De la sagesse des Anciens (Bacon)
Traduction par Antoine de La Salle.
De la sagesse des Anciens15 (p. 125-128).


XXI. Achéloüs, ou le combat.


Suivant une fable très ancienne, Hercule et Achéloüs se disputant la main de Déjanire, la querelle se termina par un combat. Ce dernier, après avoir pris successivement différentes formes, pour résister plus aisément à Hercule (car il avoit la faculté de se transformer ainsi à volonté) se présenta enfin à son adversaire sous celle d’un taureau, dont les mugissemens et les yeux éteincelans inspiroient la terreur, et se prépara au combat sous cette forme : mais Hercule, gardant sa forme ordinaire, fondit aussi-tôt sur lui : ils se combattirent corps à corps ; enfin, Hercule eut l’avantage sur le taureau, et lui rompit une corne. Son adversaire éprouvant des douleurs insupportables, et trop épouvanté pour être tenté de recommencer le combat, racheta sa corne, en donnant en échange à Hercule la corne d’Amalthée, ou d’abondance.

Cette fable a pour objet les expéditions militaires les préparatifs de guerre sont fort variés dans le parti qui est sur la défensive et qui est ici représenté par Achéloüs employant pour sa défense un grand nombre de moyens différens et de précautions ; il se présente, pour ainsi dire, sous plusieurs formes différentes : mais les préparatifs de celui qui fait l’invasion sont fort simples, et il ne se montre que sous une seule forme ; il se présente seulement avec son armée, ou quelquefois peut-être avec sa flotte ; voilà tout : au lieu que celui qui attend l’ennemi sur son propre territoire, prépare et se ménage une infinité de défenses et de ressources. Il fortifie certaines places, en fait démanteler d’autres ; il fait retirer et met en sûreté dans les villes fortifiées et dans les châteaux forts d’assiette, les habitans des campagnes, des bourgs et des petites villes ; rompt les ponts, et même les démolit tout-à-fait ; rassemble toutes ses troupes avec les munitions nécessaires, et les poste en différens lieux ; par exemple, sur les bords des rivières, sur les ports, dans les gorges des montagnes, dans les bois, etc. et fait beaucoup d’autres dispositions de cette nature en sorte que le pays prend chaque jour une face nouvelle, et change, pour ainsi dire, de forme à chaque instant, comme Achéloüs. Enfin lorsqu’il est suffisamment muni, préparé et fortifié, il offre, en quelque manière, l’image d’un taureau terrible et menaçant. Celui qui fait l’invasion cherche l’occasion de livrer bataille, et s’attache principalement à ce but, craignant de manquer de vivres en pays ennemi : si cette occasion se présentant, il sait en profiter, et remporte la victoire ; alors son avantage consiste manifestement en ce que l’ennemi, découragé par sa défaite, ayant perdu sa réputation ; enfin, n’espérant plus pouvoir réparer complètement ses pertes, ni rassembler assez de forces pour lui opposer une nouvelle armée et tenir la campagne, se retire dans les lieux fortifiés et inaccessibles ; lui abandonnant ainsi toutes les villes ouvertes et le plat pays, que l’ennemi ravage et pille, sans trouver d’opposition ce qui est pour lui comme la corne d’Amalthée, ou d’abondance.