chez Volland, Gattey, Bailly (p. 143-147).


CHAPITRE XXV.

Femmes.



On ne parle guère aujourd’hui de l’amour, mais on parle souvent des femmes, et ce nom si doux se mêle encore aux plus grands intérêts de la vie.

Le plus sûr moyen peut-être pour ne point se laisser avilir par un goût trop vif pour les femmes, c’est de les estimer, de les estimer beaucoup plus qu’elles ne s’estiment elles-mêmes.

Comment ne pas se rendre méprisable en se condamnant sans cesse à mépriser ce que le cœur a besoin d’aimer, de servir, d’adorer ?

Lorsqu’on a dit que le premier bonheur des femmes était de dominer, on n’a dit que la moitié de leur secret. Comment le vain plaisir de dominer les toucherait-il beaucoup en lui-même ? Je les crois déterminées par un sentiment plus naturel, par je ne sais quel instinct qui leur dit ce qui est si vrai, c’est que toutes les fois qu’elles ne dominent point, elles sont mal aimées, puisqu’elles le sont alors sans enthousiasme et sans délicatesse.

Je n’ai point trouvé de Julie ; mais je m’en suis fait quelques-unes. Mon imagination a sauvé ma sensibilité ; les objets ne sont pour nous que ce qu’en fait notre cœur. L’illusion qui ennoblit l’objet de nos désirs, sert à nous rendre moins méprisables à nos propres yeux, tant que cette illusion dure, le sentiment n’est point avili ; et ce sentiment s’éteint aussitôt qu’elle s’évanouit. Je comprends que cette morale n’est pas bonne pour tout le monde ; mais elle allait à ma manière de sentir, à ma manière d’aimer, et m’a réussi.

Le danger le plus inévitable du plus naturel, du plus vif de tous les plaisirs, c’est que l’habitude de s’y livrer n’en fasse un besoin de l’imagination lorsqu’il ne peut plus être ni celui du cœur, ni celui des sens ; alors, au lieu d’animer nos facultés, il les étouffe et les éteint. Toutes les fois que le désir n’est pas en proportion avec nos forces, il les a bientôt épuisées, et je ne conçois guère d’existence plus malheureuse que celle d’un être qui se fatigue sans cesse à suivre l’illusion qui le fuit, et à payer de tout le bonheur dont il pourrait encore jouir, ce vain songe qui l’agite, le tourmente et l’expose aux maux les plus réels, à la perte de son tems, de sa fortune, de sa santé, le plus souvent même à la haine, au mépris des objets dont il achète si chèrement la durée de son erreur.

Pour ne point trop aimer les femmes, lorsqu’on est jeune, peut-être suffirait-il de s’attacher au bonheur d’en aimer une.

Suivez vos désirs sans les exciter jamais, disait le docteur Chirac, vous ne vous ferez aucun mal ; point de drogues seulement, mais souvenez-vous que le changement est une drogue. Vieux, imitez au moins l’exemple de l’Am… de N… ; ne faites point l’amour, achetez-le tout fait ; n’étant plus la dupe de votre cœur, vous commanderez à vos sens avec une liberté qui ne vous coûtera pas de grands efforts.

Plus délicat, conservez votre vieille amie, et vivez de souvenirs.