De la sagesse/Livre III/Chapitre XXVIII

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Seconde partie. Des maux internes, passions fascheuses. Praeface. De tous ces maux susdicts naissent et sourdent en nous diverses passions et affections cruelles ; car estant iceux prins et considerez tout simplement comme tels, naissent craincte, qui apprehende les maux encore à venir ; tristesse, qui les regarde presens ; et, s’ils sont en autruy, c’est compassion et misericorde. Estant considerez comme venans et procurez par le faict d’autruy, naissent les passions de cholere, hayne, envie, jalousie, despit, vengeance, et toutes celles qui nous font regarder de mauvais oeil ceux qui nous causent du desplaisir. Or ceste vertu de force et vaillance consiste à reiglément et selon raison recepvoir tous ces maux, s’y porter courageusement, et en ce faisant se tenir et garder net et libre de toutes ces passions qui en viennent. Mais pource qu’elles ne subsistent que par ces maux, si, par le moyen e t secours de tant d’advis et remedes cy-dessus apportez, l’on peust vaincre et mespriser tous ces maux, il n’y restera plus aucun lieu à ces passions. Et c’est le vray moyen d’en venir à bout et s’en garantir, ainsi que c’est le meilleur pour esteindre le feu que soubstraire le bois, qui est son aliment. Toutesfois nous ne laisserons d’apporter encore advis particuliers contre toutes ces passions, bien qu’elles ayent esté tellement despeinctes cy-dessus, qu’il est très facile de les avoir en horreur et en hayne. contre la craincte.

prenons loysir d’attendre les maux, peust-estre qu’ils ne viendront pas jusques à nous : nos crainctes sont aussi subjectes à se tromper comme nos esperances. Peust-estre que le temps que nous pensons debvoir apporter de l’affliction, nous ameinera de la consolation. Combien peust-il survenir de rencontres qui pareront au coup que nous craignons ! Le foudre se destourne avec le vent d’un chapeau, et les fortunes des grands estats avec un petit moment. Un tour de roue met en haut ce qui estoit en bas, et bien souvent d’où nous attendons nostre ruine, nous recepvons nostre salut. Il n’y a rien si subject à estre trompé que la prudence humaine. Ce qu’elle espere luy manque, ce qu’elle crainct s’escoule, ce qu’elle n’attend poinct luy arrive. Dieu tient son conseil à part : ce que les hommes ont deliberé d’une façon, il le resoult d’une autre. Ne nous rendons poinct malheureux devant le temps, et peust-estre ne le serons-nous poinct du tout. L’advenir, qui trompe tant de gens, nous trompera aussitost en nos crainctes qu’en nos esperances. C’est une maxime fort celebre en la medecine, qu’ez maladies aiguës les predictions ne sont jamais certaines : ainsi est-il aux plus furieuses menaces de la fortune ; tant qu’il y a vie, il y a esperance : l’esperance demeure aussi long-temps au corps que l’esprit : (…). Mais pource que ceste craincte ne vient pas tousiours de la disposition de nature, mais souvent de la trop delicate nourriture (car, pour n’avoir esté de jeunesse nourry à la peine et au travail, nous apprehendons des choses souvent sans raison), il faut de longue main nous accoustumer à ce qui nous peust plus espouvanter, nous representer les dangers les plus effroyables où nous pouvons tomber, et de gayeté de cœur tenter quelquesfois les hazards, pour y essayer nostre courage, devancer ses mauvaises adventures, et saisir les armes de la fortune. Il nous est bien plus aisé de luy resister quand nous l’assaillons, que quand nous nous deffendons d’elle. Nous avons lors loysir de nous armer, nous prenons nos advantages, nous pourvoyons à la retraicte ; ou, quand elle nous assaut, elle nous surprend et nous choisit comme elle veust. Il faut donc qu’en l’assaillant nous apprenions à nous deffendre ; que souvent nous nous donnions de faulses alarmes, nous nous proposions les dangers qu’ont passé les grands personnages ; que nous nous souvenions comme les uns ont esvité les plus grands, pour ne s’en estre poinct estonnez ; les autres se sont perdus ez moindres, pour ne s’y estre pas bien resolus.