De la sagesse/Livre III/Chapitre XXIV

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LIVRE 3 CHAPITRE 24


du bannissement et exil.

exil est un changement de lieu, qui n’apporte aucun mal, sinon par opinion, et est une plaincte et une affliction purement imaginaire ; car, selon raison, il n’y a aucun mal : par-tout tout est de mesme ; ce qui est comprins en deux mots, nature et vertu. Par-tout se trouve la mesme nature commune, mesme ciel, mesmes elemens. Par-tout le ciel et les estoiles nous paroissent en mesme grandeur, estendue, et c’est cela qui est principalement à considerer, et non ce qui est dessoubs et foulons aux pieds. Aussi ne pouvons-nous voir de terre que dix ou douze lieues d’une veue : (…). Mais la face de ce grand ciel azuré, paré et contre-poincté de tant de beaux et reluisans diamans, se monstre tousiours à nous ; et affin que le puissions tout voir, il tourne continuellement autour de nous, il se monstre tout à tous et en tous endroicts, en un jour, en une nuict. La terre, qui, avec les mers et tout ce qu’elle embrasse, n’est pas la cent soixantiesme partie de la grandeur du soleil, ne se monstre à nous qu’ à l’endroict où nous l’habitons ; mais encore ce changement du plancher de dessoubs n’est rien. Qu’importe estre né en un lieu, et vivre en un autre ? Nostre mere se pouvoit accoucher ailleurs ; c’est rencontre que nous naissions çà ou là. Dadvantage, toute terre porte, produict et nourrit des hommes, fournit tout ce qui est necessaire. Toute terre porte des parens ; la nature nous a tous conjoincts de sang et de charité. Toute terre porte des amis ; il n’y a qu’ à en faire, et se les concilier par vertu et sagesse. Toute terre est pays à l’homme sage, ou plustost nulle terre ne luy est pays. C’est se faire tort, c’est foiblesse et bassesse de cœur de se porter ou penser estranger en quelque lieu. Il faut user de son droict, et par-tout vivre comme chez soy et sur le sien, (…). Et puis quel changement ou incommodité nous apporte la diversité du lieu ? Ne portons-nous pas tousiours nostre mesme esprit et vertu ? Qui peust empescher, disoit Brutus, que le banny n’emporte avec soy ses vertus ? L’esprit ny la vertu n’est poinct subject ou enfermé en aucun lieu, est par-tout egalement et indifferemment ; l’honneste homme est citoyen du monde, libre, franc, joyeux et content par-tout, tousiours chez soy, en son quarré, et tousiours mesme, encore que son estuy se remuë et tracasse : (…). C’est estre chez soy et en son pays, par-tout où l’on se trouve bien. Or se trouver bien ne despend poinct du lieu, mais de soy-mesme. Combien de gens se sont bannis volontairement pour diverses considerations ! Combien d’autres qui, s’estant bannis par la violence d’autruy, puis après rappellez, n’ont poinct voulu retourner, et ont eu leur exil non seulement tolerable, mais doux et voluptueux, et n’ont pensé avoir vescu que le temps qu’ils ont esté bannis, comme ces genereux romains, Rutilius, Marcellus ! Combien d’autres ont esté tirez par la main de la bonne fortune hors leur pays, pour estre grands et puissans en terre estrangere !