De la monarchie selon la Charte/Chapitre II-45

Garnier frères (Œuvres complètes, tome 7p. 241-244).

CHAPITRE XLV.
HAINE DU PARTI CONTRE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS.

Quelque chose dans l’ordre politique, comme dans l’ordre religieux, contrarie-t-il le système des intérêts révolutionnaires, et conséquemment s’oppose-t-il au renversement de la famille légitime, le parti frémit, se soulève, tonne, éclate : de là sa fureur contre la chambre des députés. Quelle pitié d’entendre aujourd’hui les constitutionnels nier l’existence des gouvernements représentatifs, soutenir qu’une chambre de députés doit se réduire à la passive obéissance, combattre la liberté de la presse, préconiser la police, enfin changer entièrement de rôle et de langage ! Ils traitoient d’esprits bornés, d’esclaves, d’ennemis des lumières, ceux qui professoient les principes qu’ils adoptent aujourd’hui. Sont-ils convertis ? Non, c’est toujours le même libéralisme. Mais les doctrines constitutionnelles ont enfin armé la chambre actuelle des députés ; mais cette chambre veut à la fois la liberté et la religion, la constitution et le roi légitime : furieux contre ce résultat de vingt-cinq ans de rébellion, ils ne veulent plus de la chambre. Alors il faut déclamer contre le gouvernement représentatif, parce qu’ils sont arrêtés par sa vigilance ; contre la liberté de la presse, qui ne seroit plus à leur profit, quittes à reprendre les principes libéraux lorsque la dynastie sera changée et qu’on n’aura plus à craindre le rétablissement des autels.

Il faut convenir que la chambre des députés a fait deux choses qui ont dû la faire prendre en horreur aux partisans du système des intérêts révolutionnaires. En bannissant les régicides, en arrêtant la vente des domaines nationaux, elle a arrêté la révolution : comment jamais lui pardonner ?

Aussi que n’a-t-on point tenté pour la détruire après l’avoir tant calomniée ! Élue par les collèges électoraux, choisie parmi les plus grands propriétaires de la France, dans tous les rangs de la société, n’a-t-on pas voulu persuader aux étrangers qu’il n’y avoit personne aux collèges électoraux qui l’ont élue, et qu’elle n’est composée que d’émigrés sans propriétés ? Quel bonheur si au lieu de ces députés fanatiques, qui n’entendent qu’au nom de Dieu et du roi, on avoit pu avoir des révolutionnaires éclairés, souples, qui, rampant sous l’autorité, n’auroient opposé aucune résistance aux volontés des ministres jusqu’au jour où, tout étant arrangé, ils auroient déclaré, au nom du peuple souverain, que le peuple vouloit changer son maître !

Mille projets ont été formés pour se débarrasser de la chambre : tantôt on vouloit la dissoudre : mais il n’y a pas de loi d’élections ; tantôt on prétendoit en renvoyer un cinquième : mais comment régler les séries ? Et d’ailleurs gagneroit-on quelque chose à cette foible réélection ? Enfin, la passion a été poussée si loin, qu’on a rêvé l’ajournement indéfini des chambres, la suspension de la Charte et la continuation de l’impôt par des ordonnances. Nous avons vu dans le journal officiel de la police l’éloge d’un ministère étranger qui a remis à un autre temps la constitution promise, qui gouverne seul avec une modération parfaite, paye scrupuleusement les dettes de l’État, et se fait adorer du peuple. Entendez-vous, peuple françois, peuple grossier ?

...Quoi ! toujours les plus grandes merveilles
Sans ébranler ton cœur frapperont tes oreilles !

Une chambre de bons jacobins, qu’on appelleroit des modérés, ou point de chambres, voilà le système du parti. Dans l’une ou l’autre chance, il y a tout à gagner pour lui : avec des modérés de cette nature, on peut tout détruire ; avec un ministère à soi, on arrive également à tout. Bientôt ces libéraux qui poussent à l’arbitraire, feroient un crime à la couronne de cet arbitraire qu’ils conseillent.

Je frémis en déroulant un plan si bien ordonné, et dont le résultat est infaillible, à moins qu’on ne se hâte d’y apporter remède. Qui ne seroit inquiet en voyant une armée qui manœuvre si bien, qui mine, attaque, envahit, fait usage de toutes les armes, enrôle les ambitieux et séduit les foibles, qui se donne les honneurs d’une opinion indépendante, en prêchant l’autorité absolue ; faction pourtant sans talents réels, mais douée d’astuce ; faction lâche, poltronne, facile à écraser, que l’on peut faire rentrer en terre d’un seul mot, mais qui, lorsqu’elle aura tout gangrené, tout corrompu, lorsqu’il n’y aura plus de danger pour elle, lèvera subitement la tête, arrachera sa couronne de lis, et prenant le bonnet rouge pour diadème, offrira cette pourpre à l’illégitimité ?

Mais comment pouvez-vous croire, me dira-t-on, que tels et tels hommes, si connus par leurs sentiments royalistes, par leurs actions même, par leur caractère moral et religieux, parce qu’ils sont dans un système politique contraire au vôtre, entrent dans une conjuration contre les Bourbons ?

Cette objection est grande pour ceux qui n’y regardent pas de près et qui jugent sur les dehors ; la réponse est facile.

Celui-ci donc a servi le roi toute sa vie ; mais il est ambitieux, il n’a point de fortune, il a besoin de places, il a vu la faveur aller à une certaine opinion, et il s’est jeté de ce côté. Celui-là avoit été irréprochable jusqu’aux Cent Jours ; mais pendant les Cent Jours il a été foible, et dès lors il est devenu irréconciliable ; on punit les autres de la faute qu’on a faite, surtout quand cette faute décèle autant le manque de jugement que la foiblesse du caractère ; les grands intérêts sont moins ennemis des Bourbons que les petites vanités.

Tel pendant les Cent Jours a été héroïque, mais depuis les Cent Jours son orgueil a été blessé, une querelle particulière l’a fait passer sous les drapeaux qu’il a combattus. Tel est religieux, mais on lui a persuadé qu’en parlant à présent des intérêts de l’Église on manquoit de prudence, et qu’on nuisoit à ces intérêts par trop de précipitation. Tel chérit la monarchie légitime, mais abhorre la noblesse et n’aime pas les prêtres. Tel est attaché aux Bourbons, les a servis, les serviroit encore : mais il veut aussi la liberté, les résultats politiques de la révolution, et il s’est mis ridiculement en tête que les royalistes veulent détruire la liberté et revenir sur tout ce qui a été fait. Tel pourroit croire à quelques dangers, s’il n’étoit convaincu que ceux qui les signalent ne crient que parce qu’ils sont mécontents, que parce qu’ils ont été déjoués dans leurs intrigues et leurs ambitions particulières. Tels enfin, et c’est le plus grand nombre, sont frivoles ou pusillanimes, ne veulent que la tranquillité et les plaisirs, craignent jusqu’à la pensée de ce qui pourroit les troubler, et se rangent du côté de la puissance, croyant embrasser le parti du repos.

Toutes ces personnes ne trahissent pas la monarchie légitime, mais elles servent d’instruments à la faction qui la trahit : en les voyant soutenir des hommes pervers et des opinions révolutionnaires, la foule, qui ne raisonne pas, croit que la raison est du côté de ces opinions et de ces hommes pervers. Ils entraînent ainsi par l’autorité de leur exemple et affoiblissent le bataillon des fidèles. Quand l’événement viendra les réveiller ; quand, surpris par la catastrophe, ils s’apercevront qu’ils ont été les dupes des misérables qu’ils protègent, qu’ils ont servi de marchepied à l’usurpation, alors ils se feront loyalement tuer aux pieds du monarque, mais la monarchie sera perdue.