De la monarchie selon la Charte/Chapitre II-26

Garnier frères (Œuvres complètes, tome 7p. 218-219).

CHAPITRE XXVI.
CONSEILS DES DÉPARTEMENTS.

Le sophisme engendre l’illusion ; l’illusion détrompée produit l’humeur, anime l’amour-propre : on se pique au jeu. Il seroit plus simple de dire : J’ai tort, et de revenir ; mais on ne le fait pas.

Les départements avoient bien reçu leurs députés ; cette réception tendoit à prouver que l’opinion étoit royaliste, mais il restoit une ressource : les conseils des départements alloient s’assembler. S’ils se plaignoient des députés ou ne montroient pour leurs travaux que de l’indifférence, le triomphe étoit encore possible. On eût fait valoir les adresses des conseils ; on se seroit écrié : « Vous le voyez ! nous vous l’avions bien dit. Voilà la véritable opinion de la France. Êtes-vous maintenant convaincus que la chambre n’a point été choisie dans le sens de l’opinion générale, opinion qui est toute dans les intérêts révolutionnaires ? Écoutez les conseils généraux : ils sont les organes de l’opinion publique. »

Qu’est-il arrivé ? Les conseils ont aussi fait l’éloge des députés. Eh bien, les conseils ne sont plus les organes de l’opinion publique. On sait que toutes ces louanges sont des coups montés, des affaires de cabale et de parti. On sait que l’on rédige une adresse comme on veut, etc.

Ordre aux journaux de se moquer des honneurs rendus aux députés ; ordre aux conseils généraux de ne députer personne à Paris, parce qu’on ne veut pas qu’on vienne dire au pied du trône combien la France est satisfaite de ses mandataires. On ne recevra que les adresses des conseils ; et ces adresses, on ne les mettra que par extrait dans Le Moniteur, en ayant soin d’en retrancher tous les éloges de la chambre.

Enfin , comme les conseils votent des remerciements et des témoignages d’estime à leurs députés, ordre encore de n’accorder ces remerciements et ces témoignages d’estime qu’avec la permission de la couronne. Pour motiver cet ordre extraordinaire, il faut faire violence à toute l’histoire ; il faut dire que la couronne eut seule en tout temps le droit de décerner des honneurs, tandis qu’il n’est personne qui ne sache que depuis Clovis jusqu’à nos jours les villes, les corps, les confréries, ont été en possession de ce droit ; jusque-là qu’on tiroit quelquefois le canon pour un écolier qui avoit remporté un prix à l’université.

Et quand il eût été vrai que ce droit n’eût pas existé sous la monarchie absolue, ne dérive-t-il pas tout naturellement de la monarchie constitutionnelle ? Si les départements ont le droit d’élire des députés, n’ont-ils pas celui de dire à ces députés qu’ils sont contents de leurs services ? Quelle pitié que tout cela !

Tel est le fatal esprit du système : quiconque en est possédé ferme les yeux à la vérité. Les hommes de la meilleure foi du monde se donnent l’air de tout ce qui est opposé à la bonne foi ; avec les idées les plus généreuses, ils gouvernent comme Buonaparte, par les moyens les moins généreux. Mais pour administrer ainsi ont-ils la force de Buonaparte ? Les adresses sont connues ; elles arrivent de toutes parts ; chacun les reçoit ; chacun voit pourquoi on cherche à les étouffer : on rit ou l’on rougit, en restant convaincu plus que jamais que la majorité de la chambre des députés est dans le sens de l’opinion de la France.