De la génération des vers dans le corps de l’homme (1741)/Critique de M. Hecquet

Veuve Alix ; Lambert et Durand (Tome Ip. xxxiii-xxxvii).
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Critique que Mr Hecquet[1] a faite du Traité de la Génération des Vers, & que nous avons promis dans la Préface de rapporter ici.



LAuteur du Livre de la Génération des Vers, doit se défier de cet air de préférence qu’il voudroit s’attirer dans le monde, auquel volontiers il feroit entendre qu’il n’est pas comme le reste des hommes, ni comme les autres Médecins, qu’il ne saigne pas comme eux[2], qu’à l’aide au contraire de la purgation & de quelques spécifiques, il a trouvé l’art de guérir les maux les plus opiniâtres sans saigner. C’est un secret qui lui est venu depuis qu’il a découvert au centre du corps, au milieu du bas-ventre, la cause banale de toutes les maladies, que cette cause n’est autre qu’un amas de sucs croupissans & inutiles, à chacun desquels il sçait approprier la purgation. On sçait encore, & le Public en est averti, que quand bien même ces sucs se gâteroient, & que devenus vermineux, ils passeroient en pourriture & en Vers ; on sçait, dis-je, que cet Auteur promet des spécifiques éprouvés pour en exterminer l’engeance, & un volatile merveilleux pour fortifier les entrailles contre cette vermine, pour en prévenir jusqu’aux germes & en éteindre la race, car il attribue la cause de presque toutes les maladies aux Vers, & prétend avoir des spécifiques pour les tuer & les détruire[3].

Cet Auteur n’est pas moins habile en Anatomie, Il est des parties qu’il connoît bien mieux que d’autres, le bas-ventre, par exemple, est de celles qu’il a singulierement étudiées ; il en connoît les réservoirs, la capacité & tous les réduits, au point que la moindre glaire ne sauroit s’y nicher à son insçû, ni le moindre vermisseau échaper à sa connoissance. Au reste, il ne paroît pas familier avec Sanctorius ; sa Médecine aussi-bien est-elle trop embarrassante. Que de minuties en effet, que de soins à se peser ou peser les Autres, pour s’assurer des causes des maladies ! Un homme occupé par d’illustres emplois auroit trop à faire ; les Vers morbifiques, & les contre-Vers altératifs & évacuans sont plus commodes ; avec un jeu d’adresse à trouver ou à mettre des Vers par-tout, on se fait une Médecine Abrégée.

Le même Auteur du Livre de la Génération des Vers est étonné que pour expliquer les filtrations, on ne recoure ni aux levains, ni aux configurations différentes des pores ; c’est apparemment un regret ou une plainte qu’il fait contre ceux qui osent faire main basse sur les levains. Quelle perte en effet pour la Médecine, dont on enlève ainsi les idoles ! Quelle désolation pour ces Philosophes Mitrons & pour ces Médecins bouillans de levains ! certes après cela les basses entrailles farcies de crudités, vont fourmiller de Vers. L’Auteur, accoûtumé qu’il est aux dégâts qu’ils causent, peut-il ne se pas rendre sensible à cette désolation ? Heureux donc le genre humain de ce qu’en cas d’un semblable malheur, il trouvera une ressource assurée, & un spécifique infaillible contre ces Insectes entre les mains de notre Auteur.

On a soûtenu aux Ecoles de Médecine une These sur la Boisson, où l’on montre que la boisson est un grand remede, soit pour conserver la santé, soit pour la rétablir ; mais il est mal aisé que cette These ne trouve quelque adversaire en son chemin. Car enfin, dira-t’on, faut-il abandonner le monde à des maximes si contraires à sa conservation ? Le laissera-t’on persuader qu’on ne doit user que de boissons simples & fades, peut-être d’eau seule ? Fut-il rien de plus capable d’exposer les hommes d’aujourd’hui, comme les Egyptiens autrefois, à se voir désolés par les grenouilles, qui désormais viendroient pululer dans nos corps ? La Matiére est trop curieuse, & l’occasion trop intéressante, pour ne point exciter le zéle & la plume de l’Auteur du Traité de la Génération des Vers. Le beau titre, en effet, à remplir ou à exécuter, que celui de la Génération des grenouilles dans le corps humain ! Jamais il ne résistera à cette tentation : car lui-peut-il venir une occasion plus naturelle d’augmenter son Ouvrage de ce second Volume ? Il seroit aussi utile au Public que le premier, & ne seroit pas moins recherché. Cependant quoi qu’il en coûte à cette These sur la Boisson, on en risque l’impression en François, persuadé que son Auteur gagnera toujours beaucoup, s’il est assez heureux pour attirer au Public d’aussi belles choses sur les grenouilles, qu’il lui en est venu d’utiles sur les Vers.

Un Médecin comme l’Auteur du traité de la Génération des Vers, ne fait cas que de colles & de glaires dans les intestins. Car son imagination accoutumée à se salir de ces images grossieres, croit ne rien appercevoir si elle ne voit des crasses & des ordures. Mais on se flate qu’avec des idées plus nobles, & plus dignes de la Majesté de la Nature, il sortira de la crasse de la Médecine, & qu’il en secouera la vermine.

Telle est la critique que Mr Hecquet a faite du Traité de la Génération des Vers. On laisse aux Lecteurs à juger, si ce n’est pas y avoir suffisamment répondu, que de l’avoir rapportée.



  1. Dans le Livre intitulé, Explication Physique & méchanique des effets de la saignée & de la boisson dans la cure des maladies, imprimé à Chambéry en 1707. vol. in-12.
  2. On ne trouvera aucune Edition du Traité de la génération des Vers, où je donne seulement le moindre lieu à ce reproche.
  3. Le reproche qu’on me fait ici de croire que presque toutes les maladies viennent de vermine, est si opposé à ce que j’ai dit d’un tel sentiment dans le Livre de la Génération des Vers, que je n’ai nul besoin de me justifier là-dessus.