De la monarchie selon la Charte/Chapitre II-32

Garnier frères (Œuvres complètes, tome 7p. 225-226).

CHAPITRE XXXII.
SUR L’INCAPACITÉ PRÉSUMÉE DES ROYALISTES ET LA PRÉTENDUE HABILETÉ DE LEURS ADVERSAIRES.

Enfin, et c’est ici la dernière opinion qui nous reste à examiner, on prétend que les royalistes sont incapables ; qu’il n’y a d’habiles que les hommes sortis de l’école de Buonaparte ou formés par la révolution.

Apporte-t-on quelque raison en preuve de cette assertion ? Aucune ; mais on regarde la chose comme démontrée. « Nous voulons bien des royalistes, nous dit-on ; mais donnez-nous-en que nous puissions employer : faute de quoi nous prendrons les administrateurs de Buonaparte, puisque eux seuls ont du talent. »

Ainsi, l’on remonte encore la chaîne, et l’on retourne au premier anneau : les royalistes ne peuvent être utiles, parce qu’ils manquent de capacité et de savoir : l’épuration est donc impossible, parce qu’on n’auroit plus personne pour administrer. Il faut donc gagner les hommes habiles qu’on est forcé d’employer : donc il faut ménager les intérêts révolutionnaires.

J’ai une question préliminaire à proposer. La plupart de ceux qui ont gouverné la France depuis la restauration étoient-ils des royalistes ? Si l’on répond par l’affirmative, j’avoue que le système qui condamne les serviteurs du roi comme incapables n’est que trop vrai. Les fautes ont été énormes ! Mais il y aura du moins cette petite consolation : si l’incapacité est le caractère distinctif du royalisme, il faut convenir qu’on a calomnié certains administrateurs, lorsqu’on a prétendu qu’ils n’étoient pas attachés à la monarchie : je les tiens pour les sujets les plus fidèles qui furent oncques dans le royaume de saint Louis.

Résout-on la question que j’ai faite par la négative, je demande alors si la manière dont la France a été conduite les deux dernières années prouve que les administrateurs sortis de la révolution sont d’habiles gens. Qu’auroient fait de pis les royalistes, s’ils eussent été appelés au maniement des affaires ? C’est une chose vraiment curieuse que des hommes qui sont tombés au moindre choc, qui n’ont pas fait un pas sans faire une chute, qui ont laissé Buonaparte revenir de l’île d’Elbe et la France périr entre leurs mains, que ces hommes osent se vanter de leur capacité, se donner l’air de mépriser les serviteurs du roi. Et comment pouvez-vous dire que les royalistes sont incapables, puisque vous ne les avez pas employés ? Vous, dont l’administration a été si funeste, vous n’avez pas le droit de les juger dédaigneusement avant de les avoir mis à l’œuvre. Essayez une fois ce qu’ils peuvent : s’ils se montrent plus ignares que vous, s’ils font plus de fautes que vous n’en avez fait, vous reprendrez alors les rênes, et tous vos systèmes seront justifiés.

On peut affirmer une chose : avant l’époque du 20 mars 1815, si toutes les administrations eussent été royalistes, elles n’auroient peut-être pas empêché le retour de l’homme de l’île d’Elbe ; mais, à coup sûr, elles n’auroient ni trahi le roi ni servi l’usurpateur pendant les Cent Jours. Quatre-vingt-trois préfets, imbéciles si l’on veut, mais résistant à la fois sur la surface de la France, seroient devenus assez fâcheux pour Buonaparte. Dans certains cas, la fidélité est du talent, comme l’instinct du bon La Fontaine étoit du génie.