De la sagesse/Livre III/Chapitre XXXVI

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LIVRE 3 CHAPITRE 36


De la temperance, quatriesme vertu. de la temperance en general.

temperance se prend doublement en terme general pour une moderation et douce attrempance en toutes choses. Et ainsi ce n’est poinct une vertu speciale, mais generalle et commune ; c’est un assaisonnement de toutes, et est perpetuellement requise, principalement aux affaires où y a de la dispute et contestation aux troubles et divisions. Pour la garder il n’y a que de n’avoir poinct d’intentions particulieres, mais simplement se tenir à son debvoir. Toutes intentions legitimes sont temperées ; la cholere, la hayne, sont au-delà du debvoir et de la justice, et servent seulement à ceux qui ne se tiennent à leur debvoir par la raison simple. Specialement pour une bride et reigle aux choses plaisantes, voluptueuses, qui chatouillent nos sens et nos appetits naturels. Nous la prendrons icy plus au large pour la reigle et le debvoir en toute prosperité, comme la force estoit la reigle en toute adversité, et sera la bride, comme la force l’esperon. Avec ces deux nous dompterons ceste partie brutale, farouche et revesche des passions qui est en nous, et nous nous porterons bien et sagement en toute fortune, et en tous accidens, qui est le haut poinct de sagesse. La temperance a donc pour son subject et object general toute prosperité, chose plaisante et plausible, mais specialement et proprement la volupté, de laquelle elle est retranchement et reiglement : retranchement de la superfluë, estrangere, vicieuse ; reiglement de la naturelle et necessaire : (…). C’est l’authorité et puissance de la raison sur les cupiditez et violentes affections qui portent nos volontez aux plaisirs et voluptez. C’est le frein de nostre ame, et l’instrument propre à escumer les bouillons qui s’elevent par la chaleur et intemperance du sang, affin de contenir l’ame une et egale à la raison, affin qu’elle ne s’accommode poinct aux objects sensibles, mais plustost qu’elle les accommode et fasse servir à soy. Par icelle nous sevrons nostre ame du laict doux des delices de ce monde, et la rendons capable d’une plus solide et succulente nourriture. C’est une reigle, laquelle doucement accommode toutes choses à la nature, à la necessité, simplicité, facilité, santé, fermeté. Ce sont choses qui vont volontiers ensemble, et sont les mesures et bornes de sagesse ; comme au rebours l’art, le luxe et superfluité, la varieté et multiplicité, la difficulté, la maladie et delicatesse, se font compagnie, suyvent l’intemperance et la folie : (…).