chez Volland, Gattey, Bailly (p. 201-203).


CHAPITRE XLIII.

Jeunesse.



Quel âge heureux que celui où jouissant de toute la plénitude de notre être, l’horizon de la vie nous paraît immense, celui de nos connaissances sans bornes, où toutes nos passions, toutes nos idées, tous nos goûts, tous nos sentimens semblent animés de cette première sève qui répand au printems sur la nature entière une fraîcheur si vive, et si brillante !

Le plus grand reproche que l’on soit tenté de faire aux progrès de l’état social, à la corruption actuelle de nos mœurs, c’est d’abréger beaucoup trop cette première époque de la vie. Les illusions factices auxquelles on nous livre de si bonne heure nous privent des plus douces illusions de la nature ; et pour vouloir hâter sans nécessité le développement de nos lumières et de notre expérience, on nous ravit bien réellement ce que le bonheur de sentir a de plus touchant, de plus pur et de plus vrai. Dans le monde vous ne voyez que des enfans et des vieillards : rien de si rare que d’y rencontrer un jeune homme.

Notre politique dévore d’avance la subsistance des générations futures ; notre éducation nous fait dévorer de même dès l’entrée de la vie des jouissances qui ne devraient être réservées qu’à l’âge mûr et à la vieillesse. L’abus des anticipations ruine en morale comme en administration.

À l’âge où l’on est si riche des faveurs de la nature, comment ne pas dédaigner celles du luxe et de la fortune ? Dans l’âge de la force et de l’activité, comment ne pas rougir des habitudes que l’on pardonne à peine aux besoins de la vieillesse ? Qui n’a pas l’esprit de son âge, a dit M. de Voltaire, de son âge a tout le malheur.