De la manière de négocier avec les souverains/III

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Chapitre III

DES QUALITEZ
ET
DE LA CONDUITE
DU NEGOCIATEUR.



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DIeu ayant fait naître les hommes avec des talens differens, l’un des plus utiles conſeils qu’on puiſſe leur donner, est de ſe bien conſulter eux-mêmes, avant que de choiſir la profeſſion & les emplois auſquels ils ſe deſtinent ; ainſi celui qui veut s’appliquer à negocier les affaires publiques, doit examiner avant que de s’y engager, ſ’il eſt né avec les qualitez neceſſaires pour y réüſſir.

Ces qualitez ſont un eſprit attentif & appliqué, qui ne ſe laiſſe point diſtraire par les plaiſirs, & par les amuſemens frivoles, un ſens droit qui conçoive nettement les choſes comme elles ſont, & qui aille au but par les voyes les plus courtes & les plus naturelles, ſans ſ’égarer à force de rafinement & de vaines ſubtilitez qui rebuttent d’ordinaire ceux avec qui on traite, de la penetration pour découvrir ce qui ſe paſſe dans le cœur des hommes & pour ſavoir profiter des moindres mouvemens de leurs viſages & des autres effets de leurs paſſions, qui échapent aux plus diſſimulez ; Un eſprit fecond en expediens, pour aplanir les difficultez qui ſe rencontrent à ajuſter les interêts dont on eſt chargé ; de la preſence d’eſprit pour répondre bien à propos ſur les choſes imprevûës, & pour ſe tirer par des réponſes judicieuſes d’un pas gliſſant ; une humeur égale, & un naturel tranquille & patient, toûjours diſpoſë à écouter ſans diſtraction ceux avec qui il traite ; un abord toûjours ouvert, doux, civil, agreable, des manieres aiſées & inſinuantes qui contribuent beaucoup à acquerir les inclinations de ceux avec qui on traite, au lieu qu’un air grave & froid, & une mine ſombre & rude, rebute & cauſe d’ordinaire de l’averſion.

Il faut ſur tout qu’un bon Negociateur ait aſſez de pouvoir ſur lui-même pour reſiſter à la demangeaiſon de parler avant que de s’être bien conſulté ſur ce qu’il a à dire, qu’il ne ſe pique pas de répondre ſur le champ & ſans prémedjtation aux propoſitions qu’on lui fait, & qu’il prenne garde de tomber dans le défaut d’un fameux Ambaſſadeur étranger de nôtre tems, qui étoit ſi vif dans la diſpute, que lorſqu’on l’échauffoit en le contrediſant, il reveloit ſouvent des ſecrets d’importance pour ſoutenir ſon opinion.

Il ne faut pas auſſi qu’il donne dans le défaut oppoſé de certains eſprits myſterieux, qui font des ſecrets de rien, & qui ërigent en affaires d’importance de pures bagatelles ; c’eſt une marque de petiteſſe d’eſprit de ne ſavoir pas diſcerner les choſes de conſequence d’avec celles qui ne le ſont pas, & c’eſt s’ôter les moyens de découvrir ce qui ſe paſſe, & d’acquerir aucune part à la confiance de ceux avec qui on eſt en commerce, lorſqu’on a avec eux une continuelle reſerve.

Un habile Negociateur ne laiſſe pas penetrer ſon ſecret avant le temps propre ; mais il faut qu’il ſache cacher cette retenuë à ceux avec qui il traite ; qu’il leur témoigne de l’ouverture & de la confiance, & qu’il leur en donne des marques effectives dans les Choſes qui ne ſont point contraires à ſes deſſeins ; ce qui les engage inſenſiblement à y répondre par d’autres marques de confiance en des choſes ſouvent plus importantes ; il y a entre les Négociateurs un commerce d’avis réciproques, il faut en donner, ſi on veut en recevoir, & le plus habile eſt celui qui tire le plus d’utilité de ce commerce, parce qu’il a des vûës plus étenduës, pour profiter des conjonctures qui ſe préſentent.

Il ne ſuffit pas pour former un bon Négociateur, qu’il ait toutes les lumières, toute la dextérité & les autres belles qualitez de l’eſprit : il faut qu’il ait encore celles qui dépendent des ſentimens du cœur, il n’y a point d’emploi qui demande plus d’élévation & plus de nobleſſe dans les manieres d’agir.

Un Ambaſſadeur reſſemble en quelque maniere à un Comedien, expoſé ſur le theatre aux yeux du Public pour y joüer de grands rôles, comme ſon emploi l’élève au-deſſus de ſa condition & l’égale en quelque ſorte aux Maîtres de la terre par le droit de repréſentation qui y eſt attaché, & par le commerce particulier qu’il lui donne avec eux, il ne peut paſſer que pour un mauvais Acteur s’il n’en ſait pas ſoûtenir la dignitë ; mais cette obligation eſt l’écueil cohtre lequel échoüent pluſieurs Negociareurs, parce qu’ils ne ſavent pas préciſément en quoi elle conſiſte.

Ce n’eſt point à braver par une fotte fierté, ou par rudeſſe d’humeur ceux avec qui on traite, à leur faire des menaces ouvertes, ou indirectes, ſans neceſſité, à avancer des prétentions qui ne tendent qu’a contenter un mauvais orgueil, ou à s’attribuer de nouveaux privileges qui n’ont pour but que le profit particulier de celui qui les exige, & pour lequel il commet ſouvent mal-à-propos l’autorité de ſon Maître.

Tout homme qui entre dans ces ſortes d’emplois avec un eſprit d’avarice, & un deſir d’y chercher d’autres interêts que ceux qui ſont attachez à la gloire de réüſſir & de s’attirer par là l’eſtime & les récompenſes de ſon Maître, n’y ſera jamais qu’un homme très-mediocre ; & ſi quelque negociation importante réüſſït entre ſes mains, on ne doit en attribuer le ſuccès qu’à l’heureuſe conjoncture, qui ſeule lui en aplanit toutes les difficultez.

Pour ſoûtenir la dignité attachée à ces emplois, il faut que celui qui en eſt revêtu, ſoit liberal & magnifique, mais avec choix & avec deſſein ; que ſa magnificence paroiſſe dans ſon train, dans ſa livrée & dans le reſte de ſon équipage ; que la propreté, l’abondance, & même la délicateſſe, regne ſur ſa table : qu’il donne ſouvent des fêtes & des divertiſſemens aux principales perſonnes de la Cour où il ſe trouve, & au Prince même, s’il eſt d’humeur à y prendre part, qu’il tâche entrer dans ſes parties de divertiſſemens, mais d’une maniere agreable & ſans le contraindre, & qu’il y apporte toûjours un air ouvert, complaiſant, honnête & un deſir continuel de lui plaire.

Si l’uſage du Pays où il ſe trouve lui donne un libre commerce avec les Dames ; il ne doit pas negliger de se les rendre favorables en s’attachant à leur plaiſir & à ſe rendre digne de leur eſtime, le pouvoir de leurs charmes s’étend ſouvent juſqu’à contribuer aux reſolutions les plus imporantes d’où dépendent les plus grands évenemens ; mais en réüſſiſſant à leur plaire par ſa magnificence, par ſa politeſſe & même par ſa galanterie, qu’il n’engage pas ſon cœur ; il doit ſe ſouvenir que l’amour eſt d’ordinaire accompagné de l’indiſcretion & de l’imprudence, & que dès qu’il ſe laiſſe aſſujettir aux volontez d’une belle femme, quelque ſage qu’il ſoit, il court riſque de n’être plus le maître de ſon ſecret ; on a vû arriver de grands inconveniens par cette ſorte de faibleſſe, les plus grands Miniſtres ne ſont pas exempts d’y tomber, & il ne faudroit pas ſortir de notre temps, pour en trouver des exemples remarquables.

Comme la voye la plus ſûre de s’acquerir les inclinations du Prince auprès duquel on ſe trouve, eſt de gagner celles des perſonnes qui ont du credt ſur ſon eſprit, il faut qu’un bon Negociateur joigne à des manieres civiles, honnêtes & complaiſantes, certaines dépenſes qui contribuent beaucoup à lui en ouvrir le chemin ; mais il faut qu’elles ſoient faites avec adreſſe, & que les perſonnes à qui on veut faire des préſens, les puiſſent recevoir avec bienſeance & avec ſûreté ; ce n’eſt pas qu’il n’y ait des pays, où on n’a pas beſoin d’un grand art pour les faire accepter ; mais il eſt toûjours de la prudence & de la politeſſe de celui qui les fait, ou qui les procure, d’en augmenter le merite par la maniere de les faire.

Il y a des coûtumes établies dans divers pays qui donnent ſouvent occaſion d’y faire de petits preſens ; ces ſortes de dépenſes quoique d’un prix médiocre, contribuent beaucoup à faire eſtimer un Ambassadeur, & à le rendre agréable dans la Cour Où il ſe trouve, & elles deviennent ſouvent fort utiles, pour y faire réüſſir les affaires dont il eſt chargé.

Il faut encôre qu’un habile Négociateur ne neglige pas de s’acquerir par des ratifications & des penſions ſecretes certaines gens qui ont plus d’eſprit que de fortune, qui ont l’art de s’inſinuer dans toutes les Cours, & deſquels il peut tirer de grandes utilitez quand il les ſait bien choiſir. On a vû des Muſicien & des Chanteuſes, qui par les entrées qu’ils avoient chez certains Princes & chez leurs Miniſtres, ont découvert de trèſ-grands deſſeins. Ces mêmes Souverains ont de petits Officiers neceſſaires auſquels ils ſont ſouvent obligez de ſe confier, qui ne ſont pas toûjours à l’épreuve d’un preſent fait bien à propos, & on trouve même de leurs principaux Miniſtres aſſez complaiſans pour ne les pas refuſer quand on ſait les leur offrir de bonne grace.

Il arrive d’ordinaire dans les negociations ce qui arrive dans la guerre, que les eſpions bien choiſis contribuent plus que toutes choſes au bon ſuccès des grandes entrepriſes, il n’y a rien de de plus capable de renverſer un deſſein important qu’un ſecret éventé bien à propos ; & comme il n’y a point de dépenſes mieux employées ni plus neceſſaires que celles qu’on y fait, c’eſt unefaute inexcuſable à ceux qui ſont en place de les negliger ; il vaudroit beaucoup mieux qu’un General eût un Regiment de moins dans ſon armée, & qu’il fût bien inſtruit de l’état & du nombre de l’armée ennemie & de tous ſes mouvemens : & qu’un Ambaſſadeur retranchât de ſes dépenſes ſuperfluës, pour employer ce fond à découvrir ce qui ſe paſſe dans le Conſeil du Pays où il le trouve ; cependant la plûpart des Negociateurs dépenſent beaucoup plus volontiers à entretenir un grand nombre de chevaux & de valets inutiles, qu’à gagner des gens capables de leur donner des avis importans. Les Eſpagnols ne negligeoient pas autrefois de ſe les acquerir, & c’eſt ce qui a fait que leurs Miniſtres ont rëüſſi en tant de negociations importantes, & ce qui a etabli à la Cour Cour d’Eſpagne cette ſage coûtume, de donner à ſes Ambaſſadeur, un fond extraordinaire, pour ce qu’ils appellent Gaſtos Secretos

On appelle un Ambaſſadeur un honorable Eſpion ; parce que l’une de ſes principales occupations eſt de découvrir les ſecrets des Cours où il ſe trouve ; & il s’acquitte mal de ſon emploi, s’il ne ſait pas faire les dépenſes neceſſaires pour gagner ceux qui ſont propres à l’en inſtruire.

Il faut donc qu’un Ambaſſadeur ſoit né liberal pour ſe porter volontiers à entrer dans ces ſortes de dépenſes ; & il les doit faire autant que ſes forces le lui peuvent permettre quand même ſon Maître ne lui en tiendroit pas compte ; parce que ſon but principal étant de réüſſir, cet interêt doit prévaloir en lui ſur tous les autres, s’il a de l’élevation & une veritable habileté.

Un habile Prince ne doit pas de ſon côté negliger de donner à ſes Negociateurs les moyens de lui acquerir des amis amis dans les pays où il a des interêts à menager, par des gratifications & des penſions à ceux qui y ſont en credit. Ces dépenſes bien appliquées profitent avec uſure au Prince qui les fait, & applaniſſent la plûpart des difficultez qui s’oppoſent à ſes deſſeins. S’il n’entre pas dans cet expedient ſes Miniſtres font peu de progrès dans leurs negociations ; il acquiert peu de nouveaux Alliez & il Çourt riſque de perdre les anciens.

La Fermeté eſt encore une qualité très neceſſaire à un Negociatcur, quoique le droit des gens le doivent mettre en ſureté ; il y a cependant diverſes occaſions où il ſe trouve en peril, & où il a beſoin de ſon courage pour s’en tirer & pour faciliter le ſuccès de ſes negociations ; un homme né timide n’eſt pas capable de bien conduire de grands deſſeins ; il ſe laiſſe ébranler facilement dans les accidens imprévûs, la peur peut faire découvrir ſon ſecret par les impreſſions qu’elle fait ſur ſon viſage, & par le trouble qu’elle cauſe dans ſes diſcours ; elle peut même lui faire prendre des meſures préjudiciables aux affaires dont il eſt chargé, & lorſque l’honneur de ſon Maître eſt attaqué, elle l’empêche de le ſoûtenir avec la vigueur & la fermeté ſi neceſſaires en ces occaſions, & de repouſſer l’injure qu’on lui fait, avec cette noble fierté & cette audace qui accompagne un homme de courage.

Un Prelat qui étoit Ambaſſadeur à Rome, du Roi François I. s’attira la diſgrace de ſon Maître pour n’avoir pas parlé avec vigueur dans un Conſiſtoire où l’Empeneur Charles-Quint rejettant ſur le Roi tous les malheurs de la guerre, ſe vanta fauſſement de lui avoir offert de la terminer par un combat particulier, & que le Roi François I. l’avoit refuſé ; le Roi en fût ſi indigné qu’il fit donner un démenti public à l’Empereur, blâma publiquement la conduite de ſon Ambaſſadeur de ce qu’il ne l’avoit pas fait ſur le champ, & prit la reſolution de ne plus envoyer pour ſes Ambaſfadeurs à Rome que des gens d’épée ; comme plus propres à ſoûtenir l’honneur de leur caractere.

Un Negociateur doit avoir l’eſprit ferme auſſi-bien que le cœur ; il y a des gens naturellement braves, qui n’ont pas cette ſorte de fermeté ; elle conſiſte à ſuivre conſtamment une reſolution lorſqu’on l’a priſe, après l’avoir mûrement examinée, & à ne pas varier dans ſa conduite ſur les diverſes idées qui ſe preſentent ſouvent aux eſprits naturellement irreſolus. Ce défaut eſt ordinaire aux imaginations vives, dont la penetration va ſouvent au-delà du but, & leur fait prévoir tous les accidens qui peuvent arriver dans l’execurion des grands deſſeins, ce qui les empêche de ſe déterminer ſur le choix des moyens pour les faire réüſſir. Mais l’irreſolution eſt très préjudiciable dans la conduite des grandes affaires ; il y faut un eſprit déciſif, qui après avoir balancé les divers inconveniens, ſache prendre ſon parti & le ſuivre avec fermeté.

On dit du Cardinal de Richelieu que c’étoit l’homme du monde qui avoit les vûës les plus étenduës dans les affaires politiques ; mais qu’il étoit irreſolu quand il s’agiſſoit de choiſir, & que le Pere Joſeph, Capucin, qui etoit beaucoup moins éclairé que ce Cardinal, lui étoit d’un grand ſecours en ce qu’il décidoit hardiment, & le déterminoit ſur le choix des divers deſſeins que le Cardinal lui communiquoit.

Il y a des genies nez avec une élevation & une ſuperiorité qui leur donnent de l’aſcendant ſur ceux avec qui ils traitent ; mais un Negociateur de ce caraftere doit prendre garde de ne ſe pas trop confier en les propres lumieres, & de ne pas abuſer de ſa ſuperiorité, juſqu’à la rendre peſante & incommode, les eſprits mediocres echapent ſouvent au plus habile, & il en eſy quelquefois la duppe par trop de confiance en ſon habileté, il faut qu’il l’employe à leur être utile & agreable, s’il veut s’en aſſurez.

Un bon Negociateur ne doit jamais fonder le ſuccès de ſes négociations ſur de fauſſes promeſſes & ſur des manquemens de foi ; c’eſt une erreur, de croire, ſuivant l’opinion vulgaire, qu’il faut qu’un habile Miniſtre ſoit un grand maître en l’art de fourber : la fourberie eſt un effet de la petiteſſe de l’eſprit de celui qui la met en uſage, & c’eſt une marque qu’il n’a pas aſſez d’étenduë pour trouver les moyens de parvenir à ſes fins, par les voyes juſtes & raiſonnables. On demeure d’accord qu’elle-le fait ſouvent réüſſïr, mais toûjours moins ſolidement, parce qu’elle laiſſe la haine & le deſir de vengeance dans le cœur de ceux qu’il a trompez, & qui lui en font tôt ou tard resſentir les effets.

Quand même la fourberie ne ſeroît pas auſſi mépriſable qu’elle l’eſt à tout efprit bien fait ; un Negociateur doit confiderer qu’il aura plus d’une affaire à traiter dans le cours de ſa vie, qu’il eſt de ſon interêt d’établir ſa reputation, & qu’il doit la regarder comme un bien réel, puiſqu’elle lui facilite dans la ſuite le ſuccès de ſes autres negociations, & le fait recevoir avec eſtime & avec plaiſir danſ tous les pays où il eſt connu ; il faut donc qu’il établisfe ſi bien l’opinion de la bonne-foi de ſon Maître & de la ſienne propre, qu’on ne doute jamais de ce qu’il promet.

Que ſi un Negociateur eſt obligé d’obferver’auec fidelitè toutes les promesfes qu’il fait à ceux avec qui il traite ; il eſt aiſé de juger de celle qu’il doit au Prince, ou à l’Etat qui l’employe. C’eſt une verité ſi connuë & un devoir ſi indiſpenſable, qu’il paroît ſuperflu de le recommander, quoique pluſieurs Negociareurs ayent été aſſez corrompus pour y manquer en diverſes occaſions importantes ; mais il ſemble qu’il y a une obſervation à faire là-deſſus ; c’eſt que le Prince ou le Miniſtre qui eſt trompé par un Negociateur infidele a été la premiere cauſe du préjudice qu’il en a reçû, parce qu’il a negligé de faire un bon choix, il ne ſuffit pas de choiſir un homme habile & éclairé pour le charger, de le conduite d’une affaire de Conſequence ; il faut encore le choiſir veritable & d’une probité reconnuë, ſi on veut mettre en ſûreté les interêts qu’on lui confie.

Il eſt vrai qu’une probité exacte ne ſe trouve pas toûjours jointe à une grande étenduë d’efprit, & à toutes les connoiſſances neceſſaires pour former un bon Negociateur, & qu’il ne faut pas faire des idées de la Republique de Platon dans le choix des ſujets qu’on deſtine à ces ſortes d’emplois. On peut dire encore que les Princes & leurs prîncipaux Miniſtres ſont ſouvent obligez de ſe ſervir de divers inſtrumens pour parvenir à leurs fins, qu’il y a eu des hommes de peu de vertu qui ont été de grands Negociateurs, & qui ont fait proſperer les affaires qu’on leur a confiées, & que des gens de ce caractere n’étant retenus par aucuns ſcrupules, réüſſiſſent plus ſouvent dans les negociations que les gens de bien qui n’y employent que des moyens juſtes ; mais le Prince qui ſe fie à des Negociateurs de cette eſpeces, ne doit comptet ſur eux qu’autant que ſa proſperité dure ; ſi les temps deviennent difficiles, & qu’il lui arrive quelque diſgrace, ces maîtres fourbes ſont les premiers à l’accabler par leurs trahiſons, & ils ſe rangent toûjours du côtè des plus forts. La neceſſité qu’il y a d’employer des gens d’une probité reconnüe dans des occaſions importantes, me fait ſouvenir d’une belle réponſe de Monſieur de Faber, qui a été Maréchal de France, au Cardinal Mazarin ; ce premier Miniſtre vouloit attirer un homme considerable dans ſon parti, il chargea Monſieur de Faber de lui Faire de grandes promesfes, & il lui avoüa qu’il n’étoit pas en état de les executer, Monſieur de Faber refuſa cette commiſſion. & lui dit, qu’il trouveroit aſſez de gens pour porter de fauſſes paroles, mais qu’il avoit beſoin d’homme accreditez pour en donner de veritables, & qu’il le prioit de le garder pour ce dernier emploi.

Il eſt encore hazardeux de confier une negociation importante à un homme ſans ordre & déreglé dans ſes mœurs & dans ſes aſſaires domeſtiques. Comment peut-on attendre de lui plus de conduite & plus d’habileté dans les affaires publiques, qu’il n’en a pour lui-même ſur ſes propres intérêts, qui doivent être regardez comme la pierre de touche de ſa capacité ; un trop grand attachement au jeu, à la débauche & aux amuſemens frivoles, eſt peu comnpatile avec l’attention neceſſaire aux affaires, & il eſt difficile que ceux qui ſe laiſſent entraîner par cette inclination, puiſſent remplir tous les devoirs de leurs emplois, & qu’ils ne laiſſent même quelquefois tenter leur fidelité, pour pouvoir ſatisfaire à leurs deſirs déreglez, qui augmentent necceſſairement leurs beſoins.