qu’il y eût embrassé l’empire tout entier, après avoir commencé par le seul département de la Seine. Il en vint jusqu’à décréter, à l’instar de la convention, le maximum. En mai 1812, un décret impérial fut promulgué, qui commençait par ces belles paroles : La libre circulation des grains et farines sera protégée dans tous les départemens de notre empire, et finissait par établir pour le blé le maximum de 33 francs l’hectolitre. La disette devait être et fut la conséquence de cette atteinte flagrante à la liberté. Il y eut des départemens où les populations furent réduites à manger de l’herbe[6].

Après l’empire, une nouvelle époque de cherté se déclare en 1817. L’état, pour y porter remède, oubliant l’insuccès de la tentative de 1811, recommence à se faire marchand de grains. On espérait probablement que ce qui n’avait eu que de tristes effets entre les mains d’un usurpateur donnerait de meilleurs fruits dans celles d’un gouvernement légitime. On acheta donc des grains à tort et à travers, au dedans et au dehors ; on mit la perturbation dans les marchés intérieurs, on alarma tout le monde, on donna l’impulsion à la hausse qu’on voulait prévenir, et, après avoir fait dépenser à un trésor épuisé une somme de 60 à 70 millions, on fut réduit à venir déclarer, par la bouche du ministre de l’intérieur, que le commerce seul, le commerce libre et indépendant, peut attirer et répandre dans l’intérieur les ressources nécessaires. Eh ! il y avait quarante ans que Turgot l’avait démontré et fait admettre par l’administration française.

Cette expérience de 1817 a guéri pour toujours le gouvernement français de la manie de faire, pour l’approvisionnement public, le commerce des grains ; cependant, battu sur ce point, le système de l’intervention de l’autorité conserva encore une forte position dans la réserve municipale de Paris. Il était ordonné qu’il y aurait dans cette réserve 90,000 sacs de farine ou l’équivalent en blé, mais on s’aperçut bientôt que la ville de Paris était grevée ainsi d’une dépense annuelle de 15 pour 100 de la valeur des blés. Or, comme l’a fait remarquer J.-B. Say, 15 pour 100 à intérêt composé sont une dépense qui excède 100 pour 100 au bout de cinq ans, et 400 pour 100 à la dixième année, tandis que les enchérissemens modérés se produisent tous les cinq ans à peine, et que ceux qui ont plus de gravité ne se présentent moyennement que de dix en dix ans. En conséquence, la réserve de Paris a été supprimée en 1831. C’était la seule qui subsistât encore ; autrefois les principales villes du royaume en avaient une ; désormais c’est une idée arrêtée qu’il faut s’en remettre au commerce libre pour les approvisionnemens. A l’intérieur, la liberté est la règle fondamentale incontestée du commerce des grains. En cas de cherté, la charité publique, pour abaisser le prix du pain, s’exerce par le moyen de bons qu’on délivre aux indigens sur leur simple demande et moyennant lesquels les boulangers, d’après un marché passé avec l’autorité, fournissent du pain à un taux réduit. C’est ainsi qu’on s’y est pris cette fois dans la plupart de nos cités. L’autorité ne s’est point ingérée à acheter des grains, ou, si elle l’a fait, c’est, par exception, le ministre de la guerre et celui de la marine, qui, dans le but de ménager les approvisionnemens intérieurs, ont passé des marchés pour la fourniture des troupes de terre et de mer avec du blé étranger. D’après les bruits qui circulent, et dont je ne me fais point garant, l’opération n’aurait pas été heureuse pour l’état, et le trésor paierait cher l’estimable prévoyance des deux départemens ministériels, sans que le consommateur français, en dehors de l’armée et de la flotte, ait la moindre réserve de plus. Au fait, où les personnes auxquelles les ministres de la guerre et de la marine se sont adressés auraient-elles pu trouver des blés que le commerce n’eût pas aussi bien découverts pour la consommation générale du pays, y compris les soldats ? Il faut savoir gré aux deux ministres de leurs bonnes intentions, mais leur recommander à l’avenir de ne plus se mêler de ce que, jusqu’à ce jour, aucun gouvernement n’a su bien faire.

Mais l’esprit contraire à la liberté, prenant pour point d’appui des sentimens condamnables, avait réussi, plusieurs années avant 1831, à se faire, réserver un autre poste, qui on s’est flatté d’avoir rendu inexpugnable, dans notre législation des céréales. Jusqu’en 1819, l’entrée des grains dans le royaume de France était libre ; le gouvernement de la restauration, qui cherchait à fonder une aristocratie territoriale, imagina d’imiter la législation que l’aristocratie britannique avait imposée à son pays. Le commerce des grains était à peu près libre en Angleterre jusqu’en 1804. La loi de 1773 permettait l’importation moyennant le droit nominal de 6 pence (0 fr. 63 cent.) par quarter (2 hectolitres 9 dixièmes). L’exportation était favorisée sur une prime. De 1740 à 1751, le total des primes ainsi payées s’élevait à 1 st., environ 38 millions de francs. Quand les prix cependant avaient atteint un certain point, la sortie était prohibée ; mais, à la fin du XVIIIe siècle, l’Angleterre n’était plus en position d’exporter du blé : elle avait de la peine à se suffire. En 1804, la liberté du commerce extérieur des grains fut détruite, quant à l’importation ; le régime protecteur fut appliqué aux grains, et l’échelle mobile fit son apparition dans le monde. Tant que le blé vaudrait moins de 63 shillings le quarter (27 fr. 25 cent. l’hectol.), il devait y avoir un droit prohibitif de plus de 10 fr. par hectolitre (24 shillings 3 pence par quarter). Le blé devenant plus cher, le droit devait diminuer, suivant une progression très rapide. Ce régime dura jusqu’en 1815 ; mais alors, victorieuse au dehors, la puissante oligarchie de la Grande-Bretagne voulut profiter de sa victoire pour asseoir son monopole au dedans, et, dans le courant de l’année même, une loi fut votée qui ne permettait l’importation du blé que lorsque le grain indigène vaudrait au moins 80 shillings le quarter (34 francs 50 centimes l’hectolitre). En France, de même, on se proposa de tenir élevé le prix des grains d’une manière permanente par des dispositions douanières. Tel fut l’objet de la loi du 16 juillet 1819. Les deux pays depuis lors, dans la même pensée, modifièrent leurs tarifs sans en changer l’esprit. La France en particulier a fait quatre ou cinq lois des céréales, il faut le dire, de plus en plus restrictives au fond, quoique les dernières ne contiennent plus le mot de prohibition. L’idée fondamentale des deux législations française et anglaise, calquées l’une sur l’autre, était celle de l’échelle mobile qui, au premier abord, est en effet très séduisante. Quand le blé monte, le droit baisse ; si au contraire le blé tombe à bas prix, le droit se relève dans une proportion plus forte. On s’était flatté d’assurer ainsi l’approvisionnement en cas de disette et de garantir l’écoulement des excédans qu’on pouvait avoir pendant les bonnes années. Le blé et le pain allaient avoir une sorte de prix fixe, et l’on s’en applaudissait beaucoup, non sans raison, car il n’y a pas de cause plus active des crises commerciales que celle qui ressort des grandes variations du prix des subsistances.

Ce système malheureusement n’a pas tenu ses promesses, particulièrement au sujet de la certitude des approvisionnemens en cas de disette. Le commerce, pour se livrer à ses spéculations légitimes, a besoin d’avoir quelques bases certaines, et c’est précisément ce qu’exclut la grande mobilité du droit. Le commerçant qui, d’avance calculant une chance de hausse, aurait l’idée de demander des grains à Odessa ou à New-York, s’en abstient, parce qu’il ignore si, lorsque son blé se présentera, le droit à payer à la douane n’aura pas doublé ou triplé. De même, en supposant que nous soyons, nous aussi, dans le cas d’exporter beaucoup de blé par l’effet d’une grande abondance, le négociant étranger ne s’adressera pas à nous, faute de savoir quels droits il aura à acquitter à la sortie, et il enverra ses ordres de préférence aux pays qui sont soumis à un régime de fixité au lieu de notre mobilité. Les ressorts même de cette mobilité si ingénieuse en apparence sont tout-à-fait défectueux. Rien n’est plus facile à des hommes peu scrupuleux que de falsifier par des manœuvres les mercuriales locales en petit nombre qui servent à composer la mercuriale générale de chacune des quatre sections entre lesquelles se partage à cet égard le territoire. Et ainsi une spéculation bien conçue et utile au public peut avorter par les artifices d’une concurrence habile. Puis la mercuriale consacre un fait passé qui quelquefois n’a plus rien de commun avec le présent. Enfin ici le système des moyennes, qui est mis en œuvre, est peu applicable, car il peut ne donner qu’un aperçu très inexact de la situation. Pendant le délai qu’embrasse la moyenne, les prix ont pu varier dix fois et entre des limites fort éloignées. A certains momens, la cote du marché prise isolément aurait favorisé l’entrée du blé étranger, et c’est peut-être alors seulement qu’elle était véridique. Cependant quelques ventes de petites quantités, faites au moment opportun, donneront, au marché suivant, un résultat apparent qui sera mensonger, et le faux l’emportera sur le vrai dans la composition de la moyenne. Les avantages de l’échelle mobile ne sont donc que spécieux. Sur ce point, notre assertion n’est pas contestable, car encore un coup, pourquoi ce régime est-il mis à l’écart d’un avis unanime aujourd’hui, sinon parce qu’au lieu de soulager la disette, tout le monde sent qu’il ne serait bon qu’à l’aggraver ?

La prétention exprimée au nom de l’échelle mobile de maintenir les subsistances à un prix fixe n’a pas été moins démentie par les faits. Sous la loi de l’échelle mobile, le blé a éprouvé en Angleterre d’incroyables variations : plus que du simple au double. On l’a vu quelquefois au-dessus de 40 francs l’hectolitre, et, en 1835, il était à moins de 17 fr. Ce marché anglais, qu’on croyait si bien défendu contre les mouvemens brusques et contre les écarts excessifs, était celui où le prix du blé éprouvait les oscillations les plus grandes et les plus rapides.

Après que les faits ont eu parlé, les Anglais se sont rendus à ce témoignage. Un double objet leur paraissait également désirable : resserrer les oscillations du prix du blé et rendre le prix moyen aussi modéré que possible. C’est ainsi qu’ils ont compris l’intérêt national, et je ne sache pas un état où il soit permis de l’entendre autrement. Pour arriver au but, ils ont pensé qu’il n’y avait pas de procédé comparable à celui de la liberté. Supposez, en effet, que la liberté à l’entrée et à la sortie des grains soit la loi de toutes les nations, le marché général est le plus étendu possible, et par conséquent la meilleure combinaison subsiste pour que, d’une année à l’autre, par la compensation des climats divers, les variations des quantités, et par conséquent des prix, soient restreintes dans le cercle le plus étroit. L’accès étant ouvert à chaque instant pour chaque état vers tous les foyers de production, l’on s’approvisionne constamment au plus bas prix, ou plutôt un équilibre s’établit chaque année entre les différens pays à céréales, et on a presque constamment un prix modéré. Sans même que la liberté absolue du commerce des grains soit passée dans la pratique universelle des nations, comme tous les pays qui produisent un excédant, les États-Unis, la Russie, les bords de la Baltique, la Sicile, laissent les grains librement sortir, il dépend de chacun des grands états de jouir immédiatement d’avantages presque égaux à ceux qu’aurait la liberté universelle ; il suffit pour cela de rendre libres sur ce point les rapports nationaux avec les régions à céréales, et, si déjà quelque grand peuple a adopté la liberté du commerce des grains, ceux qui viendront après lui entreront plus complètement en possession des bienfaits de ce régime libéral. Ainsi, l’Angleterre ayant arboré chez elle l’étendard de la liberté pour le commerce des grains (indépendamment de ce qu’elle a fait pour les autres branches de commerce dont nous n’avons pas à nous occuper ici), nous trouverions, nous, à ce régime le profit, en cas de rareté, de nous approvisionner aisément et en temps opportun, et, dans l’abondance, d’écouler notre surplus sur les marchés de la Grande-Bretagne, qui est à nos portes.

L’Angleterre donc a renoncé l’an passé au système de l’échelle mobile ; elle n’y a point substitué un droit fixe ; elle a préféré la liberté complète. La question est de savoir ce que nous ferons en France. Il semble impossible que nous gardions l’échelle mobile ; c’est un système jugé. De l’autre côté du détroit, avant que la liberté du commerce eût acquis l’ascendant qu’elle y exerce, on était d’accord pour réprouver l’échelle mobile. Si le blé avait dû continuer d’être frappé, en Angleterre, d’un droit à l’entrée, le droit eût été fixe. Les Anglais ont préféré la liberté complète ; ils y ont été conduits par la force irrésistible de la raison. L’échelle mobile ne pouvait plus se maintenir, bien ; mais un droit fixe pouvait-il être fixe absolument ? Aurait-il subsisté alors même que le blé aurait, par hasard, atteint un prix de famine ? Ainsi, avec le droit fixe pris à la lettre, on venait buter contre une autre impossibilité. C’est, en effet, ici la grande supériorité de la liberté, que, hors d’elle, tout devient impossible à soutenir pour les seules circonstances dont il faille se préoccuper beaucoup, celles où la subsistance publique est compromise. Du moment que les Anglais quittaient le terrain sur lequel avaient été débattues les autres lois des céréales, celui où l’aristocratie f disait, comme le roi des animaux dans la fable

C’est que je m’appelle lion,


un argument tiré des notions les plus justes du droit constitutionnel, du droit humain, rendait inévitable le triomphe de la liberté du commerce des grains ; c’est celui avec lequel la ligue a mis en mouvement et captivé le royaume-uni, où d’abord elle excitait une dédaigneuse indifférence : De quel droit les nobles, propriétaires des terres, prélèvent-ils une taxe sur notre pain quotidien ? Cet argument des Cobden et des Bright, admis par Peel, accueilli par le chef de l’aristocratie, Wellington, est passé dans la législation, et voilà comment l’Angleterre a fait sa réforme commerciale.

Chez nous, malgré la différence des situations, il est difficile que l’échelle mobile n’ait pas le même sort dans un assez bref délai. La liberté du commerce des grains, une fois établie en Angleterre, a une réaction nécessaire sur nous. Je ne parle point de l’entraînement de l’exemple, quoique ce soit un mobile de quelque puissance ; mais le système dans lequel l’Angleterre est entrée pour les grains modifie les conditions de vente pour nos propriétaires et à leur profit. C’est pour eux, en effet, une cause de hausse, une garantie contre la baisse en temps ordinaire, En retour, le public est fondé à demander d’eux qu’ils consentent à-ce que, en vue des années de faible récolte, le consommateur ait contre la cherté la seule garantie qui soit valable, celle de la liberté.

Les grands intérêts qui pouvaient s’opposer à ce que la législation française sur les céréales fût changée sont ceux des départemens du nord, qui vendent au midi l’approvisionnement dont il manque. Notre littoral de la Méditerranée est forcé de s’approvisionner en partie dans la Bretagne ou dans le nord-est, et c’est ce qui renchérit le pain dans les départemens placés à droite et à gauche des Bouches-du-Rhône ; mais, si le nord trouve habituellement un débouché en Angleterre pour son excédant, qui se plaindra que le midi mange du blé d’Odessa ?

La liberté produira chez nous ce qu’on en attend en Angleterre, la tenue du prix du blé : peu d’écarts en dessous et en dessus d’une certaine moyenne. Ce sont ces écarts qui, de l’autre côté du détroit, ruinaient les fermiers, et qui chez nous sont préjudiciables aux propriétaires. Turgot l’avait si bien dit, si clairement prouvé, qu’après lui on est presque honteux d’avoir à le répéter.

Enfin la vie à bon marché chez nous, sur la terre d’égalité par excellence, ne peut être un argument de moindre valeur que dans la Grande-Bretagne. Le XVIIIe siècle, il est de mode aujourd’hui de le dire, était sceptique ; pour lui, point de vérité qui fût au-dessus de la controverse. Notre siècle se félicite d’être guéri de ce mal. Quel nom faut-il donner cependant à ceux qui nient que la vie à bon marché soit d’intérêt public ? Ce n’est pas dans le XVIIIe siècle qu’on l’eût contesté. Qu’importe le prix du pain ? dit-on aujourd’hui ; le salaire se règle en conséquence. Et d’abord, là gît la question. Je vois clairement comment la cherté des subsistances en général, du pain en particulier, pèse sur le grand nombre : je ne vois pas aussi bien comment le salaire s’élève de manière à établir la compensation. La main-d’œuvre que vend l’ouvrier est une marchandise d’une nature toute spéciale, qui a cette particularité, fâcheuse pour le vendeur, qui on ne la garde pas en magasin, qu’on est forcé de l’écouler chaque jour, quelque prix qu’on en trouve, mauvais ou bon. De là un désavantage pour l’ouvrier, quand il débat le prix contre lequel il doit échanger son travail, et il l’éprouve rudement lorsque tout à coup, les objets de première nécessité étant devenus plus chers, il aurait besoin d’un accroissement de salaire pour ne pas déchoir. On ne remarque pas en effet que, lorsque le pain enchérit, la main-d’œuvre s’élève en proportion ; c’est plutôt le contraire qu’on observe. Avec la vie à bon marché, une épargne déterminée assure bien mieux le repos du travailleur dans sa vieillesse ; avec la vie à bon marché, la population qu’atteint la maladie, ou sur laquelle sévit le chômage, cruelle épidémie du régime manufacturier, lutte plus long-temps contre le dénûment. Rien plus que la cherté de la vie ne contribue à la formation de ces populations dégradées, qui ont tant pullulé dans les villes de fabriques de l’Angleterre, et qui commencent à apparaître dans les nôtres, il faut bien avoir le courage de le dire. Dans les temps de grande activité commerciale, les salaires sont hauts, l’ouvrier en jouit trop souvent sans songer au lendemain. Puis, les commandes s’arrêtent, le travail manque, et celui qui n’a rien épargné, faute d’en avoir eu la volonté ou le pouvoir, vit misérablement d’abord, en empruntant autant qu’il trouve du crédit, ensuite en vendant à vit prix ses vêtemens, son petit mobilier. Il tombe par degrés au dernier degré de la misère ; si la crise dure, il arrive à l’abjection, et, quand le travail revient, il n’a plus la force de s’en relever ; il reste dans le bourbier et y retient sa progéniture, qu’il multiplie désormais sans réflexion. Voilà comment se produit la populace et d’où sortent des nuées de prolétaires. Dans les pays tels que le nôtre, qui se vantent de leur constitution démocratique, c’est une forte raison en faveur de toute mesure propre à assurer la vie à bon marché. Et si ce n’est point par une noble sympathie pour les classes ouvrières, que ce soit au nom des libertés publiques, dont tout le monde sent le prix. Là où il existe une populace nombreuse, il n’y a pas de milieu entre le despotisme et l’anarchie, et, sur toute terre peuplée où la vie sera chère, il y aura constamment une populace qui se propagera avec une rapidité effrayante.

Il faut donc croire que l’échelle mobile et l’impôt sur l’introduction des blés en général subiront chez nous la même destinée qu’en Angleterre. Ce système fut inauguré, de l’autre côté du détroit, en 1804. Quarante-deux ans après, le parlement en a prononcé l’abrogation. Chez nous, la franchise à l’importation a duré depuis la fondation de la monarchie jusqu’en 1819. Le régime actuel n’a donc pas trente ans de date encore. Trente années contre quatorze siècles ! On ne peut prétendre que ce soit une de ces institutions respectables dont l’origine se perd dans la nuit des temps. La génération actuelle l’a vu naître, et nous espérons bien qu’elle le verra mourir. La France ne peut, sur ce point, rester en arrière de sa féodale voisine. Tout au moins faut-il croire que, sans plus de délai, nous en finirons avec l’échelle mobile, d’où nous viennent des chances de famine ; qu’un droit fixe, modéré, uniforme, sans distinction de zone et de section, remplacera cette détestable combinaison, et qu’immédiatement on affranchira le maïs, qu’on ne consomme pas dans les villes, et dont il est à souhaiter que l’usage s’étende beaucoup. Au bout de peu d’années, le maïs serait entré dans les habitudes des populations, et il nous en arriverait d’Amérique de grandes quantités, parce que la capacité de production des États-Unis, sous ce rapport, est sans limites, et nous l’aurions, malgré la distance, à bas prix.

Pourquoi encore la farine est-elle frappée d’un droit supérieur de moitié à celui qui atteint la quantité correspondante de blé ? Lorsque, dans les quatre sections du territoire, la mercuriale du froment est au-dessus de 22 fr., 20 fr., 18 fr. et 16 fr., l’hectolitre est taxé à 5 fr. 22 c., et les 100 kilog. de farine le sont à 15 fr. 40 cent. 100 kilog. de farine correspondent à un peu moins de 2 hectolitres de blé. Le droit devrait donc être tout au plus de 10 fr. 44 cent. La surtaxe de 5 fr. par 100 kil. est ici l’application peu intelligente et en tout cas outrée de cette idée, que le tarif doit s’élever à mesure que les matières ont reçu plus de travail. Les États-Unis exportent beaucoup plus de farines que de blés, parce que les lieux de production, au lieu d’être voisins des ports d’embarquement, sont bien loin à l’ouest, de l’autre côté de la chaîne des monts Alléghanys, dans la grande vallée centrale qu’arrosent au nord le Saint-Laurent, au midi le Mississipi avec ses affluens magnifiques, l’Ohio et le Missouri. Les Américains ne changeront pas leurs habitudes pour trouver grace devant notre tarif ; la nature des choses le leur défend. A nous donc de conformer notre tarif à leur pratique obligée et de proportionner exactement le droit sur la farine au droit sur le blé, sinon nous encourons le risque de nous priver, de gaieté de cœur, d’une ressource. Ne poussons pas le respect pour les aphorismes de la douane jusqu’à courir la chance d’affamer les hommes.

Il est impossible de ne pas exprimer le regret que la loi provisoire, en vertu de laquelle toute immunité possible est accordée aux grains et aux farines jusqu’à la récolte prochaine, n’ait pas fait partager les mêmes faveurs aux viandes salées. L’Amérique, si elle y était sollicitée par la modération de nos douanes, nous en fournirait à de très favorables conditions. C’est une nourriture que l’hygiène approuve lorsque les populations ne s’y livrent pas exclusivement, et ont la faculté de la mêler de légumes frais. Les Anglais de toutes les classes en consomment beaucoup plus que nous, et on ne voit pas que leur race s’en abâtardisse. Chez nous, où, relativement au taux ordinaire des salaires, la viande est à un prix excessif, et où cependant il serait essentiel d’introduire dans l’alimentation des classes ouvrières une forte proportion de denrées animales, les salaisons de l’Amérique présentent une ressource dont nous serions coupables de ne pas profiter. Dans notre manie de taxer toute chose à l’entrée, et d’établir de préférence des taxes prohibitives, nous avons mis sur les salaisons de porc, qui seraient les plus recherchées de toutes, un droit de quatre sous par livre. Aussi le peu qui nous en arrive est-il réexporté[7].

L’exportation des grains devrait être libre à plus forte raison. Notre législation semble l’autoriser, mais en la soumettant à un droit mobile qui l’interdit souvent. C’est préjudiciable à l’agriculture et de fait sans utilité pour les populations. Au premier abord, il semble qu’en empêchant une partie des blés de la Basse-Bretagne, par exemple, de se rendre en Angleterre, ou en Belgique, ou en Hollande, vous serviez les intérêts du consommateur français : ce n’est qu’un faux-semblant. Ce serait avantageux, en effet, à nos consommateurs, si toute la population française était concentrée dans la Basse-Bretagne, et encore alors, dans les mauvaises années surtout, ce blé resterait-il de lui-même, sans que la loi eût à le lui enjoindre ; mais le consommateur marseillais ou lyonnais, dont vous prétendez faire le bien en retenant le blé de la Basse-Bretagne, ne vous le demandait pas. S’il avait eu intérêt à acheter le blé des Bas-Bretons, il serait allé le chercher. Du moment qu’il s’en est abstenu, c’est qu’il aura préféré s’approvisionner à Odessa, ou à Palerme, ou à New-York. Si cependant ou ferme la Basse-Bretagne au commerçant qui voulait expédier des grains en Angleterre, ou en Belgique, ou en Hollande, le Hollandais, le Belge ou l’Anglais sont forcés d’aller à Odessa, à Palerme ou à New-York disputer au négociant marseillais les blés de ces pays. Ce conflit de fortes commandes arrivant coup sur coup aura l’immanquable effet de déterminer une hausse brusque et excessive sur les marchés des pays producteurs, et la mesure restrictive, adoptée dans l’intérêt du consommateur français, aboutira à lui faire payer l’hectolitre 5 fr., 10 fr. ou 15 fr. plus cher.

De ce point de vue, il est à regretter que l’administration ait cru devoir tout récemment frapper d’interdit, par exception, la sortie des pommes de terre et des légumes secs. Sur la foi des lois existantes, les cultivateurs de quelques-unes de nos provinces maritimes cultivaient régulièrement les légumes secs et les pommes de terre dans le but de les exporter. En 1845, il en est sorti ainsi 39,000 tonneaux (de 1,000 kilogrammes), représentant une valeur de 4,900,000 francs, presque tout à destination de l’Angleterre et de la Belgique. On trouble ces cultivateurs dans leurs arrangemens, et rien ne prouve que l’intérêt public ait quelque chose à y gagner. Si c’est Limoges ou Clermont ou Nîmes qui réclament un supplément de légumes secs ou de pommes de terre, croit-on que ces denrées leur viendront de la Flandre ou de la Basse-Normandie ? Il est très possible qu’avec ces restrictions l’on cause une sorte d’exubérance relative d’un côté sans remédier à la pénurie qui se fait sentir d’un autre

Nous concevons combien est difficile la position de l’administration en présence de populations alarmées sur leur subsistance. Un ministre peut se croire obligé de sacrifier à des préjugés qu’il ne partage pas. Certainement on aura pensé que cette défense d’exporter calmerait les populations inquiètes ; mais ce sont des expédiens très dangereux que ceux qui consistent à donner raison aux erreurs populaires. On s’expose à être entraîné bien loin quand on entre dans cette voie-là, et c’est ainsi souvent, l’histoire nous le dit, que mainte catastrophe a été rendue inévitable. Croit-on qu’il soit sans péril d’accréditer l’idée des approvisionnemens réservés ? Le paysan breton ou picard, qui voit que le gouvernement condamne la sortie de certaines denrées alimentaires du côté de la mer, ne s’en prévaudra-t-il pas pour vouloir qu’on ne retire plus rien de sa province, ou même de son canton, par terre ?

Et puis, avec des procédés coercitifs, on provoque les représailles. Que pourrait-on répondre si les gouvernemens d’Angleterre, ou de Belgique, ou de Hollande, se disant, eux aussi, poussés par l’opinion populaire, recherchaient quelque moyen de gêner ou de retarder les arrivages de blés étrangers que, réclame la France ? Si l’interdiction d’exporter est utile à l’intérieur, et je le conteste, elle est d’une mauvaise politique extérieure. Il n’y a pas d’hostilité nationale plus implacable au cœur des masses que celle qui peut naître de la pensée qu’un gouvernement étranger a voulu nous affamer.

Le sentiment que le gouvernement doit propager par son exemple est celui de la solidarité. La famine provient de ce que l’individu s’isole dans le canton, le canton dans la province, la province dans l’état, la nation dans le monde. La plus sûre méthode pour procurer aux populations des subsistances est de donner et de maintenir fermement la plus grande latitude possible aux transactions intérieures et extérieures. Plus on agrandit le marché, et plus on écarte les chances de disette ; plus on resserre le marché, et plus on rend probable la cherté ; avec le système de l’isolement, il serait possible de produire la pénurie au milieu d’une abondance extrême. Les chances d’un manque de grains seront complètement détruites, et les écarts des prix seront réduits à leur minimum, lorsque les communications de chaque peuple avec le marché général auront toute liberté, et qu’au sein de chaque état, par le perfectionnement des transports, les diverses parties du territoire seront en relation facile et prompte les unes avec les autres.

De ce point de vue il y a plus d’une amélioration à introduire dans notre pratique administrative. Nos voies de communication, dirigées de l’intérieur sur les frontières et vers la mer particulièrement, sont déjà passables, elles seront parfaites d’ici à peu d’années ; mais ce n’est pas tout que de vaincre les difficultés du sol, et de triompher des obstacles que nous opposait la nature. Eussions-nous terminé nos chemins de fer et nos canaux et porté à la dernière perfection le régime de tous les fleuves, nos rapports commerciaux avec l’extérieur resteraient encore embarrassés de bien des entraves. La nature oppose souvent aux hommes de grands obstacles ; mais eux-mêmes par leurs préjugés, par leurs notions arriérées, par leur condescendance imbécile pour la cupidité de quelques-uns, s’en créent de plus insurmontables encore. En vertu de fausses idées administratives ou de règlemens surannés, ou par les manœuvres d’intérêts égoïstes, nos relations commerciales avec l’étranger offrent à peu près la même complication et la même barbarie dont le commerce intérieur offrait le triste spectacle avant la révolution. A cet égard, nous avons des leçons à prendre chez les peuples voisins. En m’exprimant ainsi, j’ai autre chose en vue que le tarif des douanes, dont les rigueurs pourtant sont funestes et semblent incompatibles avec l’esprit libéral de notre temps. Un gouvernement jaloux d’assurer dans tous les cas la subsistance de la nation, et désireux de pourvoir d’avance aux besoins des mauvaises années, devrait s’efforcer avec la plus active sollicitude d’attirer dans nos ports, à l’état d’entrepôt, de grands approvisionnemens de grains. Quelques personnes, effrayées de la hausse des grains et l’attribuant à tort à une rareté extrême, ont essayé de recommander encore la formation de grandes réserves aux frais de l’état ou des communes, comme si la France n’avait pas déjà assez fait à ses dépens l’expérience de ce système ! Des amas de grains volontairement tenus par le commerce en entrepôt, voilà les véritables réserves, les plus inépuisables, et celles-là ne coûteront pas un centime au trésor public. C’est ce que fait l’Angleterre avec succès ; c’est ce dont la Hollande a donné l’exemple avant tout le monde, et c’est ainsi qu’avec le territoire le moins propre à la culture des céréales, la nation hollandaise est depuis long-temps celle qui est le mieux à l’abri des famines, chez qui le prix du pain varie le moins. Nous cependant, malgré les avis répétés par des hommes éclairés, nous ne faisons rien pour que ceux de nos ports que la nature semble avoir le mieux placés, afin que le commerce général les choisisse pour ses points de dépôt et d’approvisionnement, remplissent cette heureuse mission à l’égard des céréales. Nous tolérons dans ces ports des monopoles semblables à ceux de l’ancien régime, qui écartent le commerce des grains par leurs exorbitantes prétentions. Marseille, le premier port de la Méditerranée par l’excellence de sa situation, par l’étendue des valeurs qui s’y manient, par le nombre des navires qui y touchent, devrait être un des premiers entrepôts de céréales du monde entier. Ainsi semble le vouloir la force des choses, ainsi le commande l’intérêt général ; mais des intérêts privés s’y opposent. Il suffirait, à cet effet, que Marseille eût un de ces édifices vastes et simples au milieu desquels pénètrent les navires, où des procédés expéditifs et économiques de chargement et de déchargement permettent sans peine et sans dépense la manutention de grandes masses de denrées, où des magasins spacieux, bien aérés ou bien clos selon les besoins, reçoivent et conservent tout ce qu’on leur confie, où le commerce est garanti des chances de vol si fréquentes sur les quais ouverts des ports, et où enfin la douane a toute sûreté contre la contrebande. C’est ce que les Anglais ont multiplié chez eux sous le nom de docks, et ce que possédaient les Hollandais avant les Anglais. Marseille n’a pas encore de docks ; le Havre, Bordeaux, Nantes, pas davantage. La France n’en possède pas un seul. On en compte douze ou quatorze, je crois, dans la seule ville de Liverpool. A Marseille, les marchandises vont s’entreposer dans des magasins particuliers épars dans la ville, qu’on nomme des domaines, et les propriétaires des domaines, avec la hardiesse qu’affichent de nos jours les intérêts privés dans l’exaltation de leur égoïsme, soutiennent imperturbablement qu’un dock serait une calamité pour Marseille. Ils ont des auxiliaires puissans dans la très respectable compagnie des portefaix, qui est investie d’un privilège exactement pareil à celui qu’avaient à Rouen les quatre-vingt-dix officiers du roi, porteurs, chargeurs et déchargeurs de grains, dont Turgot fit justice, avec cette différence que le monopole des portefaix marseillais s’étend à toutes les marchandises. La conséquence de ce régime est facile à deviner : les frais d’entrepôt sont à Marseille huit ou dix fois ce qu’ils devraient être, et les grains ne viennent s’y entreposer que parce qu’ils ne peuvent faire autrement. Les frais perçus au profit des seuls portefaix pour l’entrée et la sortie d’un sac de blé, dont la valeur, tous droits de douane à part, n’est quelquefois que de 16 à 17 francs, sont de 1 fr. 55 cent. ; avec un droit municipal de mesurage, ils vont à 1 fr. 75 cent. ; c’est plus de 10 pour 100 de la valeur de la marchandise. A Gênes et à Livourne, où l’on n’emploie peut-être pas les moyens les plus perfectionnés, la totalité des frais que supporte un sac de blé ne dépasse pas 35 cent.

L’usage s’est établi dans le monde depuis quelque temps de moudre en entrepôt. Par là, des blés récoltés dans des pays où les arts mécaniques sont peu avancés viennent chez des peuples plus manufacturiers recevoir une façon, solder une main-d’œuvre, et puis, sous la forme de farine, offrir à la marine marchande une matière d’exportation d’un débit commode. Tout se passe à l’entrepôt, au-delà de la ligne des douanes, et par conséquent les blés ne supportent aucun droit, ce qui rend l’opération plus facile. Nous qui excellons aujourd’hui dans l’art du meunier et qui avons sur le littoral des villes populeuses, nous devrions encourager la mouture à l’entrepôt, lui faire même quelques faveurs. Ce serait un moyen de plus d’occuper les bras, et, ce qui est plus précieux encore, d’attirer chez nous en entrepôt une grande quantité de blés étrangers qui, en cas de besoin, nous approvisionneraient nous-mêmes. Jusqu’à présent nous nous en sommes bien gardés. La faculté de moudre à l’entrepôt n’est accordée exceptionnellement qu’à Marseille et peut-être à deux ou trois autres villes tout au plus. Cette, qui est à la fois un port plein de mouvement et une ville industrieuse, l’avait sollicitée : on la lui a refusée. A Marseille même, on la subordonne à des conditions capricieuses, fantasques, contraires à l’intérêt public. Ainsi, à l’origine, la mouture à l’entrepôt s’étendait à toute espèce de blé. Des cultivateurs de l’intérieur ont réclamé sous prétexte que la farine ainsi obtenue était clandestinement introduite dans la consommation française, ce qui est difficile à croire, et ce qu’il serait facile de prévenir. C’est fort dommageable, ont-ils dit, parce que ces farines sont d’une qualité supérieure et nous empêchent de vendre les nôtres. L’administration, faisant droit à la requête, a limité la faculté de mouture à l’entrepôt. « Elle est retirée, » nous citons textuellement l’ordonnance, « aux richelles (blés supérieurs) de Naples, et généralement aux blés durs venant de la mer Noire et du Danube, de l’Égypte, et autres échelles du Levant, de la Barbarie, du royaume des Deux-Siciles, de la Sardaigne, de l’Espagne, et à tous les autres blés de la même essence non dénommés qui pourraient leur être assimilés. » Ainsi, parce que la qualité des blés étrangers introduits, par exception et assurément en très petite quantité, en contrebande pouvait donner lieu aux populations de s’apercevoir que certains blés indigènes étaient mauvais, voilà qu’on interdit aux moulins en entrepôt de travailler les meilleurs blés du dehors, aux navires français de se procurer ainsi un chargement de farines supérieures, et on condamne la mouture en entrepôt et le commerce maritime à se restreindre aux produits inférieurs. On ne sait ce qui doit le plus surprendre, de l’audace de l’intérêt privé qui adresse de semblables réclamations, ou de la pusillanimité de l’autorité qui y cède.

Un moyen d’accroître encore les approvisionnemens de blé sur notre sol serait de faire exception pour cette denrée à quelques-unes des dispositions de nos lois de navigation. Pour encourager notre marine marchande, nous nous sommes mis à établir des surtaxes sur le pavillon étranger, et peu de mois se passent sans que le Moniteur publie quelque nouvelle ordonnance à cet effet. La décadence de notre navigation ne paraît que s’en accélérer, et, si c’était le lieu ici, je dirais comment, dans la plupart des cas, on devait s’y attendre. On pourrait déroger pour les blés à ce prétendu encouragement. Ce serait aussi le cas d’examiner une autre clause de notre législation maritime qui nous force à aller chercher en Amérique les provenances de ce pays, et nous interdit de les prendre à Liverpool ou à Londres, lorsqu’elles y sont à meilleur marché. Par cette disposition, fort efficace sur le papier pour le développement de notre marine marchande, on contraint nos fabricans de Rouen, de Saint-Quentin, de Mulhouse, de payer le coton beaucoup plus cher quelquefois, et on ne fait pas mettre en mer un brick de plus sous pavillon français, parce que tout le coton que nous consommons nous arrive sur des navires américains. En vertu de cette même clause, nos populations de l’Artois et de la Picardie voyaient, il y a deux mois, le blé des États-Unis à bon marché en face d’elles, dans les entrepôts anglais, sans pouvoir en aller chercher, pendant que la mercuriale était élevée chez nous. L’administration a eu le bon esprit, après de vives plaintes des populations, de suspendre sur ce point les lois de navigation. Il serait à désirer que ce régime provisoire devînt définitif au moins pour les blés ; notre navigation elle-même ne peut qu’y gagner, car il y a bien plus de chances pour que des navires français aillent de Dunkerque ou de Boulogne charger des grains en Angleterre, qu’il n’y en a pour que nous enlevions aux Américains le transport direct d’une partie appréciable de leurs blés.

Je résume ainsi les propositions qui précèdent : abandon de l’échelle mobile ; établissement d’un droit fixe, uniforme, pour tout le territoire, de 2 fr. environ par hectolitre, à l’entrée seulement, et modification correspondante du droit sur les farines ; dans un délai de quelques années, on déciderait s’il n’y a pas lieu d’abandonner le droit fixe lui-même ; dès à présent franchise complète du maïs ; construction de docks dans nos principaux ports et autorisation de la mouture en entrepôt sans restriction ; suppression des surtaxes de navigation sur les blés ; admission sans distinction d’origine des blés venant des entrepôts d’Europe.

Plus d’un agriculteur réclamera, je ne l’ignore pas, contre ces idées. On dira que l’agriculture a besoin d’être protégée, qu’elle est écrasée d’impôts, et que, si le prix des grains n’est pas soutenu, sa ruine est imminente. Oui, assurément, l’agriculture a droit à toute la bienveillance du gouvernement ; mais, de toutes les formes que peut prendre la protection, celle qui consiste à enchérir artificiellement les denrées, et à mettre un impôt sur le consommateur au profit de telle ou telle classe de producteurs, est la pire. Elle est la moins intelligente, puisqu’elle étend ses bienfaits à l’inertie et à l’indolence aussi bien qu’à l’homme industrieux qu’anime le feu sacré du progrès. Les seuls encouragemens qui soient valables sont ceux qui perfectionnent le travail en lui-même. J’appelle une protection qu’un gouvernement éclairé peut avouer et qu’un agriculteur peut recevoir la tête haute, toute mesure administrative qui fera venir, par l’effet d’un travail bien ordonné, dix hectolitres de blé là où l’on n’en récoltait que cinq, qui tendra à accroître la puissance du travail du cultivateur ou l’énergie productive des terres, ou qui fera dériver vers l’agriculture les capitaux qu’elle cherche et qu’elle ne trouve pas. Le reste est ou une aumône ou un tribut que la loi peut imposer au pays, mais que la raison et l’équité ne sauraient admettre.

Dans le système dit protecteur, l’agriculture est dupée, car elle y perd plus qu’elle n’y gagne. Ce qu’elle paie aux autres industries protégées n’est point balancé, à beaucoup près, par ce qu’elle en reçoit. Si l’on compare la prime perçue par le cultivateur qui se livre à la production des bêtes à cornes à celle qui est attribuée aux maîtres de forges, et si on l’évalue par rapport au capital mis dehors, on trouve que les parts respectives sont dans le rapport de l à 80. Nos producteurs de grains, sont naturellement protégés par le trajet que le blé étranger est forcé de parcourir avant de s’embarquer, par le voyage qu’il subit au travers des mers, par les frais de débarquement et d’entrepôt qu’il supporte, par la distance qu’il parcourt depuis le port de débarquement avant d’atteindre le consommateur de l’intérieur. C’est pourtant de quelque importance. Que si l’agriculture est dans une situation plus digne de pitié que d’envie, si elle est écrasée par l’impôt, rongée par l’usure, si le personnel qu’elle emploie est malhabile, si, au milieu de toutes les grandes entreprises d’intérêt public dont le gouvernement fait les frais, il n’en est, pour ainsi dire, aucune qui lui profite directement, à qui faut-il s’en prendre ? L’agriculture peut-elle dire, la main sur la conscience, qu’elle n’a aucun reproche à se faire ? « Mes amis, dit le bonhomme Richard, il est certain que les impôts sont très lourds si nous n’avions à payer que ceux que le gouvernement met sur nous, nous pourrions les trouver moins considérables ; mais nous en avons beaucoup d’autres qui sont bien plus onéreux pour quelques-uns d’entre nous. L’impôt de notre paresse nous coûte le double de la taxe du gouvernement ; notre orgueil le triple, notre folie le quadruple. » Nos cultivateurs ne sont point dévorés d’orgueil, et, au lieu d’être des fous, ils ne manquent pas de sens. Loin de moi la pensée de les signaler comme des fainéans : il n’est que trop vrai qu’ils baignent la terre de leurs sueurs ; mais, tandis que d’autres pèchent par action, ils pèchent par omission. « Dieu aide ceux qui s’aident eux-mêmes, » dit encore le bonhomme Richard. Et comment s’aident-ils ? qu’ont-ils jamais su demander au gouvernement, excepté d’aggraver les droits de douanes, c’est-à-dire de leur faire payer un tribut par leurs concitoyens ? Et les faveurs de ce genre qu’on leur a octroyées n’ont été que des déceptions.

L’agriculture est un corps dans l’état, le corps électoral, le pouvoir suprême, celui devant lequel toutes les ambitions, toutes les puissances viennent courber le front. Quel usage fait-elle cependant d’une si vaste prérogative ? Quoi ! l’usure est pour vous un fléau ; vous le savez, vous proclamez sans cesse que tout propriétaire hypothéqué est un homme perdu, et vous n’avez pas obtenu encore une loi sur le crédit territorial, qui mît la France en jouissance de ce que possède la Prusse depuis le siècle dernier. Vous donnez des mandats impératifs contre Pritchard, et vous n’eûtes jamais la pensée de dire à vos députés que, s’ils reparaissaient devant vous sans cette loi du crédit foncier, vous les casseriez avec une sévérité inexorable. Vous vous plaignez des impôts : qui donc les vote ou les laisse voter ? S’ils sont mal répartis, pourquoi le tolérez-vous ? La population des campagnes ne produit pas au travail la moitié, ni peut-être le tiers de ce que feraient des campagnards de la Grande-Bretagne ; c’est pourquoi nos paysans sont si misérables et les propriétaires fort malaisés. Si vous demandiez avec un peu d’insistance et d’accord qu’une éducation appropriée à leur avenir fût donnée à ces bonnes gens et aux propriétaires eux-mêmes, on s’empresserait de vous satisfaire, car vous êtes les maîtres ; on trouverait de parfaits modèles en Suisse, en Prusse, dans presque tous les petits états de l’Allemagne. Avec un subside annuel égal à la somme que coûte une pièce de vingt-quatre sur son affût, on déterminerait l’ouverture d’une ferme départementale très convenable ; mais vous aimez mieux qu’on fonde indéfiniment des pièces de canon. L’irrigation figure sur les comptes-rendus ministériels pour une dépense annuelle de 15,000 francs une fois, de 25 ou 30 l’année d’après ; pendant ce temps, une somme supplémentaire de 93 millions est affectée au matériel de la marine. Cette proportion entre les dépenses productives et les improductives vous paraît admirable, puisque vous battez des mains. C’est bien, applaudissez encore ; mais ma surprise est qu’en apportant de pareilles dispositions d’esprit à la direction des affaires publiques, dont la loi électorale vous a investis, vous ne soyez pas tombés plus bas encore dans la détresse.

Les gouvernemens ne devront jamais cesser de protéger l’industrie ils s’y adonneront de plus en plus désormais, et l’agriculture, dans leurs efforts comme dans leur pensée, devra, au milieu de tous les arts utiles, occuper la première place ; mais le système de la protection négative, de la protection aveugle, de la protection restrictive qui résulte des douanes, a fait son temps. La civilisation passe sous les drapeaux de la protection positive et éclairée qui convient à des gouvernemens intelligens, amis de la paix, et à des peuples avancés et libres, de la protection qui agit sur la production par les communications et par le crédit, sur les producteurs par l’éducation générale et spéciale. L’agriculture est, de toutes les branches de l’industrie, celle qui est appelée, à retirer le plus de fruit de la substitution de la seconde méthode de protection à la première.

Quant à. la crainte qu’elle éprouve de ne savoir plus que faire de ses blés si la concurrence étrangère avait ses coudées franches, elle saura bientôt ce qu’il faut en penser par l’expérience que la Grande-Bretagne accomplit sur elle-même depuis la loi de sir Robert Peel. Elle apprendra si l’avilissement des prix et la ruine des cultivateurs est la conséquence possible de la liberté, même absolue, car c’est la liberté absolue qui régnera en Angleterre dans deux ans ; ainsi l’épreuve sera complète. Déjà, d’après la tournure que prenaient les affaires avant la crise déterminée par la mauvaise récolte, alors que la situation était ce qu’elle semble devoir être presque toujours, les fermiers, inquiets sur la vente de leur moisson, et les propriétaires, alarmés sur leurs revenus, auraient lieu de se rassurer.

Il est donc permis de penser que, très prochainement, notre agriculture elle-même n’aura plus d’objections à présenter contre la réforme de notre législation des céréales et contre l’adoption d’un nouveau règlement tel que celui qui a été indiqué plus haut.

Il reste à examiner la question de la Banque ; ce sera l’objet d’un prochain article.


MICHEL CHEVALIER.

  1. Le blé et la farine supportent un péage de 3 centimes et un tiers par 1,000 kilog. et par kilom. parcouru, sur le canal Érié. Sur le canal d’Ohio, qui amène dans la direction de New-York les blés de l’état d’Ohio, c’est un peu plus. Sur les canaux français, dont l’administration dispose entièrement, comme le canal de Saint-Quentin, le péage est de 2 centimes ; mais même à 3 centimes et un tiers, un hectolitre, pour le trajet tout entier sur le canal Érié, ne paie que 1 fr. 50 cent. de péage. Il faut y joindre le transport proprement dit et les frais commerciaux.
  2. Il résulte des tableaux publiés par l’administration des canaux de l’état de New-York, que, de 1817 à 1838, l’Hudson a été fermé par les glaces à Albany pendant quatre-vingt-douze jours, moyennement. D’après ces mêmes tableaux, le chômage pour cause de gelée sur le canal Érié a été, d’après une moyenne de six saisons, de cent trente-trois jours par an. Le lac Érié lui-même a ses ports fermés par la gelée. Le port de Buffalo, où le canal Érié débouche dans le lac, est précisément celui de tous qui est ouvert le plus tard. En 1831 et 1835, il ne l’a été que le 8 mai, et en 1829 le 10 mai. En 1828, au contraire il l’a été dès le 1er avril.
  3. M. Anthelmo Costaz, dans son Histoire de l’Administration, tome II, p. 127, fait remonter plus haut la première interdiction de l’exportation des blés. Il la rapporte à l’an 1598, et lui attribue une longue durée.
  4. Introduction aux Œuvres de Turgot ; par Eugène Daire. Édition Guillaumin, t. I, page LXXXIV.
  5. On sait que le sac légal de farine pèse 159 kilogrammes.
  6. Voir sur cette disette de 1811-12 une notice de M. Vincens, conseiller d’état, ancien directeur du commerce intérieur, qui a été inséré dans le Journal des Économistes de 1843.
  7. D’après le Tableau du commerce, en 1844 la France a reçu de l’étranger 412,918 kilogrammes de salaison de porc, dont 264,083 de l’Amérique du Nord. 118,462 kilogrammes seulement, estimés officiellement à 82,924 fr., sont entrés dans la consommation française. Quant aux salaisons de bœuf, il en est arrivé dans nos ports 675,000 kilog., dont 607,127 des États-Unis. 9,844 seulement, évalués à 6,891 fr., sont passés dans la consommation.