chez Volland, Gattey, Bailly (p. 83-87).


CHAPITRE X.

Perfectibilité.



Il est évident que l’homme est infiniment supérieur à tous les autres animaux, et par le systême général de son organisation, et par l’usage heureux que l’expérience et la société lui ont appris à faire de ses forces et de ses lumières. Mais à quoi tient donc ce degré de perfectibilité qui paraît lui appartenir exclusivement, du moins sous deux rapports frappans ? Le premier, c’est que le terme de ce progrès est à-la-fois plus vague et plus éloigné ; l’autre, que la marche en est plus lente et plus imperceptible. L’extrême différence que l’on peut remarquer entre l’accroissement de l’homme et celui de tous les autres animaux, ne suffirait-elle pas seule pour résoudre le problême ? De tous les êtres organisés, l’homme est sans doute celui dont les forces croissent et se développent avec le plus de lenteur. Il passe à naître la moitié du temps destiné à remplir le cercle borné de son existence, et l’autre à mourir. Le degré de perfection auquel il peut espérer d’atteindre, sans pouvoir être déterminé avec la dernière précision, l’est jusqu’à un certain point pour l’espèce, comme pour l’individu ; et parvenu à ce degré, nous l’avons toujours vu forcé de s’arrêter, ou condamné à décheoir. Qu’en conclurons-nous ? Que l’homme est de toutes les combinaisons organiques la plus ingénieuse, la plus compliquée, la plus parfaite, mais par-là même aussi la plus lente à se former, la plus subtile et la plus frêle. La grande souplesse que conservent ses fibres durant une si longue enfance, la progression graduelle mais insensible et lente de son accroissement, le rendent plus propre sans doute qu’aucun autre animal à recevoir les différentes formes et les différentes modifications dont sa nature peut être susceptible ; elles le rendent donc plus propre qu’aucun autre à participer aux avantages et aux inconvéniens de l’éducation et de la société.

Je pense, comme l’a dit l’Abbé Galiani, que la plupart des animaux ont un organe prédominant qui les subjugue, et qui détermine exclusivement leur instinct ; mais je ne crois pas la règle sans exception, et je ne sais pas non plus si la plupart des hommes ne ressembleraient pas encore à cet égard aux animaux, s’ils fussent demeurés isolés dans les forêts. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’aujourd’hui même, tout dénaturés que nous sommes par nos institutions sociales, nous rencontrons encore assez souvent des hommes qui paraissent déterminés par un ascendant invincible à s’appliquer à une seule chose, et seraient tout-à-fait incapables d’en faire une autre. Comment la Fontaine n’aurait-il pas fait des Contes ou des Fables ? comment Gessner n’aurait-il pas fait des Pastorales ou des Idylles ?