chez Volland, Gattey, Bailly (p. 157-160).


CHAPITRE XXIX.

Justice.



Être juste, dit-on, c’est rendre à chacun ce qui lui est dû. Mais ce qu’on doit rendre à chacun s’entend-il beaucoup mieux que ce qui est juste ?

L’idée de ce que nous devons à nos semblables est une suite nécessaire de ce premier sentiment de compassion, principe de toute moralité ; et sous ce point de vue, elle embrasse toutes les vertus, depuis la pitié la plus vulgaire jusqu’au dévouement le plus sublime ; c’est l’ensemble qui forme le juste de Platon, le magnanime d’Aristote.

Communément l’on attache au mot de justice un sens moins étendu ; c’est toujours ce que nous devons aux autres, mais ce n’est que ce nous leur devons rigoureusement. Sous ce dernier rapport même, l’idée me paraît n’avoir encore qu’une vérité relative ; ce que nous devons le plus indispensablement aux autres n’est-il pas différemment modifié par notre manière de voir et de sentir, par la mesure de nos besoins et de nos facultés ? Ce qui n’est qu’équitable dans telle ou telle circonstance, ne peut-il pas dans telle autre devenir souverainement injuste ? La diversité de ces modifications est peut-être une des raisons qui ont le plus contribué à ébranler l’autorité de la morale, à faire calomnier ses principes en laissant croire qu’ils ne portaient que sur une base mobile et variable.

Il faut convenir que de toutes les règles de la morale, celles qui concernent la justice ont été le plus altérées par l’influence des opinions reçues ; et la raison en est simple : ce sont les premiers principes moraux dont nos institutions sociales dûrent s’emparer, et il n’est point de législateur qui ne les ait fait plier plus ou moins au systême particulier de ses vues, de ses projets, de son ambition personnelle.

Ce que le vulgaire des hommes entend aujourd’hui par justice, n’est que l’obligation positive de ne jamais s’écarter des lois convenues ou formellement établies.