De la sagesse/Livre III/Chapitre XXXVII

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LIVRE 3 CHAPITRE 37


de la prosperité, et advis sur icelle.

la prosperité qui nous arrive doucement par le commun cours et train ordinaire du monde, ou par nostre prudence et sage conduite, est bien plus ferme et asseurée, et moins enviée que celle qui vient comme du ciel avec esclat, outre et contre l’opinion de tous, et l’esperance mesme de celuy qui en est estrené. La prosperité est très dangereuse : tout ce qu’il y a de vain et leger en l’ame se sousleve au premier vent favorable. Il n’y a chose qui tant perde et fasse oublier les hommes que la grande prosperité, comme les bleds se couchent par trop grande abondance, et les branches trop chargées se rompent : dont il est bien requis, comme en un pas glissant, de se bien tenir et garder, et sur-tout de l’insolence, de la fierté et presomption. Il y en a qui se noyent à deux doigts d’eaue, et à la moindre faveur de la fortune s’enflent, se mescognoissent, deviennent insupportables, qui est la vraye peincture de folie. De là il vient qu’il n’y a chose plus caduque, et qui soit de moindre durée, que la prosperité mal conseillée, laquelle ordinairement change les choses grandes et joyeuses en tristes et calamiteuses, et la fortune d’amoureuse mere se change en cruelle marastre. Or le meilleur advis pour s’y bien porter est de n’estimer gueres toutes sortes de prosperitez et bonnes fortunes, et par ainsi ne les desirer aucunement : si elles arrivent de leur bonne grace, les recepvoir tout doucement et allegrement, mais comme choses estrangeres, nullement necessaires, desquelles l’on se fust bien passé, dont il ne faut faire mise ny recepte, ne s’en hausser ny baisser. (…) ?