De la manière de négocier avec les souverains/VI

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Chapitre VI
DES AMBASSADEURS,
DES ENVOYEZ,
ET DES RESIDENS.



Chapitre VI. modifier



AVant que d’entrer dans le détail de tous les devoirs des Negociateurs il eſt bon de parler des differens titres qu’on leur donne ; ainſi que des fonctions & des privileges attachez à leurs emplois.

On peut diviſer les Negociateurs en deux eſpeces, du premier & du ſecond ordre ; ceux du premier ordre ſont les Ambaſſadeurs extraordinaires & les Ambaſſadeurs ordinaires & ceux du ſecond ordre ſont les Envoyez extraordinaires & les Reſidens.

Les Ambaſſadeurs extraordinaires reçoivent quelques honneurs & quelques diſtinctions que n’ont pas les Ambaſſadeurs ordinaires. Les Ambaſſadeurs extraordinaires des Couronnes ſont logez & défrayez en France trois jours durant par ordre du Roi dans l’hôtel des Ambaſſadeurs extraordinaires, les Ambaſſadeurs ordinaires ne ſont point logez ni défrayez par le Roi, ils ont d’ailleurs les même honneurs & les mêmes privileges que les Ambaſſadeurs extraordinaires : Les principaux conſiſtent à jouir pour eux & pour leurs domeſtiques de la ſûreté que leur donne le droit des gens à ſe couvrir devant le Roi dans leurs Audiances publiques, parce qu’ils y representent leurs maîtres, à y être conduits dans les caroſſes du Roi & à entrer avec leurs caroſſes dans la derniere Cour du Louvre, ils ont des dais dans leurs chambres d’audiances, leurs femmes ont le tabouret chez la Reine & font mette des hoſſes ſur l’imperiale de leurs caroſſes.

Les Ambaſſadeurs des Dus de Savoyr avoient en France les mêmes honneurs que ceux des Couronnes, pour eux & pour leurs femmes.

Les Ambaſſadeurs du Roi ont differens ceremoniaux ſelon les Coûtumes établies dans les diverſes Cours où ils ſe trouvent, l’Ambaſſadeur de France à Rome donne la main chez lui aux Ambaſſadeurs des Couronnes & d Veniſe, & ne la donne point aux Ambaſſadeurs des autres Souverains, auſquels les Ambaſſadeurs du Roi la donnent dans les autres Cours ; l’ambaſſadeur de France a le premier rang ſur tous les Ambaſſadeurs des autres Couronnes dans toutes les Ceremonies qui ſe font à Rome, après l’Ambaſſadeur de l’Empereur. Ces deux Ambaſſadeurs y reçoivent en tout des traitemens égaux & ſe traitent entre eux avec la même égalité.

Les Ambaſfadeurs des Couronnes à Rome ſont aſſis & découverts durant les Audiances que le Pape leur donne.

Il y a pluſieurs Cours où les Ambaſſadeurs du Roi donnent la main chez eux aux gens qualifiez des pays où ils ſe trouvent, comme à Madrid aux Grands d’Eſpagne & aux principaux Officiers, ç Londres aux Lord Pairs du Royaume, en Suede & en Pologne aux Senateurs, & aux grands Officiers, & ils ne la donnent point en aucun pays aux Envoyez des autres Couronnes.

Le Roi n’envoye point d’Ambaſfadeur aux Electeurs, & il fait negocier avec eux par des Envoyez.

Les Envoyez extraordinaires ſont des Miniſtres publiçs qui n’ont point le droit de repreſentation attache au ſeul titre d’Ambaſſadeur, mais ils jouisſent de la même ſûreté que le droit des gens donne à tous les Miniſtres des Souverains, ils ne font point en France d’entrées publiques comme les Ambaſſadeurs, ils y ſont conduits à l’Audiance du Roi par l’Introducteur des Ambaſſadeurs, qui va les prendre chez eux dans un des caroſſes du Roi, ils parlent au Roi debout & découverts, le Roi étant aſſis & couvert.

L’Empereur reçoit les Envoyez du Roi debout & couvert, & demeure en cet état durant toute l’Audiance, l’Envoyé étant ſeul avec l’Empereur debout & découvert.

Les Electeurs Laïques les reçoivent & leur parlent debout & découverts durant les Audiances publiques qu’ils leur donnent, & ils ſont aſſis & couverts lorſqu’ils ont Audiance des Electeurs Eccleſiaſtiques.

Les Souverains d’Italie ſe couvrent & les font couvrir, excepté le Duc de Savoye, qui ne les faiſoit pas couvrir, avant même qu’il fût parvenu à la Couronne de Sicile, & qui leur parloit debout & couvert eux étant debout & découverts.

Le titre de Plenipotentiaire eſt donné aux Envoyez auſſi bien qu’aux Ambaſſadeurs, ſelon les occaſions, les Miniſtres que le Roi tient à la Diette de Ratisbonne y ont le titre de Plenipotentiaire, quoiqu’ils ne ſoient pas Ambaſſadeurs.

Les Reſidens ſont auſſi des Miniſtres publics, mais ce titre commence à s’avilir depuis qu’on a mis à la Cour de France, & a celle de l’Empereur de la difference entr’eùx & les Envoyez ; cette difference a fait que preſque tous les Miniſtres des Princes qui avoient le titre de Reſident en France, l’ont quitté par ordre de leurs Maîtres qui leur ont donné celui d’Envoyé extraordinaire, cependant ce titre ſubſiſte encore à Rome & en d’autres Cours & Républiques, où les Reſidens ſont traitez comme les Envoyez.

Il y a des Envoyez ſecrets qui n’ont que des Audiances particulieres des Rois ou autres Souverains avec qui ils traitent, & qui doivent jouir de la même ſûreté que les Envoyez publics, & être reconnus pour Miniſtres lorſqu’ils ont rendu les Lettres de creance de leurs Maîtres, qui leur en donnent la qualité.

Il y a encore des Secretaires ou Agens à la ſuite des Cours pour y ſolliciter les affaires de leurs Maîtres ; mais ils n’ont point en France d’Audiance du Roi, ils ne vont qu’à celle du Secreraire d’Etat, ou du Miniſtre chargé des affaires étrangeres, & quoiqu’ils ne ſoient pas regardez comme Miniſtres, ils joüiſſent de la protection & de la ſûreté que le droit de gens accorde aux Miniſtres Etrangers.

Le Roi ne reçoit plus de ſes ſujets en qualité de Miniſtres des autres Princes ; & ils ne peuvent ſe charger de leurs affaires en France, que comme des Agens à la ſuite du Secretaire d’Etat, excepté l’Ambaſſadeur de Malthe, qui eſt d’ordinaire un Chevalier François, le Roi lui fait l’honneur de le Faire couvrir à ſes Audiances publiques, comme repreſentant le Grand-Maître de l’Ordre, qui eſt reconnu pour Souverain.

Il n’y a que les Princes & les Etats Souverains qui ayent droit de donner le caractere d’Ambaſſadeur, d’Envoyé ou de reſident. On appelle Députez ceux que les États d’un pays ou les Magiſtras d’une Ville envoyent à leur Souverain & ils ne ſont point Miniſtres publics ; il ſont ſoumis à ma Juridiction du pays comme les autres Sujets, & ils ne jouiſſent point du privilege du droit des gens, qui ne s’étend que ſur l’étranger & non ſur le Citoyen, mais les Députez des Provinces & des Villes ſujettes doivent être en ſûreté durant leur députation en vertu de la foi publique que les Princes gardent à leur Sujets, ainſi qu’aux particuliers étrangers, qui entre dans leurs États ſur la foir de leurs paſſeports, pourvû que les uns & les autres ne faſſent rien de contraire aux Loix de l’État, & au repos public.

Il y a en Italie quelques Villes ſujettes, qui ont conſervé le droit d’envoyer des Députez avec le titre d’Ambaſſadeur aux Souverains de qui ils dépendent, comme la Ville de Bologne & celle de Ferrare, qui en envoyent au Pape en cette qualité, & la Ville de Meſſine qui envoyoit auſſi des Ambaſſadeurs au Roi d’Eſpagne avant le dernier ſoulevement. Il y en a auſſi en Eſpagne, qui ont conſervé le même privilege, mais ces prétendus Ambaſſadeurs n’ont qu’un nom honorable & un vain titre, ſans pouvoir jouir des privileges qui appartiennent aux veritables Ambaſſadeurs & aux Envoyez d’un Prince ou d’un État Souverain vers un autre Souverain.

Ces Ambaſſadeurs de Villes ou de Provinces ſujettes reſſemblent à ceux que le Peuple Romain recevoit autrefois de la part des Provinces, des Villes & des Colonies ſoumiſes à ſon Empire, auſquels il donnoit le nom de Legati, qu’on donne encore aujourd’hui en latin aux Ambaſſadeurs, & c’eſt cette conformité de Nom qui a donné lieu à l’erreur de pluſieurs juriſconſultes mal inſtruits des droits des Souverains qu’ils confondent avec le Droit Romain, & croyent que les Ambaſſadeurs ſont juſticiables du pays où ils reſident, ſans considerer la difference qu’il y a entre ces Ambaſſadeurs que recevoit le Peuple Romain de la part de ſes Sujets, ou de ſes tributaires, & les Ambaſſadeurs des Princes & des États indépendans qui répréſentent leurs Souverains dans tous les pays où ils les envoyent.

Il y a dans les Villes libres & de commerce comme à Hambourg & à Lubeck, des Marchands qui ſe ſont donner le titre de Commiſſaires de certains Princes ; mais ce ne ſont que des Facteurs & des Commiſſionnaires pour faire leurs achats, recevoir leurs lettres, & faire paſſer de l’argent par lettres de Change, ils ne ſont point reconnus pour Miniſtres, non plus que les Conſuls des Nations établis en pluſieurs Villes maritimes & de commerce, pour juger les differends qui naiſſent entre les Marchands de leur Nation, & qui joüiſſent cependant de divers privileges & de la ſûreté publique que le droit des gens accorde aux Mimiſtres, ils ſont même regardez comme Miniſtres dans les Echelles du Levant, c’eſt-à-dire dans les principales Villes de commerce de l’Aſie & de l’Afrique, comme ſont Alep, Smirne, le Caire, Alexandrie, Thunis, Alger & autres.

Il y a des Negociateurs qui ont voulu introduire un nouveau caractere entre celui d’Ambaſſadeur & celui d’Envoyé, les uns ſous le titre de Commiſſaire-Plenipotentiaire, que prennent les Miniſtres de l’Empereur aux Diettes de l’Empire, & les autres ſous le nom de Député extraordinaire que les Etats Generaux des Provines Unies, donnent à quelques-uns de leurs Miniſtres, mais ceux qui ont ces titres n’ont encore été reconnus que comme des Envoyez, & tout Miniſtre Etranger qui n’a point dans ſa lettre de créance, ou dans ſes pouvoirs le titre d'Ambaſſadeur, quelqu’autre titre qu’on lui donne, n’eſt pas fondé à prétendre à l'’égard du ceremonial public, d’être reçû que comme un Envoyé. Il peut bien obtenir des diſtinctions particulieres par rapport à ſa naiſſance, à ſon credit & au rang qu’il tient auprès du Prince ou de l’Etat qui l’envoye, mail il ne doit pas prétendre les honneurs qui ne ſont dûs qu’aux Ambaſſadeurs, & qu’on ne leur rend qu’à cauſe du droit de repreſentation, qui eſt attaché à ce ſeul titre.

Quoique la qualité d’Ambaſſadeur Extraordinaire ait quelque choſe de plus honorable que celle d'ordinaire, ils ſs font entr’eux des traitements égaux, lorſqu’il y a de l’égalité entre les Princes qu’ils repreſentent ; le titre d’Extraordinaire ne donnant aucune ſuperiorité ſur l’Ambaſſadeur ordinaire, ce dernier cede ſeulement le premier rang à l’Ambaſſadeur extraordinaire de ſon Prince, lorſqu’ils ſe trouvent dans un même Pays avec differens titres, mais un Ambaſſadeur ordinaire d’une Couronne prend la main en lieu tiers ſur un Ambaſſadeur extraordinaire d’une Puiſſance inferieure, & ne cede point à un Ambaſſadeur extraordinaire d’une Puiſſance égale.

Les Envoyez extraordinaires & les Reſidens en uſent de même entr’eux en pareilles occaſions, c’eſt-à-dire, que le Reſident d’un Prince ſuperieur a le pas ſur un Envoyé extraordinaire d’un Prince de moindre rang.

Il n’en eſt pas de même entre les Ambbaſſadeurs & les Envoyez. Un Envoyé d’une Couronne eſt obligé de ceder à un Ambaſſadeur d’un moindre Souverain, en voici un exemple.

Un Envoyé de l’Empereur à la Cour de France, Prit il y a quelques années dans un ſpectacle, la place qui étoit deſtinée à l’Ambaſſadeur ordinaire du Duc de Savoye dans la même Cours, & pretendit qu’il devoit lui être préferé à cauſe de la difference des qualitez de leurs Maîtres : mais la conteſtation fut décidée en faveur de l’Ambaſſadeur, comme ayant un caraüctere ſuperieur ſans avoir égard à la difference des rangs de leurs Princes ; & l’Envoyé de l’Empereur fut obligé de ſortir de la place qu’il avoit occupée pour la rendre à l’Ambaſſadeur de Savoye.

On donne le titre d’Excellence aux Ambaſſadeurs extraordinaires & ordinaires, & on ne le donne point aux Envoyez, à moins qu’ils ne le prétendent par quelqu’autre qualité, comme celle de Miniſtre d’Etat, de Senateur ou de Grand Officier d’une Couronne. Ce titre d’Excellence n’eſt point en uſage à la Cour de France, comme il eſt en Eſpagne, en Italie, en Allemagne & dans les Royaumes du Nord, & il n’y a que les Etrangers qui le donnent en France aux Miniſtres & aux Officiers de la Couronne, & qui le reçoivent d’eux, lorſqu’ils ont des titres, ou des qualitez qui leur donnent droit de le prétendre.