De la sagesse/Préface de la seconde Edition

Texte établi par Amaury Duval, Rapilly (tome 1p. xxxi-lx).

PRÉFACE


DE LA SECONDE ÉDITION,


Où est parlé du nom, subject, dessein et méthode de cet œuvre, avec advertissement au lecteur.
Séparateur


[1] IL est icy requis des l’entrée de sçavoir que c’est que sagesse ; et comment nous entendons la traitter en cet œuvre ; puis qu’il en porte le nom et le titre. Tous en général au premier et simple mot de sagesse, conçoivent facilement et imaginent quelque qualité, suffisance ou habitude non commune ny populaire, mais excellente, singulière et relevée par dessus le commun et ordinaire, soit en bien ou en mal : car il se prend et usurpe (peut-estre improprement) en toutes les deux façons : sapientes sunt ut faciant mala [2] : et ne signifie pas proprement qualité bonne et louable, mais exquise singulière, excellente en quoy que ce soit, dont se dit aussi bien sage tyran, pyrate, voleur, que sage roy, pilote, capitaine, c’est à dire suffisant, prudent, advisé : non simplement et populairement, mais excellemment. Parquoy s’oppose a la sagesse, non seulement la folie, qui est un desreglement et desbauche ; et la sagesse est un règlement bien mesure et proportionné : mais encores la bassesse et simplicité commune et populaire ; car la sagesse est relevée, forte et excellente : ainsi sagesse, soit en bien ou en mal, comprend deux choses ; suffisance, c’est la provision et garniture de tout ce qui est requis

et necessaire, et qu’elle soit en haut et fort degré. Voila ce qu’au premier son et simple mot de sagesse, les plus simples imaginent que c’est : dont ils advouent qu’il y a peu de .sages, qu’ils sont rares, comme est toute excellence, et qu’à eux de droit appartient de commander et guider les autres ; que ce sont comme oracles, dont est le proverbe, en croire et s’en remettre aux sages : mais bien définir la chose au vray, et la distinguer par ses parties, tous ne le sçavent, ny n’en sont d’accord, et n’est pas aysé : autrement le commun, autrement les philosophes, autrement les théologiens en parlent : ce sont les trois estages et classes du monde : ces deux procèdent par ordre, regles et preceptes, la première confusément et fort imparfaitement.

Or nous pouvons dire qu’il y a trois sortes et degrés de sagesse, divine, humaine, mondaine, qui respondent à Dieu, nature pure et entiere, nature vitiée et corrompue : de toutes ces trois sortes, et de chacune d’icelles discourent et parlent toutes ces trois classes du monde que nous avons dit, chacune selon sa portée et ses moyens : mais proprement et formellement le commun, c’est à dire, le monde de la mondaine, le philosophe de l’humaine, le théologien de la divine.

La mondaine est plus basse (qui est diverse selon les trois grands chefs de ce bas monde : opu-opu opu-lence, volupté, gloire, ou bien avarice, luxure, ambition : Quidquid est in mundo, est concupiscentia oculorum, concupiscentia carnis, superbia vitœ [3] ; dont est appelée par S. Jacques de trois noms, terrena, animalis, diabolica [4]) est reprouvée par la philosophie, et théologie qui la prononce folie devant Dieu, stultam fecit Deus sapientiam hujus mundi [5] : or n’est il point parlé d’elle en ce livre, que pour la condamner.

La plus haute, qui est la divine, est définie et traittée par les philosophes et théologiens un peu diversement. Je dedaigne et laisse icy tout ce qu’en peut dire le commun, comme prophane, et trop indigne pour estre ouy en telle chose. Les philosophes la font toute spéculative, disent que c’est la cognoissance des principes , premières causes, et plus hauts ressorts de toutes choses, et en fin de la souveraine qui est Dieu, c’est la metaphysique. Cette cy reside tout en l'entende-entende entende-ment, c’est son souverain bien et sa perfection, c’est la première et plus haute des cinq vertus intellectuelles [6], qui peut estre sans probité, action, et sans aucune vertu, morale. Les théologiens ne la font pas du tout tant speculative, qu’elle ne soit aussi aucunement pratique : car ils disent que c’est la cognoissance des choses divines, par lesquelles se tire un jugement et reiglement des actions humaines, et la font double : l’une acquise par estude, et a peu prés celle des philosophes que je viens de dire : l’autre, infuse et donnée de Dieu, desursùm descendens. C’est le premier des sept dons du Sainct Esprit, Spiritus Dominé Spiritus sapientiœ, qui ne se trouve qu’aux justes et nets de peché, in malevolam animant non introibit sapientia [7]. De cette sagesse divine n’entendons aussi parler icy, elle est en certain sens et mesure traittée en ma premiere verité, et en mes discours de la divinité.

Parquoy s’ensuit que c’est de l’humaine sagesse que nostre livre traitte, et dont il porte le nom, de laquelle il faut icy avoir une briefve et generale peinture, qui soit comme l’argument et le sommaire de tout cet œuvre. Les descriptions communes sont diverses et toutes courtes. Au-Au Au-cuns, et la plus part pensent que ce n’est qu’une prudence, discrétion et comportement advisé aux affaires et en la conversation. Cecy est digne du commun, qui r’apporte presque tout au dehors, a l’action, et ne considere gueres autre chose que ce qui paroit : il est tout aux yeux et aux oreilles, les mouvemens internes le touchent et luy poisent fort peu : ainsi selon leur opinion la sagesse peut estre sans pieté et sans probité essentielle ; c’est une belle mine, une douce et modeste finesse. D’autres pensent que c’est une singularité farouche et espineuse, une austerité refrongnée d’opinions, mœurs, paroles, actions, et forme de vivre, qui pource appellent ceux qui sont feruz et touchés de cette humeur, philosophes, c’est a dire en leur jargon, fantasques, bigearres, heteroclites. Or telle sagesse, selon la doctrine de nostre livre, est plustot une folie et extravagance. Il faut donc apprendre que c’est d’autres gens que du commun : sçavoir est des philosophes et theologiens, qui tous deux l’ont traittée en leurs doctrines morales : ceux-là plus au long, et par exprès comme leur vray gibbier, leur propre et formel sujet, car ils s’occupent à ce qui est de la nature, et au faire : la theologie monte plus haut, s’attend et s’occupe aux vertus infuses, théoriques et divines, c’est à dire a la sagesse divine et au croire. Ainsi ceux-là s’y sont plus arrestés et plus es-es es-tendus, reglans et instruisans non seulement le particulier, mais aussi le commun,et le public : enseignans ce qui est bon et utile aux familles, communautés, republiques et empires. La theologie est plus chiche et taciturne en cette part, visant principalement au bien et salut eternel d’un chascun. Davantage, les philosophes la traittent plus doucement et plaisamment, les theologiens plus austeremment et sechement. La philosophie qui est l'ainée, comme la nature est l'ainée de la grâce, et le naturel du surnaturel, semble suader gratieusement et vouloir plaire en profitant, comme la poësie :

... Simul et jucunda, et idonea dicere vitæ....
Lectorem delectando pariterque monendo[8].

Revetue et enrichie de discours, de raisons, invenations, et pointes ingénieuses, exemples, similitudes : parée de beaux dires, apophtegmes, mots sententieux, ornée d’eloquence et d’artifice. La theologie qui est venue après, toute refrongnée, semble commander et enjoindre imperieusement et magistralement : et de fait la vertu et profité des theologiens est toute chagrine, austere, subjette, triste, craintive et populaire : la philosophique, telle que ce livre enseigne, est toute gaye, libre, joyeuse, relevée, et s’il faut dire, enjouée, mais cependant bien forte, noble, genereuse et rare. Certes les philosophes ont esté excellons en cette part, non seulement a la traitter et enseigner, mais encores à la presenter vivement et richement en leurs vies nobles et héroïques. J’entends ici philosophes et sages, non seulement ceux qui ont porté le nom de sages, comme Thales, Solon, et les autres qui ont esté d’une volée, et du temps de Cyrus, Cresus, Pisistratus : ny aussi ceux qui sont venus après, et ont enseigné en public, comme Pythagoras, Socrates, Platon, Aristote, Aristippe, Zenon, Antisthenes, tous chefs de part, et tant d’autres leurs disciples, differents et divisés en sectes ; mais aussy tous ces grands hommes qui faisoient profession singuliere et exemplaire de vertu et sagesse, comme Phocion, Aristides, Pericles, Alexandre, que Plutarque appelle philosophe aussy bien que roy, Epaminondas, et tant d’autres Grecs : les Fabrices, Fabies, Camilles, Catons, Torquates, Regules, Lelies, Scipions, romains, qui pour la plus part ont esté generaux d’armées. Pour ces raisons je suy et employé en mon livre plus volontiers, et ordinairement les advis et dires des philosophes, sans toutesfois obmettre ou rejetter ceux des theologiens : car aussi en substance sont-ils tous d’accord, et fort rarement differents, et la theologie ne dedaigne point d’employer et faire valoir les beaux dires de la philosophie. Si j’eusse entreprins d’instruire pour le cloistre et la vie consiliaire, c’est a dire professions des conseils evangeliques, il m’eust fallu suivre, adamassim, les advis des theologiens ; mais nostre livre instruit à la vie civile, et forme un homme pour le monde, c’est à dire à la sagesse humaine et non divine.

Nous disons donc naturellement et universellement, avec les philosophes et les theologiens, que cette sagesse humaine est une droitture, belle et noble composition de l’homme entier, en son dedans, son dehors, ses pensées, paroles, actions, et tous ses mouvemens ; c’est l’excellence et perfection de l’homme comme homme, c’est à dire selon que porte et requiert la loy premiere fondamentale et naturelle de l’homme, ainsi que nous disons un ouvrage bien fait et excellent, quand il est bien complet de toutes ses pieces, et que toutes les regles de l’art y ont esté gardées : celuy est homme sage qui sait bien et excellemment faire l’homme : c’est a dire, pour en donner une plus particulière peinture, qui se cognoissant bien et l’humaine condition se garde et preserve de tous vices, erreurs, passions, et defauts tant internes, siens et propres, qu’externes, com-com com-muns et populaires ; maintenant son esprit net, libre, franc, universel, considérant et jugeant de toutes choses, sans s’obliger ny jurer a aucune, visant tous jours et se reglant en toutes choses selon nature, c’est a dire la raison, premiere et universelle loi et lumiere inspirée de Dieu, qui esclaire en nous, à laquelle il ploye et accommode la sienne propre et particuliere, vivant au dehors et avec tous, selon les loix, coutumes et ceremonies du pays où il est, sans offense de personne, se portant si prudemment et discretement en tous affaires, allant tousjours droit, ferme, joyeux et content en soy-mesme, attendant paisiblement tout ce qui peut advenir, et la mort en fin. Tous ces traits et parties, qui sont plusieurs, se peuvent pour facilité racourcir et rapporter a quatre chefs principaux, cognoissance de soy, liberté d’esprit nette et genereuse, suyvre nature, (cettuy-cy a très grande estendue, et presque seul suffiroit) vray contentement : lesquels ne se peuvent trouver ailleurs qu’au sage. Celuy qui faut en l’un de ces points, n’est point sage. Qui se mescognoit, qui tient son esprit en quelque espece de servitude, ou de passions, ou d’opinions populaires, le rend partial, s’oblige à quelque opinion particulière, et se prive de la liberté et jurisdiction de voir, juger, examiner toutes choses : qui heurte et va contre nature, soubs quelque pretexte que ce soit, suivant plustost l’opinion ou la passion, que la raison, qui bransle au manche, trouble, inquiété, mal content, craignant la mort, n’est point sage. Voicy en peu de mots la peinture de sagesse et de folie humaine, et le sommaire de ce que je pretends traitter en cet œuvre, spetialement au second livre, qui par exprés contient les regles, traits et offices de sagesse, qui est plus mien que les deux autres, et que j’ai pensé une fois produire seul. Cette peinture verbale de sagesse est oculairement représentée sur la porte et au frontispice de ce livre [9], par une femme toute nue en un vuide ne se tenant a rien, en son pur et simple naturel, se regardant en un miroir, sa face joyeuse, riante et masle, droite , les pieds joints sur un cube, et s’embrassant, ayant soubs ses pieds enchainées quatre autres femmes comme esclaves, sçavoir passion au visage alteré et hydeux ; opinion aux yeux esgarés, volage, estourdie, soutenue par des testes populaires ; superstition toute transsie, et les mains jointes ; vertu ou preud’hominie et science pedantesque au visage enflé, les sourcils relevés, lisant en un livre, où est escript, ouy, non. Tout cecy n’a besoin d’autre explication que de ce que dessus, mais elle sera bien au long au second livre.

Pour acquérir et parvenir à cette sagesse, il y a deux moyens : le premier est en la conformation originelle, et trempe premiere c’est à dire au temperament de la semence des parens, puis

au laict nourricier, et premiere education, d’où l’on est dit bien nay ou mal nay, c’est a dire bien ou mal formé et disposé a la sagesse. L’on ne croit pas combien ce commencement est puissant et important, car si on le savoit, l’on y apporterait autre soin et diligence que l’on ne fait. C’est chose estrange et deplorable qu’une telle nonchalance de la vie, et bonne vie de ceux que nous voulons estre d’autres nous-mesmes. És moindres affaires nous y apportons du soin, de l’attention, du conseil : icy au plus grand et noble, nous n’y pensons point, tout par hazard et rencontre. Qui est celuy qui se remue, qui consulte, qui se met en devoir de faire ce qui est requis, de se garder et preparer comme il faut, pour faire des enfans masles, sains, spirituels, et propres à la sagesse ? Car ce qui sert a l’une de ces choses, sert aux autres, et l’intention de nature vise ensemble a tout cela. Or c’est a quoy on pense le moins ; à peine pense-t-on tout simplement a faire enfans , mais seulement, comme bestes, d’assouvir son plaisir : c’est une des plus remarquables et importantes fautes qui soit en une republique, dont personne ne s’advise, et ne se plaint, et n’y a aucune loy, reglement, ou advis public là dessus. Il est certain que si l’on s’y portoit comme il faut, nous aurions d’autres hommes que nous n’avons. Ce qui est re-re re-quis en cecy, et à la premiere nourriture, est briefvement dit en nostre troisiesme livre, chapitre XVI.

Le second moyen est en l’estude de la philosophie, je n’entends de toutes ses parties, mais de la morale (sans toutesfois oublier la naturelle) qui est la lampe, le guide, et la regle de nostre vie, qui explique et represente très bien la loy de nature, instruit l’homme universellement a tout, en public et en privé, seul, et en compagnie, à toute conversation domestique et civile, oste et retranche tout le sauvagin qui est en nous, adoucit et apprivoise le naturel rude, farouche et sauvage, le duict et façonne à la sagesse. Bref c’est la vraye science de l’homme ; tout le reste au pris d’elle, n’est que vanité, au moins non necessaire, ny beaucoup utile : car elle apprend à bien vivre, et bien mourir, qui est tout ; elle enseigne une preude prudence, une habile et forte preud’hommie, une probité bien advisée. Mais ce second moyen est presque aussi peu pratiqué, et mal employé que le premier : tous ne se soucient gueres de cette sagesse, tant ils sont attentifs à la mondaine. Voilà les deux moyens de parvenir et obtenir la sagesse, le naturel, et l’acquis. Qui a esté heureux au premier, c’est à dire, qui a esté favorablement estrené de nature, et est d’un temperament bon et doux, lequel pro-pro pro-doit une grande bonté et douceur de mœurs, a grand marché du second ; sans grande peine, il se trouve tout porté à la sagesse. Qui autrement, doit avec grand et laborieux estude et exercice du second rabiller et suppléer ce qui luy defaut, comme Socrates un des plus sages disoit de soy, que par l’estude de la philosophie il avoit corrigé et redressé son mauvais naturel.

Au contraire il y a deux empeschemens formels de sagesse, et deux contremoyens ou acheminemens puissans a la folie, naturel, et acquis. Le premier, naturel, vient de la trempe et temperament originel, qui rend le cerveau ou trop mol, et humide, et ses parties grossieres et materielles, dont l’esprit demeure sot, foible, peu capable, plat, ravallé, obscur, tel qu’est la pluspart du commun : ou bien trop chaud, ardent et sec, qui rend l’esprit fol, audacieux, vicieux. Ce sont les deux extremités, sottise et folie, l’eau et le feu, le plomb et le mercure, mal propres a la sagesse, qui requiert un esprit fort, vigoureux, et genereux, et neantmoins doux, soupple, et modeste : toutesfois ce second semble plus aysé à corriger par discipline que le premier. Le second, acquis, vient de nulle ou bien de mauvaise culture, et instruction, laquelle entre autres choses consiste en un heurt et prévention jurée de certaines opinions, desquelles l’esprit s’abbreuve, et prend une forte teinture : et ainsi se rend inhabile et incapable de voir et trouver mieux, de s’eslever et enrichir : l’on dit d’eux qu’ils sont feruz [10] et touches, qu’ils ont un heurt [11] et un coup à la teste : auquel heurt si encores la science est jointe, pource qu’elle enfle, apporte de la presomption et temerité, et preste armes pour soustenir et defendre les opinions anticipées ; elle achevé du tout de former la folie, et la rendre incurable : foiblesse naturelle, et prévention acquise sont desja deux grands empeschemens ; mais la science, si du tout elle ne les guarit ce que rarement elle fait, elle les fortifie et rend invincibles : ce qui n’est pas au deshonneur ny descry de la science, comme l’on pourroit penser, mais plustot a son honneur.

La science est un très bon et utile baston, mais qui ne se laisse pas manier a toutes mains : et qui ne le sçait bien manier, en reçoit plus de dommage que de profit, elle enteste et affolit (dit bien un grand habile homme) les esprits foibles et malades, polit et parfait les forts et bons naturels : l’esprit foible ne sait pas posséder la science, s’en escrimer, et s’en servir comme il faut ; au rebours elle le possédé et le regente, dont il ploye et demeure esclave sous elle, comme l’estomach foible chargé de viandes qu’il ne peut cuire ny digerer : le bras foible qui n’ayant le pouvoir ny l’adresse de bien manier son baston trop fort et pesant pour luy, se lasse, et s’estourdit tout : l’esprit fort et sage le manie en maistre, en jouyt, s’en sert, s’en prevaut a son bien et advantage, forme son jugement, rectifie sa volonté, en accommode et fortifie sa lumiere naturelle, et s’en rend plus habile : ou l’autre n’en devient que plus sot, inepte, et avec cela présomptueux. Ainsi la faute ou reproche n’est point a la science, non plus qu’au vin, ou autre très bonne et forte drogue, que l’on ne pourroit accommoder a son besoin ; non est culpa vini, sed culpa bibentis [12]. Or a tels esprits foibles de nature, preoccupez, enflez, et empeschez de l’acquis, comme ennemis formels de sagesse, je fay la guerre par exprés en mon livre ; et c’est souvent sous ce mot de pedant [13], n’en trouvant point d’autre plus propre, et qui est usurpé en ce sens par plusieurs bons autheurs. En son origine grecque, il se prend en bonne part ; mais és autres langues postérieures, à cause de l’abus et mauvaise façon de se prendre et porter aux lettres et sciences, vile, sordide, questueuse [14], querelleuse, opiniastre, ostentative, et présomptueuse, praticquée par plusieurs, il a esté usurpé comme en derision et injure : et est du nombre de ces mots qui avec laps de temps ont change de signification, comme tyran [15], sophiste, et autres. Le sieur du Bellay après tous vices notés, conclud, comme par le plus grand : mais je hay par sur tout un savoir pedantesque, et encores

Tu penses que je n’ay rien de quoy me vanger,
Sinon que tu n’es faict que pour boire et manger.
Mais j’ay bien quelque chose encore plus mordante,
C’est, pour le faire court, que tu es un pedante[16].

Peut-estre qu’aucuns s’offenseront de ce mot, pensant qu’il les regarde, et que par iceluy j’ay voulu taxer et attaquer les professeurs de lettres et instructeurs ; mais ils se contenteront s’il leur plait de cette franche et ouverte declaration, que je fais icy, de ne designer par ce mot aucun estat de robbe longue, ou profession litteraire, tant s’en faut, que je fais par tout si grand cas des philosophes, et m’attaquerois moy-mesme, puis que j’en suis et en fais profession, mais une certaine qualité et degré d’esprits que j’ay dépeints cy-dessus, sçavoir, qui sont de capacité et suffisance naturelle fort commune et mediocre, et puis mal cultivés, prevenus, et aheurtés a certaines opinions, lesquels se trouvent soubs toute robbe, en toute fortune et condition vestue en long et en court : vulgum tàm chlamidatos ; quàm coronam voco [17] . Que l’on me fournisse un autre mot qui signifie ces tels esprits, je le quitteray [18] très volontiers. Après cette mienne declaration, qui s’en plaindra, s’accusera, et se monstrera trop chagrin. On peut bien opposer au sage d’autres que pedant, mais c’est en sens particulier, comme le commun, le prophane et populaire, et le fais souvent : mais c’est comme le bas au haut, le foible au fort, le plat au relevé, le commun au rare, le valet au maistre, le prophane au sacré : comme aussi le fol, et de fait au son des mots c’est son vray opposite ; mais c’est comme le déréglé au reglé, le glorieux opiniastre au modeste, le partisan à l’universel, le prévenu et atteint au libre, franc, et net, le malade au sain ; mais le pedant, au sens que nous le prenons, comprend tout cela, et encores plus, car il désigné celuy, lequel non seulement est dissemblable et contraire au sage, comme les precedens, mais qui roguement et fièrement luy resiste en face, et comme armé de toutes pieces s’eleve contre luy et l’attaque, parlant par resolution et magistralement. Et pource qu’aucunement il le redoute, à cause qu’il se sent descouvert par luy, et veu jusques au fond et au vif, et son jeu troublé par luy, il le poursuit d’une certaine et intestine hayne, entreprend de le censurer, descrier, condamner, s’estimant et portant pour le vray sage, combien qu’il soit le fol non pareil.

Aprés le dessein et l’argument de cet œuvre, venons à l’ordre et à la methode : Il y a trois livres : le premier est tout en la cognoissance de soy, et de l’humaine condition preparative à la sagesse, ce qui est traitté bien amplement par cinq grandes capitales considerations, dont chascune en a plusieurs soubs soy. Le second contient les traits, offices et regles generales et principales de sagesse. Le tiers contient les regles et instructions particulieres de sagesse, et ce par l’ordre et le discours des quatre vertus principales et morales, prudence, justice, force, temperance : soubs lesquelles est comprise toute l’instruction de la vie humaine, et toutes les parties du devoir et de l’honneste. Au reste je traitte et agis icy non scolastiquement ou pedantesquement, ny avec estendue de.discours, et appareil d’eloquence, ou aucun artifice. La sagesse (quœ si oculis ipsis cerneretur, mirabiles excitaret amores sui [19]) n’a que faire de toutes ces façons pour sa recommandation, elle est trop noble et glorieuse : mais brusquement, ouvertement, ingenuement : ce qui (peut-estre) ne plaira pas à tous. Les propositions et verités y sont espesses, mais souvent toutes seches et crues, comme aphorismes, ouvertures et semences de discours.

Aucuns [20] trouvent ce livre trop hardy et trop libre a heurter les opinions communes , et s’en offensent. Je leur responds ces quatre ou cinq mots. Premierement que la sagesse qui n est commune ny populaire, a proprement cette liberté et authorité, jure suo singulari, de juger de tout (c’est le privilège du sage et spirituel, spiritualis omnia dijudicat, et à nemine judicatur [21]), et en jugeant, de censurer et condamner (comme la plus part erronnées) les opinions communes et populaires. Qui le fera doncq ? Or ce faisant ne peut qu’elle n’encoure la male-grace et l’envie du monde.

D’ailleurs je me plains d’eux et leur reproche cette foiblesse populaire, et délicatesse feminine, comme indigne et trop tendre pour entendre chose qui vaille, et du tout incapable de sagesse : les plus fortes et hardies propositions sont les plus seantes à l’esprit fort et relevé, et n’y a rien d’estrange à celuy qui sçait que c’est que du monde : c’est foiblesse de s’estonner d’aucune chose, il faut roidir son courage, affermir son ame, l’endurcir et acerer à jouyr, sçavoir, entendre, juger toutes choses, tant estranges semblent-elles : tout est sortable et du gibbier de l’esprit, mais qu’il ne manque point a soy-mesme : mais aussi ne doit-il faire ny consentir qu’aux bonnes et belles, quand tout le monde en par-par par-leroit. Le sage monstre egalement en tons les deux son courage : ces delicats ne sont capables de l’un ny de l’autre, foibles en tous les deux.

Tiercement en tout ce que je propose, je ne pretends y obliger personne ; je presente seulement les choses, et les estalle comme sur le tablier. Je ne me metz point en cholere si l’on ne m’en croit, c’est à faire aux pedans. La passion temoigne que la raison n’y est pas, qui se tient par l'une à quelque chose, ne s’y tient pas par l’autre. Mais pourquoy se courroucent-ils ? est-ce que je ne suis pas par tout de leur advis ? Je ne me courrouce pas de ce qu’ils ne sont du mien : de ce que je dis des choses qui ne sont pas de leur goust ny du commun ? et c’est pourquoy je des dis : Je ne dis rien sans raison, s’ils la sçavent sentir et gouster ; s’ils en ont de meilleure qui destruise la mienne, je l’escouteray avec plaisir, et gratification h qui la dira. Et qu’ils ne pensent me battre d’authorité, de multitude d’allegations d’autruy, car tout cela a fort peu de crédit en mon endroit, sauf en matiere de religion, où la seule authorité vaut sans raison : C’est là son vray empire, comme par tout ailleurs la raison sans elle, comme a très bien recogneu saint Augustin. C’est une injuste tyrannie et folie enragée de vouloir assubjettir les esprits à croire et suivre tout ce que les anciens ont dit, et ce que le peuple tient, qui ne sçait ce qu’il dit ny ce qu’il fait : Il n’y a que les sots qui se laissent ainsi mener, et ce livre n’est pas pour eux ; s’il estoit populairement receu et accepté, il se trouveroit bien descheu de ses pretentions : Il faut ouyr, conisiderer et faire compte des anciens, non s’y captiver qu’avec la raison : et quand on les voudroit suivre, comment fera-t-on ? Ils ne sont pas d’accord. Aristote qui a voulu sembler le plus habile, et a entreprins de faire le procez à tous ses devanciers, a dit de plus lourdes absurdités que tous, et n’est point d’accord avec soy-mesme, et ne sçait quelquefois où il en est, tesmoin les matieres de l’ame humaine, de l’éternité du monde, de la generation des vents, et des eaux, etc. Il ne se faut pas esbahir si tous ne sont de mesmee advis, mais bien se faudroit-il esbahir si tous en estoient : Il n’y a rien plus seant à la nature, et a l’esprit humain que la diversité. Le sage divin S. Paul nous met tous en liberté par ces mots : Que chacun abonde en son sens, et que personne ne juge ou condamne celuy qui fait autrement, et est d’advis contraire [22] : et le dit en matiere bien plus forte et chatouilleuse, non en fait et observation externe, où nous disons qu’il se faut conformer au commun, et a ce qui est prescript au coustumier [23] : mais encores en ce qui concerne la religion, sçavoir en l’observance religieuse des viandes et des jours. Or toute ma liberté et hardiesse n’est qu’aux pensées, jugemens, opinions, esquelles personne n’a part ny quart que celuy qui les a chascun en droit soy.

Nonobstant tout cela, plusieurs choses qui pouvoyent sembler trop crues et courtes, rudes et dures pour les simples (car les forts et relevés ont l’estomach assez chaud pour cuire et digerer tout), je les ay pour l’amour d’eux expliquées, esclaircyes, addoucyes en cette seconde edition, reveue et de beaucoup augmentée.

Bien veux-je advertir le lecteur [24] qui entreprendra de juger de cet œuvre, qu’il se garde de tomber en aucun de ces sept mescontes, comme ont fait aucuns en la premiere edition, qui sont de rapporter au droit et devoir ce qui est du fait : au faire ce qui est du juger : à resolution et determination ce qui n’est que proposé, secoué et disputé problematiquement et academiquement : a moy et a mes propres opinions, ce qui est d’autruy, et par rapport : à l’estat, profession et condition externe, ce qui est de l’esprit et suffisance interne : à la religion et creance divine, ce qui est de l’opinion humaine : à la grace et operation surnaturelle, ce qui est de la vertu, et action naturelle et morale. Toute passion et preoccupation ostée, il trouvera en ces sept points bien entendus, de quoy se resoudre en ses doutes, de quoy respondre à toutes les objections que luy-mesme et d’autres luy pourroyent faire, et s’esclaircir de mon intention en cet œuvre. Que si encores après tout, il ne se contente et ne l’approuve qu’il l’attaque hardiment et vivement (car de mesdire seulement, de mordre et charpenter le nom d’austruy, il est assés aisé, mais trop indigne et trop pedant), il aura tot ou une franche confession et acquiescement (car ce livre fait gloire et feste de la bonne foy et de l'ingenuité), ou un examen de son impertinence et folie.

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    réglé en toutes choses, qui se peut trouver avec peu de pieté et preud’hommie, et regarde plus la compaignée et l’autruy que soy-mesme. Mais nous le prenons en sens plus universel, commun et humain, comprenant tant la volonté que l’entendement voire tout l’homme en son dedans et son dehors, en soy seul, en compaignée, cognoissant et agissant. Ainsi nous disons que sagesse est preude prudence, c’est à dire preud’hommie avec habilité, probité bien advisée. Nous sçavons que preud’hommie sans prudence est sotte et indiscrette ; prudence sans preud’hommie n’est que finesse : ce sont deux choses les meilleures et plus excellentes, et les chefs de tout bien ; mais seules et séparées, sont défaillantes, imparfaites. La sagesse les accouple, c’est une droitture et belle composition de tout l’homme. Or elle consiste en deux choses, bien se cognoistre, et constamment estre bien réglé et modéré en toutes choses par toutes choses : j’entends non seulement les externes qui apparoissent au monde, faits et dits ; mais premièrement et principalement les internes, pensées, opinions, creances desquelles (ou la feinte est bien grande, et qui enfin se descouvre) sourdent les externes. Je dis constamment, car les fols parfois contrefont, et semblent estre bien sages. Il sembleroit peut-estre à aucuns qu’il suffiroit de dire que la sagesse consiste à estre constamment bien réglé et modéré en toutes choses, sans y adjouster bien se cognoistre : mais je ne suis pas de cet advis ; car advenant que par une grande bonté , douceur et soupplesse de nature, ou par une attentive imitation d’autruy, quelqu’un se comportat

    moderement en toutes choses, ignorant cependant et mescognoissant soy-mesme, et l’humaine condition , ce qu’il a et ce qu’il n’a pas ; il ne seroit pourtant sage, veu que sagesse n’est pas sans cognoissance, sans discours, et sans estude. L’on n’accordera pas peut-estre cette proposition : car il semble bien que l’on ne peut reiglement et constamment secomporter par-tout sans se cognoistre, et suis de cet advis. Mais je dis que , combien qu’ils aillent inséparablement ensemble, si ne laissent-ils d’estre deux choses distinctes : dont il les faut séparément exprimer en là description de sagesse, comme ses deux offices, dont se cognoistre est le premier, et est dit le commencement de sagesse. Parquoy nous disons sage, celuy qui cognoissant bien ce qu’il est, son bien et son mal, combien et jusques où nature l’a estrené et favorisé et où elle lui a deffailly, estudie par le benefice de la philosophie, et par l’effort de la vertu, à corriger et redresser ce qu’elle luy a donné de mauvais, reveiller et roidir ce qui est de foible et languissant, faire valoir ce qui est bon, adjouter ce qui deffaut, et tant que faire se peut la secourir ; et par tel estude se regle et conduict bien en toutes choses.

    Suivant cette briefve declaration, nostre dessein en cet œuvre de trois livres est premièrement enseigner l’homme à se bien cognoistre, et l’humaine condition, le prenant en tout sens, et regardant à tous visages ; c’est au premier livre : puis l’instruire à se bien regler et modérer en toutes choses ; ce que

    nous ferons en gros par advis et moyens généraux et communs au second livre , et particulièrement au troisiesme, par les quatre vertus morales, soubs lesquelles est comprise toute l’instruction de la vie humaine , et toutes les parties du devoir et de l’honneste. Voilà pourquoy cet œuvre, qui instruit la vie et les moeurs, à bien vivre et bien mourir , est intitulé sagesse, comme le nostre precedent, qui instruisoit à bien croire, a esté appelle vérité, ou bien les trois verités, ayant trois livres en cettuy-cy comme en celuy-là. J’adjouste icy deux ou trois mots de bonne foy ; l’un, que j’ai questé par-cy par-là, et tiré la plus part des matériaux de cet ouvrage des meilleurs autbeurs qui ont traîtté cette matière morale et politique, vraye science de l’homme, tant anciens, spécialement Seneque et Plutarque, grands docteurs en icelle, que modernes. C’est le recueil d’une partie de mes estudes ; la forme et l’ordre sont à moi. Si je l’ay arrangé et ageancé avec jugement et à propos, les sages en jugeront : car meshuy en ce subject autres ne peuvent estre mes juges, et de ceux-là volontiers recevrai la réprimandé ; et ce que j’ay prins d’autruy, je l’ay mis en leurs propres termes, ne le pouvant dire mieux qu’eux. Le second, que j’ay icy usé d’une grande liberté et franchise à dire mes advis, et à heurter les opinions contraires, bien que toutes vulgaires et communément receues, et trop grandes, ce m’ont dit aucuns de mes amys, ausquels j’ay respondu que je ne formois icy ou instruisois un homme pour le cloislre, mais pour le monde, la vie commune et civile ; ny ne faisois icy le théologien, ny le cathe-cathe-

    cathe-drant, ou dogmatisant, ne m'assujettissant scrupuleusement à leurs formes, regles, style, ains usois de la liberté académique et philosophique. La foiblesse populaire, et délicatesse féminine, qui s’offense de cette hardiesse et liberté de paroles, est indigne d’entendre chose qui vaille. A la suite de cecy, je dis encores que je traitte et agis icy non pedantesquement, selon les réglés ordinaires de l’eschole, ny avec estendue de discours, et appareil d’eloquence, ou aucun artifice. La sagesse, quœ si oculis ipsis cerneretur, mirabiles excitaret arnores sui, n’a que faire de toutes ces façons pour sa recommandation , elle est trop noble et glorieuse ; les verites et propositions y sont espesses, mais souvent toutes seches et crues, comme aphorismes ; ouvertures et semences de discours. J’y ay parsemé des sentences latines, mais courtes, fortes et poétiques, tirées de très bonne part, et qui n’interrompent, ny ne troublent le fil du texte françois. Car je n’ay pu encores estre induict à trouver meilleur de tourner toutes telles allégations, en françois (comme aucuns veulent) avec tel dechet et perte de la grâce et energie qu’elles ont en leur naturel et original, qui ne se peut jamais bien représenter en autre langage.

    sur vn Cube, les bras croisez, comme s’embrassant elle mesme, comme se tenant à soy, sur soy, en soy, contente de soy : Sur sa teste vn couronne de Laurier, et d’Oliuier, c’est victoire et paix : vne espace ou vuide à l’entour, qui signifie liberté : se regardant dedans vn miroir assez esloigné d’elle, soustenu d’une main sortant d’un nuage, dans la glacé duquel paroist vne autre femme semblable à elle : Car tousiours elle se regarde et se coguoist. A son costé droit ces mots, IE NE SÇAY, qui est sa devise ; Et au costé gauche ces autres mots : PAIX ET PEU, qui est la devise de l’Autheur signifiée par vne raue mise en pal, entortillée d’un rameau d’Oliuier, et enuironnée de deux branches de Laurier en Ouale.

    « Au dessoubs, y a quatre petites femmes, laides, cbetiues, ridées, enchaisnées, et leurs chaisnes se rendent et aboutissent au Cube qui est soubs les pieds de la Sagesse, qui les mesprise, condamne et foule aux pieds, desquelles deux sont du costé droict de l’inscription du liure, sçauoir Passion et Opinion. La Passion, maigre, au visage tout altéré : l’Opinion, aux yeux esgarez, volage, estourdie, soustenue par nombre de personnes, c’est le Peuple. Les deux autres sont de l’autre costé de l’inscription : sçauoir, Superstition, au visage transi, joignant les mains comme vne seruante qui tremble de peur, Et la Science, vertu ou preud’hommie artificielle, acquise, pedantesque, serue des loix et coustumes, au visage enflé, glorieux, arrogant, auec les sourcils releuez, qui lit en vn liure où y a escrit, OUY, NON, Cette figure est aussi expliquée par le Sonet suiuant.

    SONET.

    La Sagesse est à nud, droicte et sans artifice,
    D’Oliue et de Laurier son chef est verdoyant.

    Son mirouër est tenu des doigs du foudroyant,
    Et s’eslesue au dessus du Cube de justice.

    Sous ses pieds au carcan, les meres de tout vice
    Forcenant de despit, grommelant, aboyant,
    Contr’elîe en vain l’effort de leur rage employant,
    Tant de Sagesse est fort et ferme l’édifice.

    La Passion s’anime impétueusement ;
    Le Peuple fauorise et porte obstinément
    La folle Opinion, sourde aveugle et perverse :

    Tremblante, sans sçauoir, la Superstition
    S’estrangle d’elle mesme ; et la Presomption
    De la Pedanterie est mise à la renverse.

    C. D. F. E. D. B,

    Superanda omnis fortuna ferendo est.

  1. Variante tirée de la préface de la première édition. — Il est requis avant tout œuvre, sçavoir que c’est que sagesse, et comment nous entendons la traitter en ce livre , puis qu’il en porte le nom et le titre. Or dés l’entrée nous advertissons que nous ne prenons icy ce mot subtilement au sens hautain et enflé des théologiens et philosophes (qui prennent plaisir à descrire et faire peinture des choses qui n’ont encores esté veues, et les relever à telle perfection, que la nature humaine ne s’en trouve capable, que par imagination) pour une cognoissance parfaite des choses divines et humaines , ou bien des premières et plus hautes causes et ressorts de toutes choses : laquelle résidé en l’entendement seul, peut-estre sans probité (qui est principalement en la volonté), sans utilité, usage, action, sans compaignée et en solitude ; et est plus que très rare et difficile, c’est le souverain bien et la perfection de l’entendement humain : ny au sens trop court, bas et populaire, pour discretion, circonspection, comportement advisé et bien
  2. « Ils ne sont sages que pour faire le mal ». Jérémie, chap. VI, v. 22.
  3. « Tout ce qui est dans le monde, est concupiscence des yeux, ou concupiscence de la chair, ou orgueil de la vie ». St.-Jean, Épitre I, chap. II, v. 16.
  4. « Terrestre, animale, diabolique ». Ép. de St. Jacques, chap. III, v. 16.
  5. « Dieu a fait de la sagesse de ce monde, une folie ». St.-Paul, aux Corinthiens, Ép. I, chap. III, v. 19. — Ici Charron a altéré le texte. Voici ce qu’on lit dans St.-Paul, loc. cit. : Sapientia enim hujus mundi stultitia est apud Deum, ce qui présente un tout autre sens.
  6. Voyez St. Thomas, I quest. 57, 2 quest. 2, 19.
  7. « La sagesse n’entrera point dans un ame malveillante ». La Sagesse, chap. I, v. 4.
  8. « Dire des choses à la fois agréables, et utiles à la vie..., plaire au lecteur, et lui donner en même temps des avis ». Horace, Art poét. v. 334 et 344.
  9. Dans l’édition de 1604, dans celles des Elzévirs , et dans quelques autres, on voit, au frontispice, la figure que Charron décrit. Nous n’avons pas cru devoir la faire copier. C’est une estampe allégorique assez mal composée : l’explication qu’en donne ici Charron, offre beaucoup plus d’intérêt que l’estampe, qui même n’aura sans doute été exécutée qu’après sa mort, et d’après la peinture verbale que d’avance il en faisait ici. Dans les éditions des Elzévirs , on trouve, à la suite de la préface, une explication encore plus détaillée. Quoique, très probablement elle ne soit point sortie de la plume de Charron, nous la rapporterons comme variante.
    EXPLICATION DE LA GRAVURE.
    « Tout au plus haut, et sur l’inscription du liure, la Sagesse est représentée par une belle femme, toute nuë, sans que ses hontes paroissent, quasi non essent, en son simple naturel, quia puram naluram sequitur, au visage sain, masle, joyeux, riant, regard fort et magistral : corps droit, les pieds joints,
  10. Frappés, atteints de folîe, timbrés.
  11. On dirait aujourd’hui : qu’ils ont martel en tête.
  12. « La faute n’est pas au vin, maïs au buveur ».
  13. Ce mot, ainsi que pedagogue, ne signifiait en effet dans l’origine, que précepteur d’enfant.
  14. Mercenaire, du latin quœstuosa, avide de gain.
  15. On sait qu’en effet tyran était pris en grec autrefois pour roi, quoique le mot soit évidemment dérivé de πίεσης, tourmenter, vexer, pressurer le peuple comme on pressure un fromage, qui se dît τυρί, en grec : ce qui prouve l’opinion peu avantageuse que les anciens peuples républicains avaient de la royauté, puisqu’ils la confondaient avec la tyrannie.
  16. Un pédant.
  17. « J’appelle vulgaire aussi bien ceux qui portent une couronne, que ceux qui ne sont vêtus que d’une chlamide ». Sénèque, de Vitâ beatâ, chap. II.
  18. Je le laisserai pour prendre cet autre mot.
  19. « Laquelle, sî l’on pouvait la contempler des yeux du corps, exciterait en nous de merveilleux transports d’amour ». Cicéron, de Offic. L. I, chap. v. — Cette pensée est de Platon, comme le dit Cicéron lui-même.
  20. Variante. Le dernier alinéa de cette préface, et les trois alinéa commençant à Aucuns trouvent etc., et finissant par ces mots : à qui la dira, formaient l'Advertissement de l'autheur, qui était destiné par lui à être mis en tête de l’édition qu’il donnait en 1603. Bastien l’a mis séparément à la tête de la sienne. L’édition de Dijon a négligé cette variante. Mais cet avertissement ne manque pas à toutes les éditions postérieures à 1601, comme le dit Bastien, puisqu’il se trouve fondu dans cette préface de la deuxième édition.
  21. « L’homme spirituel juge de tout, et n’est jugé de personne». S. Paul, Ep. Ier. aux Corinthiens, chap. II, V. 15.
  22. St. Paul, aux Romains, chap. XIV, V. 5.
  23. Par la coutume, par l’usage.
  24. Voyez la dernière variante.