chez Volland, Gattey, Bailly (p. 166-169).


CHAPITRE XXXII.

Insouciance.



S’il était vrai que le cours ordinaire de la vie offrît plus de peines que de plaisirs, ne se soucier de rien serait sans doute de toutes les ressources de la sagesse la plus infaillible. Mais cette première supposition pourroit bien n’être qu’un blasphême de notre ingratitude. Le seul bien d’exister, tant que nous en conservons le sentiment, n’est-il pas au-dessus de tous les maux, de toutes les douleurs qui peuvent troubler notre existence ? Je vois beaucoup plus d’hommes malheureux pour ne pas sentir assez vivement les biens dont ils jouissent, que pour se voir privés de ceux qu’ils désirent.

Pouvons-nous d’ailleurs nous rendre insoucians à volonté lors même qu’il nous conviendrait le plus de l’être ?

N’attacher de prix à rien n’est pas un effort aussi sublime qu’on le pense ; c’est le découragement naturel d’un esclave.

Ce qui suffit à la tranquillité du sage est de n’attacher aux choses que le degré d’intérêt qu’elles méritent, de ne pas trop s’écarter au moins de la juste proportion qui doit exister entre les différentes mesures de notre attachement.

Ce sont les conditions de la vie les plus opposées qui nous disposent à l’insouciance : une extrême richesse comme une extrême misère ; une dépendance absolue comme un pouvoir excessif ; la vieillesse comme l’enfance ; et c’est dans ces conditions si diverses que l’insouciance a précisément les suites les plus fâcheuses ; elle commence par arrêter le développement de nos forces[1], et finit par nous rendre le peu qu’elle nous en laisse tout-à-fait inutile. Le mépris de ce qui nous entoure ne tarde pas à nous conduire au mépris de nous-mêmes, qui est le dernier terme de notre dépravation.

  1. C’est-à-dire, de nos forces morales, car on ne peut disconvenir que les hommes insoucians par principe ou par caractère ne jouissent en général d’une assez bonne santé.