De la monarchie selon la Charte/Chapitre I-5

Garnier frères (Œuvres complètes, tome 7p. 163-164).

CHAPITRE V.
APPLICATION DU PRINCIPE.

Quand donc les ministres alarment des sujets fidèles, quand ils emploient le nom du roi pour faire passer de fausses mesures, c’est qu’ils abusent de notre ignorance ou qu’ils ignorent eux-mêmes la nature du gouvernement représentatif. Le plus franc royaliste dans les chambres peut, sans témérité, écarter le bouclier sacré qu’on lui oppose, et aller droit au ministère ; il ne s’agit que de ce dernier, jamais du roi.

Et tout cela est fondé en raison.

Car le roi étant environné de ministres responsables, tandis qu'il s’élève au-dessus de toute responsabilité, il est évident qu’il doit les laisser agir d’après eux-mêmes, puisqu’on s’en prendra à eux seuls de l’événement. S’ils n’étoient que les exécuteurs de la volonté royale, il y auroit injustice à les poursuivre pour des desseins qui ne seroient pas les leurs.

Que fait donc le roi dans son conseil ? Il juge, mais il ne force point le ministre. Si le ministre obtempère à l’avis du roi, il est sûr de faire une chose excellente et qui aura l’assentiment général ; s’il s’en écarte et que, pour maintenir sa propre opinion, il argumente de sa responsabilité, le roi n’insiste plus : le ministre agit, fait une faute, tombe ; et le roi change son ministre.

Et quand bien même le roi dans le conseil eût adopté l’avis du ministère, si cet avis entraîne une fausse mesure, le roi n’est encore pour rien dans tout cela : ce sont les ministres qui ont surpris sa sagesse, en lui présentant les choses sous un faux jour, en le trompant par corruption, passion, incapacité. Encore un coup, rien n’est l’ouvrage du roi que la loi sanctionnée, le bonheur du peuple et la prospérité de la patrie.

J’ai appuyé sur cette doctrine, parce qu’elle a été méconnue : on a profité de la passion que la chambre des députés a pour le roi, afin de donner des scrupules à cette chambre admirable. Les députés ont été quelque temps à démêler les véritables intérêts du trône, quand on se servoit du nom même du roi pour l’opposer à ses intérêts. Passons du principe général à quelques détails.