De la monarchie selon la Charte/Chapitre II-29

Garnier frères (Œuvres complètes, tome 7p. 221-222).

CHAPITRE XXIX.
QU’ON NE FAIT PAS DES ROYALISTES PAR LE SYSTÈME DES INTÉRÊTS RÉVOLUTIONNAIRES.

Passons sur un autre champ de bataille.

J’ai dit qu’il falloit faire des royalistes, s’il n’y en avoit pas en France. C’est précisément pour cela, répond-on, que l’on gouverne dans le sens des intérêts révolutionnaires. Le chef-d’œuvre du ministère sera de rattacher au roi tous ses ennemis. On gagnera tous les hommes qui n’ont à se reprocher qu’un excès d’énergie, et qui mettront à défendre le trône la force qu’ils ont mise à le renverser.

Et moi aussi j’ai prêché cette doctrine ; et moi aussi j’ai dit qu’il falloit fermer les plaies, oublier le passé, pardonner l’erreur. Quel éloge n’ai-je point fait de l’armée ! Je dois même le confesser : je suis trop sensible à la gloire militaire, et je raisonne mal quand j’entends battre un tambour. Mais ce que je concevois avant le 20 mars, je ne le conçois plus après. Être un bon homme, soit ! mais un niais, non ! Je serois aussi trop honteux d’être deux fois dupe. Vous prétendez rendre royalistes les hommes qui vous ont déjà perdus ! Et que ferez-vous pour eux qu’on n’eût point fait alors ? Ils occupoient toutes les places, ils dévoroient tout l’argent, ils étoient chargés de tous les honneurs. On donnoit à quelques régicides mille écus par mois pour avoir fait tomber la tête de Louis XVI. Serez-vous plus libéral ? Les Cent Jours ont envenimé la plaie ; il ont ajouté aux passions premières la honte d’avoir tenté sans succès une nouvelle trahison. Par cette raison, la légitimité est devenue de plus en plus odieuse à de certains hommes : ils ne seront satisfaits que par son entière destruction. Je le répéterai : essayer encore après le 20 mars de gagner les révolutionnaires, remettre encore toutes les places entre les mains des ennemis du roi, continuer encore le système de fusion et d’amalgame, croire encore qu’on enchaîne la vanité par les bienfaits, les passions par les intérêts ; en un mot, retomber dans toutes les fautes qu’on a faites après une leçon si récente, une expérience si rude, disons-le sans détour, il faut que quelque arrêt fatal ait été prononcé contre cet infortuné pays.