De la sagesse/Livre I/Chapitre XLVII

LIVRE 1 CHAPITRE 46 De la sagesse LIVRE 1 CHAPITRE 48



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CHAPITRE LIII [1].

Législateurs, docteurs [2], instructeurs.


SOMMAIRE. — La plupart des législateurs font des plans de gouvernement, qui sont inexécutables, dont l'essai serait quelquefois dangereux. — Il en est à peu près de même des précepteurs de morale ; ils ne font rien de ce qu'ils recommandent de faire aux autres. Ils sont aussi plus rigoureux sur l'observation de petites règles accessoires, que sur l'observation des règles essentielles.

Exemples : les républiques de Platon et de Morus ; l'orateur de Cicéron et le poète d'Horace. — Le souverain législateur des hommes : les théologiens et les médecins.

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[3] C’EST une des vanités de l’homme de prescrire des loix et des reigles qui excedent l’usage et la forme humaine, comme aucuns philossophes et docteurs font. Ils proposent des images de vie rele-rele rele-vées ou bien si difficiles et austeres, que la praticque en est impossible, au moins pour long tems, voire l'essay en est dangereux à plusieurs ce sont des

    auditeurs n’ont esperance aucune, ny bien souvent, qui plus est, la volonté de suyvre. L’homme s’oblige à estre necessairement en faute, et se taille, à son escient, de la besongne plus qu’il ne sçauroit faire : il n’y a si homme de bien, que s’il est examiné selon les loix et debvoirs en ses actions et pensées, qui ne soit capable de mort cent fois. La sagesse humaine n’arrive jamais au debvoir qu’elle-mesme se prescript : outre l’injustice qui est en cecy, c’est exposer en mocquerie et risée toutes choses : il faudroit qu’il y eust plus de proportion entre le commandement et l’obeissance, le debvoir et le pouvoir. Et ces faiseurs de reigles sont les premiers moqueurs ; car ils ne font rien, et souvent tout au rebours de ce qu’ils conseillent, les prescheurs, legislateurs, juges, medecins : le monde vit ainsi ; l’on instruict et l’on enjoinct de suivre les reigles et preceptes ; et les hommes en tiennent un autre, non par desreiglement de vie et mœurs seulement, mais souvent par opinion et par jugement contraire. Autre chose est de parler en chaire et en chambre, donner leçon au peuple, et la donner à soy-mesme ; ce qui est bon et de mise (a) à soy, seroit scandaleux et abominable au commun. Mais Seneque respond à cela : quoties parum fiduciœ est in his in quibus imperas, amplius exigendum est quam satis est ; ut prœstetur quantum satis est : in hoc omnis hyperbole excedit, ut ad verùm mendacio veniat. L. I, chap. 47 de l'édition de 1601.

    (a) Ces deux mots sont écrits demise en un seul mot dans l'éditon de Dijon, ici et page 249. Ce qui est évidement une faute. L'édition de 1601 écrit toujours de mise en deux mots, comme cela doit être.

  1. C'est le quarante-septième de la première édition.
  2. Il y a dans la première édition prescheurs, au lieu de docteurs.
  3. Variantes. C'est une des vanités de l'homme de prescrire des loix et des reigles qui excedent l'usage et la forme humaine ; c'est la coutume des prescheurs et législateurs de proposer des images de vie, que ny le proposent, ny les au-au-