CHAPITRE IV


Continuation du même sujet.




La loyauté est la compagne inséparable de la véritable bravoure ; les faits qui suivent mettront en parallèle à cet égard les Blancs et les Noirs. Le lecteur équitable tiendra la balance.

Les Nègres marrons de Jacmel ont, durant près d’un siècle, épouvanté Saint-Domingue. Le plus impérieux des gouverneurs, Bellecombe, fut obligé, en 1785, de capituler avec eux ; ils n’étoient cependant que cent vingt-cinq hommes de la partie française, et cinq de la partie espagnole ; c’est le planteur Page qui nous le répète[1]. A-t-on jamais ouï dire qu’ils ayent violé la capitulation, ces hommes contre lesquels on ordonnoit des battues comme on en fait contre les loups ?

En 1718, lorsqu’on étoit en pleine paix avec les Caraïbes noirs de Saint-Vincent, qui sont connus pour être braves jusqu’à la témérité, et plus actifs, plus industrieux que les Caraïbes rouges, on dirigea contre ceux de la Martinique une expédition injuste, et qui échoua : au lieu de s’irriter, l’année suivante ils eurent l’indulgence d’acquiescer à la paix ; ces traits, dit Chanvalon, ne se lisent pas dans l’histoire des nations civilisées[2].

En 1726, les Marrons de Surinam, que la férocité des colons avoit portés au désespoir, conquirent leur liberté, et forcèrent leurs oppresseurs à traiter avec eux de peuple à peuple ; ils observèrent religieusement les conventions. Les colons méritent-ils le même éloge ? Après de nouvelles querelles, ceux-ci voulant négocier la paix, demandent une conférence aux Nègres, qui l’accordent, et stipulent pour préliminaire, qu’on leur enverra, parmi beaucoup d’objets utiles, de bonnes armes à feu et des munitions. Deux commissaires hollandais partent avec leur escorte, et se rendent au camp des Nègres : le capitaine Boston, qui les commandoit, s’aperçoit que les commissaires n’apportent que des bagatelles, des ciseaux, des peignes, de petits miroirs, mais point d’armes à feu, ni de poudre ; d’une voix de tonnerre il leur dit : Les Européens pensent-ils que les Nègres n’ont besoin que de peignes et de miroirs ? un seul de ces meubles nous suffit à tous ; au lieu qu’un seul baril de poudre offert par les Hollandais, eût prouvé la confiance qu’on avoit en nous.

Les Nègres cependant, loin de céder au sentiment d’une légitime indignation contre un gouvernement qui manquoit à ses engagemens, lui accordent une année pour délibérer et choisir la paix ou la guerre. Ils fêtent de leur mieux les commissaires, leur prodiguent une bienveillance hospitalière, et les renvoient en leur rappelant, que les colons de Surinam étoient eux-mêmes les artisans de leurs désastres par l’inhumanité avec laquelle ils traitoient leurs esclaves[3]. Stedman, à qui nous devons ces détails, ajoute que les champs de cette république de Noirs sont couverts d’ignames, de maïs, de plantaniers et de manioc.

Tous les auteurs qui, sans préjugé, parlent des Nègres, rendent justice à leur naturel heureux et à leurs vertus. Il est même des partisans de l’esclavage à qui la force de la vérité arrache des aveux en leur faveur. Tels sont, 1o. l’historien de la Jamaïque, Long, qui admire chez plusieurs un excellent caractère, un cœur aimant et reconnoissant ; chez tous la tendresse paternelle et filiale portée au suprême degré[4].

2o. Duvallon, qui par le récit des malheurs de la pauvre et décrépite Irrouba, est sûr d’attendrir son lecteur et de faire exécrer le colon féroce dont elle avoit été la mère nourricière[5].

Les mêmes vertus éclatent dans ce que racontent des Nègres, Hilliard-d’Auberteuil, Falconbridge, Grandville-Sharp, Benezet, Ramsay, Horneman, Pinkard, Robin, etc., et surtout Clarkson, qui, ainsi que Willberforce, s’est immortalisé par ses ouvrages et son zèle dans la défense des Africains. George Robert, navigateur anglais, pillé par un corsaire son compatriote, se réfugie à l’île Saint-Jean, l’une de l’archipel du Cap-Vert ; il est secouru par les Nègres. Un pamphlétaire anonyme qui n’ose nier le fait, tâche d’en atténuer le mérite, en disant que l’état de George Robert auroit touché un tigre[6]. Durand préconise la modestie, la chasteté des épouses négresses, et la bonne éducation des Mulâtres à Gorée[7]. Wadstrom, qui se loue beaucoup de leur accueil, leur croit une sensibilité affectueuse et douce, supérieure à celle des Blancs. Le capitaine Wilson, qui a vécu chez eux, vante leur constance en amitié ; ils pleuroient à son départ.

Des Nègres de Saint-Domingue, par attachement avoient suivi à la Louisiane, leurs maîtres, qui les ont vendus. Ce fait, et le suivant, que j’emprunte de Robin, sont des matériaux pour comparer, au moral, les Noirs et les Blancs.

Un esclave avoit fui ; le maître promet douze piastres à qui le ramenera. Il est ramené par un autre Nègre qui refuse la récompense, et demande seulement la grâce du déserteur. Le maître l’accorde, et garde les douze piastres. L’auteur du voyage pense que le maître avoit l’ame d’un esclave, et le Nègre l’ame d’un maître[8].

Pour la bonté naturelle des Nègres, après tant d’autres témoins incontestables, on peut encore citer le respectable Niebuhr, qui, dans le Musée allemand[9], s’exprime ainsi :

« Le caractère des Nègres, surtout quand on les traite raisonnablement, est fidélité envers leurs maîtres et bienfaiteurs. Les négocians mahométans à Kahira, Dsjidda, Surate et ailleurs, achètent volontiers des enfans noirs, auxquels ils font apprendre l’écriture et l’arithmétique : leur commerce est presque exclusivement dirigé par ces esclaves, qu’ils envoient pour établir leurs comptoirs dans les pays étrangers. Je demandois à l’un de ces négocians, comment il pouvoit livrer des cargaisons entières à un esclave ? Il me répondit : Mon Nègre m’est fidèle ; mais je n’oserois confier mon négoce à des commis blancs, ils s’éclipseroient bientôt avec ma fortune ». Blumenbach, qui m’envoie ce passage, ajoute : Ainsi, on pourroit appliquer à nos protégés les pauvres Nègres, ces mots de Saint Bernard : Felix nigredo, quæ mentis candore imbuta est[10].

Le docteur Newton raconte qu’un jour il accusoit un Nègre de fourberie et d’injustice ; celui-ci lui répond avec fierté : Me prenez-vous pour un Blanc[11] ? Il ajoute que sur les bords de la rivière Gabaon, les Nègres sont la meilleure espèce d’hommes qu’il ait connus[12]. Ledyard rend le même témoignage aux Foulahs, dont le gouvernement est absolument paternel[13].

Dans une histoire de Loango, on lit que si les Nègres, habitans des côtes, et fréquentant les Européens, sont enclins à la fourberie, au libertinage, ceux de l’intérieur sont humains, obligeans, hospitaliers[14]. Cet éloge est répété par Golberry. Il se récrie contre la présomption avec laquelle les Européens méprisent et calomnient ces nations, que nous appelons si légérement sauvages, chez lesquelles on trouve des hommes vertueux, vrais modèles de tendresse filiale, conjugale et paternelle, qui connoissent tout ce que la vertu a d’énergique et de délicat ; chez qui les impressions sentimentales sont très-profondes, parce qu’ils sont plus que nous voisins de la nature, et qui savent sacrifier l’intérêt personnel à l’amitié. Golberry en fournit diverses preuves[15].

L’auteur anonyme des West indian eclogues[16] dut la vie à un Nègre qui, pour la lui sauver, perdit la sienne. Pourquoi le poëte qui, dans une note, rapporte cette circonstance, n’y a-t-il pas consigné le nom de son libérateur ?

Adanson, qui visita le Sénégal en 1754, et qui en parle comme d’un élysée, en trouva les Nègres très-sociables, et d’un excellent caractère. Leur aimable simplicité, dans ce pays enchanteur, me rappeloit, dit-il, l’idée des premiers hommes ; il me sembloit voir le monde à sa naissance[17]. En général, ils ont conservé l’estimable bonhomie des mœurs domestiques ; ils se distinguent par beaucoup de tendresse envers leurs parens, beaucoup de respect pour la vieillesse, vertu patriarchale et presqu’inconnue parmi nous[18]. Ceux qui sont mahométans contractent une certaine alliance avec ceux qui ont été circoncis à la même époque, et se regardent comme frères. Ceux qui sont chrétiens conservent toute leur vie une vénération particulière pour leurs parrains et marraines. Ces mots rappellent une institution sublime que la philosophie envioit dernièrement au christianisme ; cette espèce d’adoption religieuse répand sur les enfans des relations d’amour et de bienfaisance qui, dans le cas éventuel et malheureusement trop fréquent, où, en bas âge, ils perdroient les auteurs de leurs jours, prépare aux orphelins des conseils et un asile.

Robin parle d’un esclave à la Martinique, qui ayant gagné de quoi se racheter, préféra de racheter sa mère[19]. L’outrage le plus sanglant qu’on puisse faire à un Nègre, c’est de maudire son père ou sa mère[20], ou d’en parler avec mépris. Frappez-moi, disoit un esclave à son maître, mais ne maudissez pas ma mère[21]. C’est de Mungo-Park que j’emprunte ce fait et le suivant. Une Négresse ayant perdu son fils, son unique consolation étoit de penser que cet enfant n’avoit jamais dit un mensonge[22]. Casaux raconte qu’un Nègre voyant un Blanc maltraiter son père, enleva vîte l’enfant de ce brutal, de peur, dit-il, qu’il n’apprenne à imiter ta conduite.

La vénération des Noirs pour leurs aïeux les suit par delà les bornes de la vie ; ils vont s’attendrir sur la cendre de ceux qui ne sont plus. Un voyageur nous a conservé l’anecdote d’un Africain qui recommandoit à un Français de respecter les sépultures. Qu’eût pensé le premier s’il avoit pu croire qu’un jour elles seroient profanées dans toute la France, chez une nation qui se dit civilisée ?

Les Noirs, au rapport de Stedman, sont si bienveillans les uns envers les autres, qu’il est inutile de leur dire : Aimez votre prochain comme vous-mêmes[23]. Les esclaves du même pays surtout, ont un penchant marqué à s’entr’aider. Hélas ! presque toujours les malheureux n’ont rien à espérer que de ceux auxquels ils sont associés par l’infortune.

Plusieurs Marrons avoient été condamnés à être pendus ; on offre la grâce à l’un d’eux, à condition qu’il sera l’exécuteur. Il refuse ; il aime mieux mourir. Le maître nomme un de ses esclaves pour le remplacer… Attendez que je me prépare… Il va dans la case, prend une hache, se coupe le poing ; revient au maître, et lui dit : Exige maintenant que je sois le bourreau de mes camarades[24].

Dickson nous a conservé le fait suivant. Un Nègre avoit tué un Blanc ; un autre homme accusé du crime alloit être mis à mort. « Le meurtrier va se déclarer à la justice, parce qu’il ne pourroit supporter le remords d’avoir causé à deux individus la perte de la vie ». L’innocent est relâché, et le Nègre est envoyé au gibet, où il resta vivant six à sept jours.

Le même Dickson a vérifié que sur cent vingt mille, tant Nègres que sang-mêlés, à la Barbade, dans le cours de trente ans, on n’a ouï parler que de trois meurtres de la part des Nègres, quoiqu’ils fussent souvent provoqués par la cruauté des planteurs[25]. Je doute qu’on puisse trouver beaucoup de résultats pareils, en compulsant les greffes des tribunaux criminels de l’Europe.

La reconnoissance des Noirs, ajoute Stedman, les porte à s’exposer à la mort pour sauver leurs bienfaiteurs[26]. Cowry raconte qu’un esclave portugais ayant fui dans les bois, apprend que son maître est traduit en jugement pour cause d’assassinat ; le Nègre se constitue prisonnier en place du maître, donne des preuves fausses, mais judiciaires, de son prétendu crime, et subit la mort à la place du coupable[27].

Le Journal de littérature, par Grosier, a recueilli des détails attendrissans sur un Nègre de du Colombier, propriétaire dans les colonies, résidant près de Nantes. L’esclave étoit devenu libre ; mais le maître étoit devenu pauvre. Le Nègre vendit tout ce qu’il avoit pour le nourrir. Quand cette ressource fut épuisée, il cultiva un jardin dont il vendoit les produits pour continuer cette bonne œuvre. Le maître tombe malade ; le Nègre, malade lui-même, déclare qu’il ne s’occupera de sa santé que quand le maître sera guéri ; mais ce bon Africain succombe de fatigues, et après vingt ans de services gratuits meurt, en 1776, en léguant à du Colombier le peu qui lui restoit[28].

On connoît trop peu l’anecdote de Louis Desrouleaux, Nègre, pâtissier à Nantes, puis au Cap, où il avoit été esclave d’un nommé Pinsum, de Bayonne, capitaine négrier. Ce capitaine, revenu en France avec de grandes richesses, s’y ruine ; il repasse à Saint-Domingue : ceux qui se disoient ses amis lorsqu’il étoit opulent, daignent à peine le reconnoître. Louis Desrouleaux, qui avoit acquis de la fortune, les supplée tous ; il apprend le malheur de son ancien maître, s’empresse de le chercher, le loge, le nourrit, et cependant lui propose d’aller vivre en France, où son amour propre ne sera pas mortifié par l’aspect des ingrats qu’il a faits. Mais je n’ai rien pour vivre en France… 15,000 francs annuels vous suffiront-ils ?… Le colon pleure de joie ; le Nègre lui passe le contrat, et la pension a été payée jusqu’à la mort de Louis Desrouleaux, arrivée en 1774.

S’il étoit permis d’intercaler ici un fait étranger à mon sujet, je citerois la conduite des Indiens envers l’évêque Jacquemin, qui a été vingt-deux ans missionnaire à la Guyane. Ces Indiens, qui l’aimoient tendrement, le voyant dénué de tout lorsqu’on cessa de payer les pasteurs, vont le trouver et lui disent : Père, tu es âgé, reste avec nous, nous chasserons pour toi, nous pêcherons pour toi.

Et comment ces hommes de la nature seroient-ils ingrats envers leurs bienfaiteurs, lorsqu’ils sont bienfaisans même envers leurs oppresseurs ? Dans la traversée on a vu des Noirs enchaînés, partager leur triste et chétive nourriture avec les matelots[29].

Une maladie contagieuse avoit fait périr le capitaine, le contre-maître et la plupart des matelots d’un vaisseau négrier ; ce qui restoit étant insuffisant pour la manœuvre, les Nègres s’y emploient ; par leur secours le vaisseau arrive à sa destination, ensuite ils se laissent vendre[30].

Les philantropes d’Angleterre aiment à citer ce bon et religieux Joseph Rachel, Nègre libre aux Barbades, qui s’étant enrichi par le négoce, consacra toute sa fortune à faire du bien. Les malheureux, quelle que fût leur couleur, avoient des droits sur son cœur ; il distribuoit aux indigens, prêtoit à ceux qui pouvoient rendre, visitoit les prisonniers, leur donnoit des conseils, tâchoit de ramener les coupables à la vertu. Il est mort en 1758, à Bridgetown, pleuré des Noirs et des Blancs[31].

Les Français doivent bénir la mémoire de Jasmin Thoumazeau ; né en Afrique en 1714, il fut vendu à Saint-Domingue en 1736. Ayant obtenu la liberté, il épousa une Négresse de la Côte-d’Or, et fonda au Cap, en 1756, un hospice pour les pauvres Nègres et sang-mêlés. Pendant plus de quarante ans, avec son épouse, il s’est voué à leur soulagement, et leur a consacré tous ses soins et sa fortune. La seule peine qu’ils éprouvassent au milieu des malheureux auxquels leur charité prodiguoit des secours, étoit l’inquiétude qu’après eux l’hospice ne fût abandonné. En 1789, le cercle des Philadelphes du Cap, et la société d’agriculture de Paris, décernèrent des médailles à Jasmin[32], qui est mort vers la fin du siècle.

Moreau-Saint-Méry, et une foule d’autres écrivains, nous disent que les Négresses et les Mulâtresses sont recommandables par leur tendresse maternelle, par leur charité compatissante envers les pauvres[33]. On en trouvera des preuves dans une anecdote qui n’a pas encore acquis toute la publicité dont elle est digne. Le voyageur Mungo-Park alloit périr de besoin au milieu de l’Afrique ; une Négresse le recueille, le conduit chez elle, lui donne l’hospitalité, et assemble les femmes de sa famille qui passèrent une partie de la nuit à filer du colon, en improvisant des chansons pour distraire l’homme blanc, dont l’apparition dans ces contrées étoit une nouveauté : il fut l’objet d’une de ces chansons qui rappelle cette pensée d’Hervey, dans ses Méditations : Je crois entendre les vents plaider la cause du malheureux[34]. Voici cette pièce : « Les vents mugissoient, et la pluie tomboit ; le pauvre homme blanc, accablé de fatigue, vient s’asseoir sous notre arbre ; il n’a pas de mère pour lui apporter de lait, ni de femme pour moudre son grain » ; et les autres femmes chantoient en cœur : « Plaignons, plaignons le pauvre homme blanc ; il n’a pas de mère pour lui apporter son lait, ni de femme pour moudre son grain[35] ».

Tels sont les hommes calomniés par Descroizilles, qui, en 1803, imprimoit que les affections sociales et les institutions religieuses, n’ont aucune prise sur leur caractère[36].

Aux traits de vertu pratiqués par des Nègres, aux témoignages honorables que leur rendent les auteurs, j’aurois pu en ajouter une multitude d’autres qu’on trouvera dans les dépositions officielles à la barre du Parlement d’Angleterre[37]. Ce qu’on vient de lire suffit pour venger l’humanité et la vérité outragées.

Gardons-nous cependant d’une exagération insensée qui chez les Noirs voudroit ne trouver que des qualités estimables ; mais nous autres Blancs, avons-nous droit d’être leurs dénonciateurs ? Persuadé qu’il faut très-rarement compter sur la vertu et la loyauté des hommes, quelle que soit leur couleur, j’ai voulu prouver que les uns ne sont pas originairement pires que les autres.

Une erreur presque générale, c’est d’appeler vertueux des individus qui n’ont, si je puis m’exprimer ainsi, qu’une moralité négative. La forme de leur caractère est indéterminée ; incapables de penser et d’agir par eux-mêmes, n’ayant ni le courage de la vertu, ni l’audace du crime, également susceptibles d’impressions louables et coupables, ils n’ont que des idées et des inclinations d’emprunt ; on nomme en eux bonté, douceur ce qui n’est réellement qu’apathie, foiblesse et lâcheté. Ce sont eux qui ont donné lieu à ce proverbe : Il est des gens si bons qu’ils ne valent rien.

Dans le tableau des faits honorables qu’on vient de présenter, on retrouve, au contraire, cette énergie (vis, virtus), qui fait des sacrifices pour pratiquer le bien, obliger les hommes, et agir conformément aux principes de la morale. Cette raison-pratique, qui est le fruit d’une intelligence cultivée, se manifeste encore sous d’autres rapports, quoique chez la plupart des Nègres la civilisation et les arts soient dans l’enfance. Mais avant d’aborder cet article, je crois faire plaisir au lecteur en intercalant ici la notice biographique d’un Nègre, mort il y a douze ans, en Allemagne, où ses vertus délicates et ses brillantes qualités lui ont acquis de la réputation.







  1. V. Traité d’économie politique et de commerce des colonies, etc., par Page, in-8o, IIe partie, Paris 1802, p. 27.
  2. V. Voyage à la Martinique, par Chanvalon, in-4o, p. 39 et suiv.
  3. Stedman, t. I, p. 88 et suiv.
  4. V. Long, t. II, p. 416.
  5. V. Vue de la colonie espagnole, etc., en 1802, par Duvallon, in-8o, Paris 1803, p. 268 et suiv. «  Allons voir la centenaire, dit quelqu’un de la compagnie, et l’on s’avança jusqu’à la porte d’une petite hutte où je vis paroître, l’instant d’après, une vieille Négresse du Sénégal, décrépite au point qu’elle étoit pliée en double, et obligée de s’appuyer sur les bordages de sa cabane, pour recevoir la compagnie assemblée à sa porte, et en outre presque sourde, mais ayant encore l’œil assez bon. Elle étoit dans le plus extrême dénuement, ainsi que le témoignoit assez tout ce qui l’entouroit, ayant à peine quelques haillons pour la couvrir, et quelques tisons pour la rechauffer, dans une saison dont la rigueur est si sensible pour la vieillesse, et pour la caste noire surtout. Nous la trouvâmes occupée à faire cuire un peu de riz à l’eau pour son souper, car elle ne recevoit de ses maîtres aucune subsistance réglée, ainsi que son grand âge et ses anciens services le requéroient. Elle étoit, au surplus, abandonnée à elle-même, et dans cet état de liberté que la nature, épuisée en elle, avoit obligé ses maîtres à lui laisser, et dont en conséquence elle lui étoit plus redevable qu’à eux. Or il faut apprendre au lecteur, qu’indépendamment de ses longs services, cette femme, presque centenaire, avoit anciennement nourri de son lait deux enfans blancs, parvenus à une parfaite croissance, et morts avant elle, les propres frères d’un de ses maîtres qui se trouvoit avec nous. La vieille l’aperçut, et l’appelant par son nom, en le tutoyant (suivant l’usage des Nègres de Guinée), avec un air de bonhomie et de simplesse vraiment attendrissant : Eh bien ! quand feras-tu, lui dit-elle, réparer la couverture de ma cabane ? il y pleut comme dehors. Le maître leva les yeux et les dirigea sur le toit, qui étoit à la portée de la main. J’y songerai, dit-il. — Tu y songeras ! tu me dis toujours cela, et rien ne se fait. — N’as-tu pas tes enfans ? (deux Nègres de l’atelier, ses petits-fils), qui pourroient bien arranger la cabane. — Et toi, n’es-tu pas leur maître, et n’es-tu pas mon fils toi-même ? Tiens, ajouta-t-elle, en le prenant par le bras et l’introduisant dans sa cabane, entre et vois-en par toi-même les ouvertures ; aye donc pitié, mon fils, de la vieille Irrouba, et fais au moins réparer le dessus de son lit ; c’est tout ce qu’elle te demande, et le bon Dieu te le rendra. Et quel étoit ce lit ? Hélas ! trois ais grossièrement joints sur deux traverses, et sur lesquels étoit étendue une couche de cette espèce de plante parasite du pays, nommée barbe-espagnole. Le toit de la cabane est entr’ouvert, la bise et la pluie fouettent sur ta misérable couche, et ton maître voit tout cela, et il y est insensible ! Pauvre Irrouba !
  6. V. De l’esclavage en général, et particulièrement, etc., p. 180.
  7. V. Voyage au Sénégal, par Durand, in-4o, Paris 1802, p. 568 et suiv.
  8. V. Robin, t. II, p. 203 et suiv.
  9. V. Deutsches Museum, 1787, t. I, p. 424.
  10. Lettre de M. Blumenbach, du 6 février 1808, à M. l’évêque Grégoire, sénateur, etc.
  11. V. Thoughts upon the African slave trade, p. 24.
  12. V. An Abstract of the evidence, etc., p. 91 et suiv.
  13. V. Ledyard, t. II, p. 340.
  14. V. Histoire de Loango, par Proyart, 1776, in-8o, Paris, p. 59 et suiv. ; p. 73.
  15. V. Fragment d’un Voyage en Afrique, par Golberry, 2 vol. in-8o, Paris 1802, t. II, p. 391 et suiv.
  16. In-4o, London 1787.
  17. Adanson, p. 31 et 118. V. aussi Lamiral l’Afrique, et le peuple africain, p. 64.
  18. Demanet, p. 11.
  19. V. Robin, t. I, p. 204.
  20. V. Long, t. II, p. 416.
  21. V. Voyage dans l’intérieur de l’Afrique, par Mungo-Park, t. II, p. 8 et 10.
  22. Ibid., p. 11.
  23. Stedman, t. III, p. 66.
  24. V. Le Bonnet de Nuit, par Mercier, t. II, article Morale.
  25. Dickson, Letters on slavery, 1789, p. 20 et suiv.
  26. Stedman, t. III, p. 70 et 76.
  27. Cowry, p. 27.
  28. V. Journal de littérature, des sciences et des arts, t. III, p. 188 et suiv.
  29. Stedman, t. I, p. 270.
  30. Stedman, t. I, p. 270.
  31. Dickson, p. 180.
  32. Description de la partie française de Saint-Domingue, par Moreau-Saint-Méry, t. I, p. 416 et suiv.
  33. Saint-Méry, p. 44. Trois pages plus haut il loue en elles un extrême amour de la propreté.
  34. Hervey, Méditat., p. 151.
  35. Voyages et découvertes dans l’intérieur de l’Afrique, par Houghton et Mungo-Park, p. 180.
  36. V. Essai sur l’agriculture et le commerce des îles de France et de la Réunion, in-8o, Rouen 1803, p. 37.
  37. Entre autres ouvrages on peut consulter An Abstract of the evidence delivered before a select committee of the house of Commons, in the year 1790 and 1791, in-8o, London 1701. V. surtout p. 91 et suiv.