chez Volland, Gattey, Bailly (p. 93-95).


CHAPITRE XII.

Jalousie.



C’est parmi les passions ce qu’est parmi les maladies la rage, la plus inconcevable dans son principe, la plus difficile à guérir, la plus terrible dans ses effets.

Je ne me souviens pas d’avoir jamais existé plus malheureusement que le tems où j’ai éprouvé quelque atteinte de cette cruelle frénésie ; j’ai fait pour m’en délivrer le plus dangereux de tous les sacrifices, et je rougirais trop de cet aveu, si le souvenir des tourmens dont j’étais déchiré ne m’excusait encore en quelque manière à mes propres yeux.

Ce n’est que d’un extrême amour que peut naître une extrême jalousie. L’homme qui aime ainsi abandonne à l’objet qu’il adore toutes les affections, toutes les facultés, tout le bonheur de son être. Le soupçon ou la certitude, pour lui c’est la même chose, le soupçon ou la certitude qui lui ravit cet objet l’arrache à lui-même, et par le plus profond, le plus sensible de tous les déchiremens. La vengeance de Nessus, le supplice de Prométhée en offrent à peine une assez vive image.

À de tels maux quelle ressource peut laisser la raison ? Je tremble de le dire : quitter la vie, ou, ce qui en fait tout le prix, se résoudre à ne plus rien aimer.