De la sagesse/Livre III/Chapitre XVIII

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LIVRE 3 CHAPITRE 18


debvoir des grands et des petits.

le debvoir des grands est en deux choses, prester main forte, et employer leurs moyens et sang à la manutention et conservation de la pieté, justice, du prince, de l’estat, et generallement du bien public, duquel ils doibvent estre les colomnes, le soustien, et puis à la deffense et protection des petits affligez et opprimez, resistant à la violence des meschans, et, comme le bon sang, courir à la partie blessée ; selon le proverbe, que le bon sang, c’est-à-dire noble et genereux, ne peust mentir, c’est-à-dire faillir où il faict besoin. Par ce moyen Moyse se rendit capable d’estre le chef de la nation des juifs, entreprenant la deffense des injuriez et foulez injustement. Hercules fust deïfié delivrant de la main des tyrans les oppressez. Ceux qui ont faict le semblable ont esté dicts heros et demy-dieux ; et à tels tous honneurs ont esté anciennement decernez : sçavoir aux bien meritans du public et liberateurs des oppressez. Ce n’est pas grandeur de se faire craindre et redoubter (sinon à ses ennemis), et faire trembler le monde, comme font aucuns, qui aussi se font hayr : (…). Il vaut mieux estre aymé qu’adoré. Cela vient d’un naturel altier, farouche, dont ils morguent et desdaignent les autres hommes comme l’ordure et la voirie du monde, et comme s’ils n’estoient pas aussi hommes, et de là degenerent à la cruauté, et abusent des petits, de leurs corps et biens : chose toute contraire à la vraye grandeur et noblesse, qui en doibt prendre la deffense. 2 le debvoir des petits envers les grands est aussi en deux choses, les honorer et respecter non seulement par ceremonie et contenance, qui se doibt rendre aux bons et aux meschans, mais de cœur et d’affection, s’ils le meritent et sont amateurs du public. Ce sont deux, honorer et estimer, deubs aux bons et vrayement grands ; aux autres ployer le genouil, faire inclination de corps non de coeur, qui est estimer et aymer ; puis, par humbles et volontaires services, leur plaire et s’insinuer en leurs graces, (…), et se rendre capables de leur protection. Que si l’on ne peust se les rendre amis, au moins ne les avoir pas pour ennemis ; ce qui se doibt avec mesure et discretion. Car trop ambitieusement decliner leur indignation, ou rechercher leur grace, outre que c’est tesmoignage de foiblesse, c’est tacitement les offenser et accuser d’injustice ou cruauté, (…) ; ou bien leur faire venir l’envie de l’exercer et d’exceder, voyant une si profonde et peureuse submission.