De la monarchie selon la Charte/Chapitre II-50

Garnier frères (Œuvres complètes, tome 7p. 250-253).

CHAPITRE L.
DÉVELOPPEMENT DU SYSTÈME :
COMMENT LE CLERGÉ DOIT ÊTRE EMPLOYÉ DANS LA RESTAURATION.

Lorsque Dagobert fit rebâtir Saint-Denis, il jeta dans les fondations de l’édifice ses joyaux et ce qu’il avoit de plus précieux : jetez ainsi la religion et la justice dans les fondations de notre nouveau temple.

Toutes les propositions de la chambre des députés relativement au clergé non-seulement étoient justes autant que morales, mais encore éminemment politiques. Les esprits superficiels n’ont point vu cela : mais que voient-ils ?

Voulez-vous faire aimer et respecter les institutions nouvelles ? Que le clergé aime et prêche de cœur les institutions. Conduisez-les à l’antique autel de Clovis avec le roi ; qu’elles y soient marquées de l’huile sainte ; que le peuple assiste à leur sacre, si j’ose m’exprimer ainsi, et leur règne commencera. Jusqu’à ce moment la Charte manquera de sanction aux yeux de la foule : la liberté qui ne nous viendra pas du ciel nous semblera toujours l’ouvrage de la révolution, et nous ne nous attacherons point à la fille de nos crimes et de nos malheurs. Que seroit-ce en effet qu’une Charte que l’on croiroit en péril toutes les fois que l’on parleroit de Dieu et de ses prêtres ? une liberté dont les alliés naturels seroient l’impiété, l’immoralité et l’injustice ?

Mais pour que le clergé s’attache à votre gouvernement, levez donc l’espèce de proscription dont il est encore frappé, et qui semble tenir à ce gouvernement même ; faites que celui qui distribue le pain de vie puisse donner la charité au lieu de la recevoir, et que, prenant part lui-même à l’ordre politique, le ministre de Dieu ne soit plus étranger aux hommes.

Ainsi, permettez aux Églises d’acquérir ; rendez-leur le reste des domaines sacrés non encore vendus. Il est prouvé, par l’exemple de la Grande-Bretagne, que l’existence d’un clergé propriétaire n’est point incompatible avec celle d’un gouvernement constitutionnel. Dire que parce que l’Église possédera quelques terres le clergé redeviendra un corps politique en France, c’est une chimère que les ennemis de la religion mettent en avant sans y croire. Ils savent parfaitement combien nos mœurs et nos idées s’opposent aujourd’hui à tout envahissement du clergé. Ne voyons-nous pas des gens tout aussi sincères craindre à présent la puissance de la cour de Rome ? Ceux qui crient aujourd’hui aux papistes, disoit le docteur Johnson, auroient crié au feu pendant le déluge.

On fait valoir la générosité, la patience, la résignation du clergé, qui ne demande rien, qui souffre en silence pendant que tout le monde murmure et réclame quelque chose. Il est curieux d’argumenter de ses vertus pour le laisser mourir de faim ; c’est pour ces vertus mêmes qu’il faut lui donner.

Qui recevra les biens dont je veux qu’on remette la jouissance au clergé ? Les biens n’appartenoient pas aux églises en général : ils étoient le patrimoine particulier d’ordres monastiques, d’abbayes, d’évêchés même qui n’existent plus.

Que j’aime à voir ces tendres sollicitudes et ces soucis vraiment paternels ! Mais rendez toujours, et laissez faire ceux à qui vous aurez rendu. Il est probable que l’Église, qui ne s’entend pas trop mal en administration, trouvera moyen, aussi bien que vous, de gérer et de répartir quelques chétives propriétés.

Le clergé sera donc organisé ; il aura donc un conseil administratif. Quel mal cela vous fera-t-il ? Les villes, les communes, les fabriques, les hôpitaux, ne possèdent-ils pas, n’ont-ils pas aussi des assemblées pour diriger leurs affaires ?

Par cette opération salutaire, le peuple se trouvera d’abord soulagé d’une partie de l’impôt qu’il paye pour le culte. À mesure que les églises acquerront, on diminuera les secours que l’État est obligé de leur fournir.

Le clergé reprendra en même temps cette dignité qui naît de l’indépendance. Devenu propriétaire, ou du moins trouvant une existence honorable dans les propriétés de l’Église, il s’intéressera à la propriété commune. Cet acte de justice l’attachera au gouvernement ; engagé par la reconnoissance, vous aurez bientôt dans vos rangs un auxiliaire dont la force égalera le zèle.

Augmentez ensuite son penchant pour la monarchie nouvelle, en lui rendant, partout où cela sera possible, la tenue des registres de l’état civil.

Quand le législateur peut choisir entre deux institutions, il doit préférer la plus morale à celle qui l’est moins. Le chrétien reçu par un prêtre en venant au monde, inscrit sous le nom et la protection d’un saint à l’autel du Dieu vivant, semble, pour ainsi dire, protester, en naissant, contre la mort, et prendre acte de son immortalité. L’Église, qui l’accueille à son premier soupir, paroît lui apprendre encore que les premiers devoirs de l’homme sont les devoirs de la religion, et ceux-là renferment tous les autres. Ces idées si nobles et si utiles ne s’attachent point aux registres purement civils : c’est un catalogue d’esclaves pour la loi et de conscrits pour la mort.

Il n’y a aucun doute que l’éducation publique ne doive être remise entre les mains des ecclésiastiques et des congrégations religieuses aussitôt qu’on le pourra : c’est le vœu de la France.

Que la pairie appartienne au siège de tous les archevêchés de France ; qu’il y ait dans la chambre des pairs le banc des évêques, comme il existe dans la chambre des lords en Angleterre. Je ne vois rien qui puisse empêcher encore qu’un ecclésiastique soit élu membre de la chambre des députés ; la Charte ne s’y oppose pas, s’il est propriétaire ; cela ne blesseroit ni nos mœurs ni nos souvenirs, puisque le clergé formoit autrefois le premier ordre de nos états généraux, et que nous sommes également accoutumés à l’entendre parler dans la chaire et dans les assemblées politiques.

Je ne doute point que le clergé, tenant au sol de la France par la propriété des églises, prenant une part active à nos institutions civiles et politiques, ne fournît en même temps une classe de citoyens aussi dévoués que nous-mêmes à la Charte. Depuis le commencement de la monarchie jusqu’à nos jours il est incontestable que les talents supérieurs se sont trouvés placés dans l’Église ; elle a fourni nos plus grands ministres, comme elle nous a donné nos plus éloquents orateurs et nos premiers écrivains. Répandus dans le corps social, les prêtres y porteroient une influence salutaire ; ils guériroient les plaies faites par la révolution, apaiseroient le bouillonnement des esprits, corrigeroient les mœurs, rétabliroient peu à peu les idées d’ordre et de justice, déracineroient les fausses doctrines, introduiroient de toutes parts la religion, qui est le ciment des institutions humaines, et la morale, qui donne la perpétuité à la politique.

Mais l’esprit du clergé ne sera-t-il pas en opposition avec l’esprit du gouvernement constitutionnel ? Et depuis quand la religion chrétienne est-elle ennemie d’une liberté réglée par les lois ? L’Évangile n’a-t-il pas été prêché à toute la terre ? N’est-ce pas un de ses caractères divins que de pouvoir s’appliquer à toutes les formes de la société ?

Dans le moyen âge, l’Italie étoit couverte de républiques, et l’Italie étoit catholique comme aujourd’hui. Les trois cantons d’Uri, de Schwitz et d’Underwald ne professent-ils pas également la religion catholique ? Et n’y a-t-il pas déjà quatre siècles qu’ils ont donné à l’Europe barbare l’exemple de la liberté ? En Angleterre, un clergé riche et puissant est le plus ferme appui du trône, comme de la constitution britannique ; et le temps n’est pas éloigné sans doute où le clergé catholique irlandois jouira des bienfaits de cette belle constitution.

Enfin, si vous laissez, comme on l’a fait jusque ici, le clergé en dehors de tout, vous le rendrez nécessairement ennemi, ou du moins indifférent ; une grande partie de l’opinion le suivra, et se détachera de vous. Ce clergé, tout pauvre, tout misérable que vous l’aurez laissé, créera malgré vous un empire dans un empire. Il se rappellera bien plus le rang qu’il occupoit jadis en France quand vous le tiendrez à l’écart que lorsque vous l’aurez admis à tout ce qu’il peut être. S’il se plaignoit alors, ce seroit sans justice, car il faut bien qu’il supporte les modifications éprouvées par les ordres de l’État.

Au reste, lorsque j’insiste, comme premier moyen de salut, sur la nécessité de faire rentrer la religion dans la monarchie, je ne prétends aller ni au delà ni en deçà du siècle : la raison est mon guide, et je sais très-bien ce qui se peut et ce qui ne se peut pas. Sur ce point, j’ai exposé ma doctrine à la chambre des pairs ; qu’il me soit permis de la rappeler.

« Plus le haut rang de la pairie, disois-je en parlant sur la loi des élections, semble nous éloigner de la foule, plus nous devons nous montrer les zélés défenseurs des privilèges du peuple. Attachons-nous fortement à nos nouvelles institutions, empressons-nous d’y ajouter ce qui leur manque. Pour relever l’autel avec des applaudissements unanimes, pour justifier la rigueur que nous avons déployée dans la poursuite des criminels, soyons généreux en sentiments politiques ; réclamons sans cesse tout ce qui appartient à l’indépendance et à la dignité de l’homme. Quand on saura que notre sévérité religieuse n’est point de la bigoterie ; que la justice que nous demandons pour les prêtres n’est point une inimitié secrète contre les philosophes ; que nous ne voulons point faire rétrograder l’esprit humain ; que nous désirons seulement une alliance utile entre la morale et les lumières, entre la religion et les sciences, entre les bonnes mœurs et les beaux arts, alors rien ne nous sera impossible, alors tous les obstacles s’évanouiront, alors nous pourrons espérer le bonheur et la restauration de la France. Trois choses, messieurs, feront notre salut : le roi, la religion et la liberté. C’est comme cela que nous marcherons avec le siècle et avec les siècles, et que nous mettrons dans nos institutions la convenance et la durée. »